La Hongrie est avec la Bulgarie et l’Allemagne de l’Est, dont nous avons déjà parlé, l’un des rares Pays de l’Est où les communistes ont rencontré un mouvement anarchiste organisé et très actif. Nous n’avons trouvé qu’un seul document sur le mouvement anarchiste hongrois d’après-guerre jusqu’à sa liquidation par les communistes. C’est un long article du « Libertaire » de 1950 écrit par un participant à ces évènements, très documenté et très précieux. Nous n’avons pas pour habitude de republier des articles déjà disponibles en français. Mais le document étant unique, aucune synthèse n’est possible. Comme il existait déjà un résumé de cet article, nous le reproduisons car il nous semble satisfaisant.
Nous publions aussi un résumé d’un article nécrologique paru il y a deux ans sur un vieux militant anarchiste hongrois. Il nous a semblé intéressant surtout par les extraits de correspondance qu’il contient sur le problème de l’Espagne post-franquiste et de la reconstruction de la CNT. On a rarement l’occasion de savoir comment un anarchiste des Pays de l’Est voit et ressent de tels évènements.
Pour compléter ces deux articles sur l’anarchisme en Hongrie on peut se référer à deux autres articles paru dans Iztok et qui abordaient la pensée anti-autoritaire dans ce pays : « Entrevue avec Istvan Kemeny », un sociologue anti-autoritaire aujourd’hui exilé en France (Iztok N°1) et « Gyorgy Dalos », un dissident qui a des aspects libertaires parfois dans ses poésies (Iztok N°3).
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La liquidation 1944 – 1948
« Le Libertaire » publiait dans ses numéros du 8 et du 22 septembre 1950 une étude de l’anarchiste hongrois G.A. Sous le titre « De la terreur blanche à la terreur rouge avec la fédération anarchiste de Hongrie ». Le camarade G.A. Avait quitté la Hongrie après avoir participé à la réorganisation du mouvement anarchiste au moment de la « Libération ».
Voici résumé pour ceux qui ne pourraient se référer à ces deux numéros du « Lib » quelle était alors, selon le camarade G.A. La situation du mouvement.
1. Le mouvement anarchiste de Hongrie n’existait pas jusqu’en 1944. Les rares survivants des anciens groupes anarchistes liquidés par Bela Kun puis Horty étaient groupés autour du vieux camarade TOROCKOI (80 ans en 1945).
Les aristocrates royalistes et anglophiles menaient la résistance la plus efficace contre les allemands. Les communistes, malgré leur organisation et leurs moyens financiers se bornaient à la propagande dans les autres groupes de résistance et se préparaient à sortir intacts de cette période pour se jeter après la libération contre les autres partis affaiblis par leurs pertes.
2. La première action libertaire n’est survenue qu’en juin 1944, organisée par un groupe d’étudiants anarchistes, conduite par le surnommé CHRIST, poète de quinze ans, dans une petite ville du nord.
Emprisonné, Christ prend contact avec Aton M. du groupe anarchiste hongrois et yougoslave de la BACSKA (au sud) comptant une centaine de membres et l’un des deux plus importants groupes de résistance du pays avec celui « Général de Görgey » opérant dans les forêts de la Bakoni (au centre).
4. Sortis de prison à la faveur du putsch fasciste anti-hortyste de Szalazi (octobre 1944), Christ et l’anarchiste d’origine russe Alexei KORSAKINE se mettent en rapport avec Torockoi et avec P .M., étudiant ayant formé un groupe anarchiste soutenu par les communistes. Ils commencent immédiatement à harceler les troupes de l’Axe, Christ avec le groupe SZ. F. (Jeunesse Libertaire), Korsakine et les militants anarchistes, tous ayant adopté la ceinture rouge devenue légendaire de Korsakine.
5. Après que l’offre de l’unité d’action sous l’égide du P.C. fut repoussée, celui-ci dénonça le mouvement anarchiste aux allemands qui arrêtèrent 67 militants dont P.M. porteur de l’offre (7 et 9 décembre 1944). Le groupe de P.M. scissionna et les deux tiers de ses membres passèrent au P.C.
6. Les militants anarchistes de Korsakine provoquèrent le seul soulèvement populaire de la résistance, signalé d’ailleurs par toutes les radios alliées, Radio Moscou faisant passer l’action pour communiste. Dans le quartier central de Budapest une petite foule conduite par les militants anarchistes arborant les ceintures rouges envahit et détruisit deux unités de la marine fluviale hongroise (dont une appartenait au chef de l’État).
7.La nuit suivante le groupe SZ. F. faisait sauter un dépôt de munitions dans les catacombes du mont Varhegy au dessus du fort et du palais royal.
8. Un troisième groupe du mouvement fut arrêté et passé par les armes, tentant un assaut contre une résidence du parti nazi.
9. Le groupe SZ. F. avec Christ continue les sabotages jusqu’au commencement de la bataille de Budapest qui dura 6 semaines et fit 200.000 victimes. Puis le mouvement anarchiste décide (Korsakine votant seul contre) de sauvegarder ses forces pour la lutte politique à prévoir après la libération. Les hommes aux ceintures rouges apparaissaient cependant dans les rigades de travail, les hôpitaux, partout où ils pouvaient se rendre utiles.
10. En juillet 1945 se regroupent les militants du mouvement anarchiste. Trois tendances se firent jour. Celle de P.M. groupant ceux qui préféraient travailler en accord avec les communistes, espérant dévier le P.C. après la lutte de la bourgeoisie ; celle de Torockoy partisan d’une légalisation du mouvement et celle de Korsakine et de Christ voulant continuer la lutte combative, cette fois-ci contre l’État et contre les troupes russes.
11. Chaque groupe s’étant déclaré solidaire avec celui dont le principe allait être voté à la majorité, celle-ci revint à Torockoy qui demanda immédiatement la légalisation du Mouvement Anarchiste accordée, puis retirée sur l’ordre du maréchal Vorochilov. Malgré cela Torockoy parvint à conclure un accord avec les dirigeants du pays (gouvernement de coalition de 4 partis) selon lequel l’action anarchiste serait libre jusqu’au point où cette activité pourrait être considérée comme sabotage des activités gouvernementales.. Aussitôt une imprimerie fut installée et la propagande commencée. Le mouvement possédait en septembre 1945 près de 500 militants.
12. « Dans l’usine de l’île de Csepel1Chacun sait que Csepel fut en 1956 à la tête de l’offensive ouvrière et un des derniers bastions de la résistance où on continuait à forger des armes sous le feu de l’armée rouge. Déjà en mars 1919 la résolution de 20000 ouvriers de Csepel après s’être emparé des usines d’adhérer au P.C. Et de pénétrer en armes à Budapest pour révolutionner la ville et chasser le gouvernement avait été décisive. Le 10 août, 1000 ouvriers des centuries syndicales qui s’étaient rendus furent massacrés à la mitrailleuse par les franco-roumains (note de Noir et Rouge). près de Budapest les ouvriers déçus par la conduite antisociale de leurs nouveaux syndicats communistes se tournaient avec sympathie vers notre mouvement, le seul qui ait vraiment représenté leurs intérêts. Or le P.C. Battu aux élections où les petits paysans obtenaient la majorité absolue, mais de plus en plus fort grâce à l’appui soviétique, avait cru au premier moment que le Mouvement anarchiste allait centraliser ses efforts pour le renversement du gouvernement (où les petits paysans avaient la majorité) et affaiblir l’Église Catholique qui commençait à devenir l’ennemi le plus puissant des staliniens. Dès que les dirigeants communistes se firent apperçus du danger que la concurrence anarchiste représentait dans les milieux ouvriers, Gabor Peter (chef de la police politique, plus tard exécuté comme titiste) lança ses miliciens contre nous. »
13. Torockoy arrêté disparut. Quatre étudiants anarchistes ouvrirent le feu d’un grenier sur un défilé de troupes rouges, abattant huit officiers et soldats, puis mirent le feu à leur abri et se donnèrent la mort. « Dans les usines de Csepel les anarchistes provoquaient la seule grève qui eut lieu en Hongrie après la libération. Avant de pouvoir prendre des proportions importantes, elle fut étouffée par les miliciens de Gabor Peter. 30 ouvriers, dont 24 militants anarchistes furent exécutés sur le champs. »
14. Christ, encore membre de la direction d’un mouvement de jeunesse de gauche, résistait à l’emprise des membres communistes qui durent provoquer une scission. Arrêté, il fut libéré par erreur et se réfugia à la campagne.
15. Le mouvement fut peu à peu liquidé. Christ et Korsakine se retrouvèrent deux ans plus tard à Budapest. « À cette époque la lutte pour l’avenir du pays se déroulait entre l’État et l’Église. Participation anarchiste à ce combat ? Il n’y avait plus rien à faire, nous étions mis hors-la-loi, recherchés par la police qui s’infiltrait partout, sans le moindre moyen financier. Les anciens camarades étaient tous disparus ou avaient abandonné leurs idées et étaient entrés au P.C. (d’où ils furent expulsés à la première purge).»
16. P.M. s’était réfugié en Italie. Christ et Korsakine gagnèrent la France où ce dernier mourut en décembre 1949.
Noir et Rouge N°4, 1956
Ferenc Szucs
Dans son numéro du 31 mai 1979, « Le combat syndicaliste » de Paris, hebdomadaire de la CNT en exil, publie un long article nécrologique de Felix Alvarez Ferreras sur Ferenc Szucs. Cet anarchiste hongrois venait de mourir le 6 avril 1979 à Budapest à l’âge de près de 70 ans des suites d’une longue maladie. Cet article donne peu de renseignements biographiques : Ferenc Szucs y est qualifié seulement d’anarchiste et d’anarcho-syndicaliste qui n’a jamais cessé de penser et d’agir comme tel. Plus connu sous le pseudonyme de Thomas Rezigl, il entretenait une correspondance suivie avec la « Escuela Moderna » de Calgary, « Tierra y Libertad » de Mexico, « Le Combat Syndicaliste » de Paris et des individualités du mouvement anarchiste international. Il a publié dans « Tierra y Libertad » deux articles : « Ecos de detras de la “Cortina de hierro”. El terrorismo en los Paises Socialistas » (Echos de derrière le « rideau de fer ». Le terrorisme dans les pays socialistes) dans le N°388 de septembre 1976, et « Las mujeres en el ejecito » (les femmes dans l’armée) sans date mentionnée.
Si peu de choses sont dites sur sa vie, il y a par contre de larges extraits de sa correspondance sur l’Espagne et la CNT de ces dernières années :
« Je suis content de savoir qu’à l’arrivée de nos amis en Espagne on a chanté l’hymne « A las barricadas » et non l’Internationale, qui est et fut depuis longtemps discréditée, compromise et usée, ruinée par les Partis Communistes. Et n’oublions pas cher ami d’être prudent parce que nous sommes entourés d’ennemis de toute part et principalement du côté du Parti Communiste qui essaie à tout prix de s’infiltrer dans nos milieux. »
(sans date)
« Attention aux faux pas des Commissions Ouvrières qui ne doivent pas être un instrument du P.C., d’aucune manière un Inter-syndicat, il faut la pluralité syndicale. Mais il y a un moyen, un seul moyen, fortifions de plus en plus les cadres de la CNT. Que les votants donnent leur vote au Partis qui leurs plaisent le plus, nous ne pouvons l’empêcher ; mais que le syndicat ne soit à la remorque d’aucun parti, cela nous pouvons l’empêcher. Nous devons, c’est le minimum pour l’instant, nous débarrasser des éléments marxistes et moscovites non seulement à la base, mais dans les Fédérations. Nous autres syndicalistes révolutionnaires nous ne sommes liés à aucun parti et nous ne voulons pas l’être, que les autorités espagnoles le sachent bien et qu’elles prennent bonne note de notre position. Nous sommes fédéralistes et notre lutte pour le moment est purement économique et libertaire. »
(Lettre du 5 juin 1977)
« J’ai lu dans « Le combat syndicaliste » la série d’articles de l’ami Balkanski. Ce n’est pas mal, j’ai l’impression que ce compagnon voit juste et très bien les choses. Merci de m’avoir envoyé le supplément du bulletin de l’AIT, c’est l’unique écrit que j’ai reçu depuis un an. Et n’oublions pas que le P.C. est l’ennemi N°1 des libertaires. C’est un régime totalitaire et il est très loin de notre conception, étant capable de nous détruire physiquement. Je crois que la position de J. Munoz Congost est la meilleure : « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous » Ils sont tous autoritaires, étatistes et ils n’ont rien de fédéraliste. »
(sans date)
- 1Chacun sait que Csepel fut en 1956 à la tête de l’offensive ouvrière et un des derniers bastions de la résistance où on continuait à forger des armes sous le feu de l’armée rouge. Déjà en mars 1919 la résolution de 20000 ouvriers de Csepel après s’être emparé des usines d’adhérer au P.C. Et de pénétrer en armes à Budapest pour révolutionner la ville et chasser le gouvernement avait été décisive. Le 10 août, 1000 ouvriers des centuries syndicales qui s’étaient rendus furent massacrés à la mitrailleuse par les franco-roumains (note de Noir et Rouge).