La Presse Anarchiste

Notes de lecture

Las­lo Sekelj O ana­rhiz­mu (stu­di­ja o ana­rhis­ti­ckoj teo­ri­ji) Bel­grade-Zagreb, Biblio­te­ka Iza­zo­vi i Pitan­ja, 1982, 177p.

Ce recueil de plu­sieurs articles parus dans des revues de socio­lo­gie you­go­slave est très impor­tant, car ils sont de la même veine que celui que j’ai signa­lé dans Iztok nº4 en sep­tembre 1981 : «“La cri­tique mar­xiste de l’a­nar­chisme” de Las­lo Sekelj est éton­nante : au lieu de pon­cifs com­mu­nistes, on a un feu d’ar­ti­fice de contra­dic­tions de cri­tiques…». Sans exa­gé­ra­tion, on peut dire que c’est le pre­mier ouvrage sérieux paru dans un pays de l’Est et en You­go­sla­vie à trai­ter l’a­nar­chisme objec­ti­ve­ment et scientifiquement.

Le titre est déjà une indi­ca­tion : Sur l’a­nar­chisme (étude à pro­pos de la théo­rie anar­chiste). Et l’in­tro­duc­tion ne cite ni Marx ni Lénine, alors que par exemple la tra­duc­tion ser­bo-croate de L’A­nar­chisme de Gué­rin (Zagreb, 1980, livre pro­gram­mé depuis… 1968!) est accom­pa­gnée d’une intro­duc­tion à la sauce com­mu­niste habi­tuelle. On peut aus­si pen­ser que le faible tirage de l’ou­vrage (1.500 ex.) dans une col­lec­tion uni­ver­si­taire limite son audience. Ce serait le cas si son style était recherché.

La démarche de l’au­teur est nette : « L’a­nar­chisme est une théo­rie sociale à part entiè­reé (lit­té­ra­le­ment « u naj­si­rem smis­lu te reci » dans le sens le plus large de ce mot, p.4 de l’in­tro­duc­tion); « En dépit du fait qu’a­vec la pen­sée poli­tique moderne (Machia­vel) la notion d’a­nar­chisme est éga­le­ment accom­pa­gnée de celle de l’a­nar­chie dans le sens péjo­ra­tif, dans ce tra­vail l’a­nar­chisme est abor­dé comme n’im­porte quel autre phé­no­mène de l’his­toire de la pen­sée sociale. Il en découle que l’au­teur uti­lise les élé­ments habi­tuels de la métho­do­lo­gie scien­ti­fique : avant tout des bases com­plètes, objec­tives et contrô­lables.»

Quel est le résul­tat de cette approche ?

L’ou­vrage se com­pose de cinq articles : L’a­nar­chie et l’i­déal huma­niste de la socié­té juste ; L’a­nar­chisme en tant que cri­tique sociale ; La théo­rie anar­chiste de la révo­lu­tion ; La cri­tique anar­chiste du mar­xisme ; La cri­tique mar­xiste de l’a­nar­chisme. De par la jux­ta­po­si­tion des textes, on a une pro­gres­sion en spi­rale, c’est-à-dire que dif­fé­rents aspects de Prou­dhon, Bakou­nine et Kro­pot­kine sont don­nés, qui se com­plètent au cours de la lec­ture. Cela vient évi­dem­ment de la bonne connais­sance de Sekelj de ces auteurs, car cette méthode est sujette ou au dan­ger des redites. Un autre point fort de l’au­teur est sa clar­té dans l’ex­po­sé de sa vision per­son­nelle de l’a­nar­chisme : « Nous dis­tin­guons dans la théo­rie anar­chiste trois domaines : la cri­tique sociale, la théo­rie de la révo­lu­tion et l’i­déal nor­ma­tif. Cet idéal nor­ma­tif, qui repré­sente la valeur et le fon­de­ment tant de la cri­tique que de la révo­lu­tion les anar­chistes l’ap­pellent anar­chie, c’est à dire socié­té sans gou­ver­ne­ment.» (p. 6).

Autre exemple, à pro­pos du ter­ro­risme «… on ne découvre même pas dans un seul cas de lien direct ou indi­rect entre le rejet anar­chiste de l’É­tat et le ter­ro­risme poli­tique indi­vi­duel. En outre ni Ple­kha­nov (la vision mar­xiste), ni Zen­ker (l’o­pi­nion bour­geoise) ne nous ont don­né aucun argu­ment dans ce sens.» (p. 75). Cepen­dant Sekelj est empor­té par sa vision lors­qu’il écrit : « Les Fran­çais Rava­chol et Vaillant étaient des cri­mi­nels ordi­naires et c’est pour­quoi il y eut échec de la ten­ta­tive de la police fran­çaise d’im­pli­quer dans leurs atten­tats absurdes les repré­sen­tants de l’a­nar­chisme comme Grave, Faure et Pou­get.» (p. 79)

On peut regret­ter, puis­qu’il est ques­tion de Pou­get, que Las­lo se refuse à trai­ter de l’a­nar­cho-syn­di­ca­lisme, consi­dé­ré comme par­tie du mou­ve­ment ouvrier et donc exté­rieur au débat (p. 170, résu­mé en anglais).

On pour­rait mul­ti­plier les cita­tions impor­tantes sur Prou­dhon, Bakou­nine, etc. (j’ai tra­duit cer­tains de ces articles, mais les édi­teurs sont lents à lire). Ter­mi­nons par : « Du reste, pas une des trois phi­lo­so­phies poli­tiques révo­lu­tion­naires modernes ― le libé­ra­lisme, l’a­nar­chisme et le mar­xisme ― n’é­chappe à l’ac­cu­sa­tion d’u­to­pisme de son idéal social. À ma connais­sance, aucun de ces trois pro­jets d’i­déal huma­niste n’a jamais été réa­li­sé nulle part jus­qu’à pré­sent. Par consé­quent, dans ce sens, l’a­nar­chie est aus­si uto­pique que le sont le com­mu­niste mar­xiste et la démo­cra­tie libé­rale.» (p. 34).

Merak­lia


Alexandre Skir­da Nes­tor Makh­no, le cosaque de l’a­nar­chie édi­té par l’au­teur, 1982, 476 p., 110 francs (Librai­rie Autres Rivages, 67 rue Saint-Jacques, 75005 Paris)

Il pour­rait sem­bler que le sujet est pure­ment his­to­rique et sans rap­port avec le pré­sent. En fait, le samiz­dat cité dans Nou­velles du Front dans ce même numé­ro montre que les Sovié­tiques sont à la recherche de leur pas­sé, en par­ti­cu­lier des évè­ne­ments qui démontrent les men­songes du PC. Makh­no et les Makh­no­vistes sont en effet un des lieux com­muns de la fal­si­fi­ca­tion de l’his­toire et de la pro­pa­gande marxistes-léninistes.

Le livre de Skir­da est la syn­thèse la plus com­plète publiée à ce jour sur le sujet. On y trouve des docu­ments inédits de Makh­no (notam­ment un pro­jet de décla­ra­tion dis­tri­bué dans les ter­ri­toires libé­rés par les Makh­no­vistes tra­duit du bul­gare, parce que l’o­ri­gi­nal russe a été détruit ou « caché » par les com­mu­nistes). Par­mi les docu­ments qu’on peut consi­dé­rer comme inédits, il y a des articles de com­mu­nistes sovié­tiques publiés dans des revues à faible tirage, pour les spé­cia­listes du par­ti, et dont le conte­nu va même jus­qu’à être élo­gieux pour Makhno.

Un autre aspect fort impor­tant de cet ouvrage est la des­crip­tion très résu­mée de l’en­semble de la révo­lu­tion russe, dans laquelle s’in­sère le mou­ve­ment makh­no­viste. On s’a­per­çoit qu’à plu­sieurs moments l’ar­mée Rouge de Trots­ky était à deux doigts de perdre. Et c’est soit la mal­chance qui a fait que les mar­xistes sont res­tés au pou­voir pour écra­ser le peuple, soit l’ab­sence d’un réseau d’in­for­ma­tion. Car au moment où les Makh­no­vistes lut­taient en Ukraine, ils igno­raient l’am­pleur de cer­taines rebel­lions dans d’autres pro­vinces, qui allaient dans un sens libertaire.

Aujourd’­hui encore, les infor­ma­tions cir­culent mal et tar­di­ve­ment dans les milieux sovié­tiques dis­si­dents, d’où l’im­por­tance des sta­tions de radio dans les langues des Pays de l’Est (mal­heu­reu­se­ment domi­nées par les démo­cra­ties occi­den­tales qui filtrent énor­mé­ment les don­nées dont elles disposent).

Ce livre, très riche en infor­ma­tions, donne en même temps une vision glo­bale sur la révo­lu­tion russe, en insis­tant sur ses temps forts et tout en don­nant une des­crip­tion presque exhaus­tive du mou­ve­ment makhnoviste.

Aspa­rukh


Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste