La Presse Anarchiste

En défense de NOWA

Nico­las : Tu nous as dit avoir un com­plé­ment d’in­for­ma­tion à faire par rap­port à l’ar­ticle « Lettre Ouverte aux édi­tions Indé­pen­dantes NOWA » de la Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka que nous avons publié dans notre der­nier numé­ro.Pio­tr Chruszc­zyns­ki : La Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka est à ce que j’en sais un organe de l’or­ga­ni­sa­tion des jeu­nesses socia­listes des étu­diants (SZSP), l’ap­pen­dice du PZPR dans le milieu de la jeu­nesse uni­ver­si­taire. Après août 80, la nou­velle situa­tion a per­mis à la base du Par­ti de cri­ti­quer l’ap­pa­reil, avec la consti­tu­tion de struc­tures hori­zon­tales. Une nou­velle orga­ni­sa­tion étu­diante indé­pen­dante venait d’être créée (le NZS) et les étu­diants quit­taient en masse le SZSP, soit pour rejoindre le NZS, soit, dans leur grande majo­ri­té, pour res­ter en dehors de toute orga­ni­sa­tion. Une cam­pagne de cri­tiques sem­blable à celle qui secouait le Par­ti a ame­né de nou­velles élec­tions au sein du SZSP, et de nou­veaux sta­tuts. Le contrôle de la base s’est alors fait plus visible.

C’est dans cette situa­tion que l’or­ga­ni­sa­tion de Var­so­vie a com­men­cé à édi­ter Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka qui s’est spé­cia­li­sée dans la cri­tique de la bureau­cra­tie et de la para­ly­sie des orga­ni­sa­tions diri­gées de façon auto­ri­taire (le Par­ti et le SZSP d’a­vant août 80), ain­si que dans celle plus raf­fi­née du KOR et de l’op­po­si­tion d’a­vant août 80, qui a don­né nais­sance aux ten­dances les plus poli­ti­sées de Soli­dar­ność. Ils ont alors publié des articles favo­rables aux struc­tures hori­zon­tales, et cet article que vous avez publié qui a essayé d’a­na­ly­ser avec d’autres ce qui exis­tait dans le pas­sé au niveau poli­tique et qui n’é­tait pas dis­cu­table avant août 80.

Ils posent le pro­blème de NOWA, les plus grandes édi­tions clan­des­tines de cette époque. NOWA a été créée avec le sou­tien du KOR, et elle fonc­tionne depuis 1977, sans d’ailleurs avoir essayé de léga­li­ser son exis­tence à l’é­poque de Soli­dar­ność. Très peu de leurs impri­me­ries ont été décou­vertes depuis qu’ils existent. Cet article a essayé d’a­na­ly­ser NOWA, qui a tra­duit et impri­mé des essais et des oeuvres étran­gers inter­dits par la cen­sure comme des ouvrages écrits hors de la cen­sure en Pologne. On a pu trou­ver à NOWA des tra­duc­tions de George Orwell, Ber­trand Rus­sel, Bohu­mil Hra­bal, Gün­ter Grass, comme des livres sur Pil­sud­ski, sur les mou­ve­ments de résis­tance non com­mu­niste lors du der­nier conflit ou sur le pro­gramme durant et après la guerre du Par­ti Socia­liste Polo­nais (PPS). NOWA était offi­ciel­le­ment plu­ra­liste et se pro­po­sait de publier des livres de toutes ten­dances poli­tiques hors de la cen­sure. Les cri­tères de choix com­pre­naient bien sûr l’in­té­rêt de l’ou­vrage selon les édi­teurs, les demandes du public et les pos­si­bi­li­tés maté­rielles d’im­pres­sion. Si je me rap­pelle bien, Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka cri­tique NOWA pour l’ab­sence de cer­taines ten­dances dans leurs publi­ca­tions, trots­kystes et aus­si anarchistes.

N.: Pour être pré­cis, de tout ce qui serait plus radi­cal qu’un cer­tain cou­rant socialiste.

P.C.: Oui. Je crois que dans un cer­tain sens c’est vrai. NOWA a publié au total un peu plus de 100 titres avant le 13 décembre. Étant don­née la situa­tion de la Pologne pen­dant des dizaines d’an­nées et le nombre impor­tant de livres polo­nais ou étran­gers inter­dits par la cen­sure, le pro­blème du choix s’est posé. J’es­saie de prendre là le côté par­ti­san des édi­teurs. Je consi­dère que dans ces cir­cons­tances et dans des condi­tions dif­fi­ciles, avec aus­si peu de titres parus, le choix poli­tique n’é­tait pas facile. Et il ne faut pas oublier bien enten­du l’in­fluence de l’o­rien­ta­tion poli­tique des membres de NOWA. Les condi­tions étaient dif­fi­ciles, car si les membres du KOR, pour des rai­sons de poli­tique inter­na­tio­nale, étaient rela­ti­ve­ment à l’a­bri, les col­la­bo­ra­teurs de NOWA étaient dure­ment répri­més. Plu­sieurs ont été pour­sui­vis pour des motifs de droit com­mun (vol, com­pli­ci­té d’as­sas­si­nat) mon­tés de toutes pièces par la police poli­tique. Pour en reve­nir au choix je vois ici en France plein de choses inté­res­santes qui n’ont pas été édi­tées par NOWA, mais je crois qu’il était vrai­ment dif­fi­cile de choi­sir. De plus NOWA n’a­vait pas de but poli­tique direct, et ils ont édi­té beau­coup d’œuvres lit­té­raires que l’on ne peut pas qua­li­fier de poli­tiques. D’a­près ce que j’en sais, cer­taines per­sonnes étaient payées. Les livres étaient ven­dus d’ailleurs, j’en ai moi-même ache­tés, et je com­pre­nais bien que NOWA devait être sou­te­nue finan­ciè­re­ment. Elle a d’ailleurs deman­dé offi­ciel­le­ment et à de nom­breuses reprises un sou­tien finan­cier. Cela leur a per­mis de don­ner de l’argent par exemple à Sta­nis­law Baranc­zak, un poète membre du KOR qui n’au­rait pas eu de moyens pour vivre sans ce sou­tien. NOWA aidait les gens inter­dits depuis des années ou même pour cer­tains, ils n’a­vaient jamais publié offi­ciel­le­ment. Le grand mérite de NOWA a été de ne pas se conten­ter de publier de grandes oeuvres du pas­sé ou étran­gères, mais aus­si des œuvres lit­té­raires ou poli­tiques polo­naises contem­po­raines. NOWA a créé la revue lit­té­raire Zapis qui per­met­tait aux per­sonnes inter­dites de publi­ca­tion de pré­sen­ter leur pro­duc­tion lit­té­raire, notam­ment de jeunes auteurs tels que Baranc­zak, Kry­ni­cki, Dymars­ki… comme des auteurs confir­més tels que Bran­dys, Andr­ze­jews­ki, Milosz…

N.: Connais-tu les « Archives de Gauche », liées à Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka, et qui se sont inté­res­sées à Mar­cuse p.ex auteur impor­tant que NOWA aurait pu publier ?

P.C.: Les édi­teurs de Nowa avaient leurs pré­fé­rences, mais de plus pour ce qui concerne la pen­sée d’ex­trême-gauche et liber­taire, la demande du public était très faible. Cela peut expli­quer cette absence dans leur cata­logue, et l’ar­ticle de Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka ne le dit pas. Si des gens res­sen­taient un manque dans les cou­rants poli­tiques publiés à cette époque, ils auraient pu créer leurs édi­tions. C’est ce qu’a fait ce groupe après août 80. Cepen­dant, il y a une chose fon­da­men­tale pour les Polo­nais qui peut ne pas être évi­dente pour les étran­gers. Quand quel­qu’un fait quelque chose, on regarde qui il est. Par exemple les gens de Nowa Gaze­ta Mazo­wie­cka ou de SIGMA sont liés au SZSP, et ils font par­tie de ce que nous appe­lons la deuxième ou la troi­sième ligne de l’ap­pa­reil. Quand les gens ont eu faim de livres et d’o­pi­nions inter­dits à la publi­ca­tion, le Par­ti a joué sur ce côté. Ils ont réus­si d’une cer­taine façon, mais plus à l’é­tran­ger qu’en Pologne. Les Polo­nais, eux, ont d’a­bord regar­dé qui ils étaient, même si ce qu’ils fai­saient pou­vait être inté­res­sant. Quand le Par­ti a per­mis au SZSP et à ses édi­tions de dif­fu­ser des opi­nions et des livres inter­dits, il l’a fait dans un esprit de concur­rence en regar­dant ce qui man­quait chez les adver­saires. Ils ont ain­si don­né des choses impor­tantes qui man­quaient aux édi­tions NOWA, du KOR, etc.

N.: As-tu des cri­tiques à faire à NOWA ?

P.C.: Oui et non. Beau­coup d’au­teurs ou de livres qui ne peuvent pas être soup­çon­nés d’être de gauche ou d’ex­trême gauche n’ont pas été publiés par NOWA. Je pense par exemple à cer­taines œuvres de Sol­jé­nit­syne, qui n’ont pas été publiées pour les mêmes rai­sons que les autres : manque de temps et de moyens, choix à faire…

N.: Que deviennent actuel­le­ment ces éditions ?

P.C.: Depuis le coup d’É­tat, elles sont au ser­vice de Soli­dar­ność clan­des­tin. Avant le 13 décembre, ils avaient déjà publié des livres pour le syn­di­cat : des études socio­lo­giques ou sur la sécu­ri­té du tra­vail par exemple. Les impri­me­ries de Soli­dar­ność étaient connues, celles de NOWA res­taient clan­des­tines. Les pre­miers tracts et jour­naux sor­tis sous l’É­tat de guerre pro­ve­naient en grande par­tie de leurs presses. Leur grande habi­tude de la clan­des­ti­ni­té a été très utile.

Paris, le 5 février 1983


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