La Presse Anarchiste

Stirner, père du syndicalisme

Je reli­sais, il y a quelques jours, une étude parue sous le titre de « Le père du Syn­di­ca­lisme » dans un maga­zine amé­ri­cain dis­pa­ru depuis des années – The Mir­ror, de Saint-Louis, en Loui­siane. Il s’a­gis­sait d’un compte-ren­du de la tra­duc­tion anglaise de « l’U­nique et sa pro­prié­té » par Ste­phen Bying­ton, réédi­tée par A. C. Fifield, de Londres.

    « L’ou­vrage — écri­vait l’au­teur du compte-ren­du, J. Wein­ber­ger débute par une sorte de résu­mé ou pro­logue, inti­tu­lé : « Je n’ai basé ma cause sur rien », attaque des plus viru­lentes contre toutes les espèces de devoirs — devoirs envers Dieu, envers la patrie, envers l’hu­ma­ni­té. Ce résu­mé nous donne en rac­cour­ci, l’es­sence du Stir­né­risme, autre­ment dit de l’E­goïsme. Stir­ner expose que Dieu, la patrie et l’hu­ma­ni­té ne cherchent que leur inté­rêt. Ils ne se fondent que sur des mobiles égoïstes et ne se pré­oc­cupent en rien de notre bien-être Stir­ner donc nous convie à réflé­chir et à nous deman­der si ce n’est pas l’é­goïste qui se tire le mieux d’af­faire. En dépit des exi­gences inté­res­sées de Dieu, de la patrie, de l’hu­ma­ni­té nous appe­lant à nous sacri­fier à leur pro­fit, ils jouissent encore d’un assez bon cré­dit. Stir­ner ajoute qu’ils lui ser­vi­ront de modèle et qu’au lieu de se dévouer davan­tage à ces grands égoïstes, il pré­fère être lui-même l’égoïste.

Nous avons ici la pen­sée fon­da­men­tale de Stir­ner. La loi suprême pour cha­cun de nous est son propre bien-être. Sa phi­lo­so­phie est la phi­lo­so­phie de l’in­di­vi­du, de l’«Ego », du « moi », comme il le dénomme. Non pas un « Ego » comme les autres « Egos », mais un « Ego » com­plet en soi. Il appelle « pro­prié­tés » les carac­té­ris­tiques de cet « Ego ». (Le tra­duc­teur dut for­ger un mot nou­veau pour expri­mer l’i­dée et rendre eigen­heit par own­ness).

Dans les dif­fé­rentes par­ties de son ouvrage, Stir­ner s’ef­force de démon­trer com­ment la loi et la pro­prié­té, telle que la conçoit l’É­tat, entravent le déve­lop­pe­ment de la « pro­prié­té » du moi et ne peuvent tolé­rer celle-ci. Comme cette pro­prié­té est ce qu’il y a de plus essen­tiel au bon­heur de l’in­di­vi­du. Stir­ner répu­die les ins­ti­tu­tions qui vou­draient l’en pri­ver. Aus­si, rejette-t-il la loi et la pro­prié­té, telle que la com­prend l’É­tat. Voi­ci son opi­nion quant au droit : « le droit est une illu­sion octroyée par un fan­tôme»… « ce que vous avez la puis­sance d’être, vous en avez aus­si le droit»… « le droit s’ef­fondre dans son néant lors­qu’il est englou­ti par la force»… « celui qui pos­sède la puis­sance se situe au-des­sus de la loi ».

– Diable ! votre Stir­ner est un anar­chiste ! s’é­crie­ra tout bon réac­tion­naire et il fera son pos­sible pour qu’on éli­mine l’ou­vrage des biblio­thèques publiques. Il s’y prend un peu tard, car nom­breux sont ceux qui se sont conver­tis à l’i­dée que tout pour­rait très bien mar­cher sans inter­ven­tion de l’É­tat. En son lieu et place, Stir­ner nous invite à consti­tuer des unions d’é­goïstes conscients, au sein des­quelles, à la condi­tion de sacri­fier quelques liber­tés en échange d’autres, on pour­rait conser­ver la « pro­prié­té du moi ». Ces unions d’é­goïstes ne sont ni plus ni moins que des asso­cia­tions volon­taires, basées sur un contrat, avec facul­té de séces­sion bien déterminée.

Comme Ste­phen Bying­ton le fait remar­quer, mince est la par­tie de l’œuvre de Stir­ner dont on puisse faire état afin de tirer quelque chose de construc­tif mais n’a-t-il pas écrit que le seul moyen de savoir ce que ferait un esclave une fois ses chaînes bri­sées, c’est de l’at­tendre à l’œuvre ? Stir­ner nous invite sans relâche à vivre nos vies propres, sans nous pré­oc­cu­per des idées des autres, à renies l’hy­po­crite atti­tude de l’al­truisme, qui n’est somme toute qu’un aspect de l’é­goïsme… Il nous appelle à uti­li­ser l’é­goïsme éclai­ré comme pierre angu­laire d’une socié­té nouvelle.

On croit géné­ra­le­ment que c’est Sorel – le méta­phy­si­cien de la vio­lence, comme on le sur­nomme – qui démon­tra. clai­re­ment la force des ouvriers dès qu’ils se refusent à uti­li­ser leur puis­sance de tra­vail. Or, voi­ci ce qu’é­cri­vait Stir­ner en 1845 : « Les ouvriers détiennent en leurs mains la puis­sance la plus for­mi­dable qui soit et s’ils s’en ren­daient un jour com­plè­te­ment et consciem­ment compte, et s’en ser­vaient, rien ne leur résis­te­rait. Il suf­fi­rait qu’ils arrêtent tout tra­vail, consi­dèrent comme étant a eux le pro­duit de ce tra­vail et en jouissent. »1Je tra­duis d’a­près la ver­sion anglaise de Bying­ton. La plaque appo­sée sur la mai­son où mou­rut Max Stir­ner (s’il reste de cette mai­son autre chose que des décombres), indique en effet 1845 comme date de « l’U­nique et sa pro­prié­té » L. S.. Voi­là la psy­cho­lo­gie et la lac­tique du syn­di­ca­lisme annon­cées il y a un siècle…»

Lucy Sterne.

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    Je tra­duis d’a­près la ver­sion anglaise de Bying­ton. La plaque appo­sée sur la mai­son où mou­rut Max Stir­ner (s’il reste de cette mai­son autre chose que des décombres), indique en effet 1845 comme date de « l’U­nique et sa pro­prié­té » L. S.

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