Dans notre monde humain, la précision du mécanisme est absolument impossible. L’impossibilité de définir la moralité est une partie de son imperfection nécessaire. Il n’y a pas seulement place dans la moralité pour l’aspiration élevée, la décision courageuse, le frémissement tonique des muscles de l’âme, mais il convient d’y faire rentrer également le sacrifice et la douleur. Le moindre bien, le nôtre ou celui d’autrui, est immergé dans un bien plus vaste et cela ne peut être sans quelque déchirement du cœur. Ainsi, Toute action morale, pour justifiée qu’elle puisse être par son harmonie et son équilibre, s’avère, dans sa construction, cruelle et même, dans un certain sens, immorale. C’est en cela que s’explique la justification finale de la conception esthétique de la moralité. Elle ouvre une perspective plus large et révèle des points de vue supérieurs ; elle démontre combien la perte apparente est partie intégrante d’un gain intime, rétablissant ainsi cette harmonie et cette beauté que les ignares partisans d’un devoir sec et stérile détruisent si souvent et pour toujours. L’Art, déclare Paulnan, est souvent plus moral que la moralité elle-même, ou, comme le veut Jules de Gaultier : l’Art est dans un certain sens la seule moralité que la vie admette. Dans la mesure où nous pouvons lui infuser l’esprit et la méthode de l’art, nous avons transformé la moralité en quelque chose situé « par delà la moralité » : elle est devenue la personnification complète de la Danse de la Vie…
Havelock Ellis
(The Dance of Life).