Il nous paraît opportun de faire ici le point sur quelques publications et éléments nouveaux parvenus à notre connaissance depuis la parution de notre étude, fruit de dix-huit années de recherches et de vérifications, c’est-à-dire loin d’être improvisée, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des publications sur le thème. En général, on y fait passer en avant l’aspect sensationnel de certaines accusations ou affirmations de façon à rejeter dans l’ombre le véritable sens du mouvement insurrectionnel makhoviste. Telle est, par exemple, la publication de Pavel Litvinov (le petit-fils du ministre des affaires étrangères de Staline) d’un texte samizdat (auto-édition clandestine), intitulé « Nestor Makhno et la question juive ». L’auteur s’efforce de démontrer que Makhno n’a jamais été antisémite bien au contraire, qu’il « mérite que les Juifs l’estiment et honorent sa mémoire.»Démarche assez sympathique si, en fait, elle ne consistait pas à enfoncer des portes largement ouvertes, car ainsi que nous l’avons indiqué, même les études historiques bolcheviques ont toujours démenti cette absurde accusation […] En dehors de certaines inexactitudes ― Makhno aurait travaillé à Paris comme technicien de cinéma ! ― cette étude mérite d’être connue, surtout en Israël et chez les lecteurs juifs, étant donné que beaucoup d’entre eux sont encore victimes des « rumeurs » sur Makhno. Par contre, elle n’apporte rien de nouveau aux lecteurs occidentaux qui peuvent disposer de textes et d’ouvrages beaucoup plus complets sur le thème ; aussi il est difficile de comprendre la publicité à sensation que lui ont donné certains anarchistes français et italiens.
A. Skirda, postface à « Nestor Makhno, La lutte contre l’État et autres écrits (1925 – 1932)», P.P. Ducret, pp. 133 – 134.
C’est le collectif Iztok qui a reçu et traduit « Nestor Makhno et la question juive » paru en italien dans A. Rivista Anarchica (11/1983), édité en France par Volonté Anarchiste (34 rue de Fresnes, 92160 Antony) en avril 1984. L’auteur de ce texte vivant en URSS, Iztok tient à faire une mise au point à propos des erreurs historiques véhiculées par l’extrait reproduit ci-dessus. Erreurs d’autant plus déroutantes qu’elles viennent d’un historien dont nous avons loué le sérieux de ses ouvrages (Iztok no6 ).
L’auteur du samizdat en question ne s’appelle pas Pavel Litvinov, mais V. Litvinov. Son texte est daté du 18/06/82 et circule depuis à Moscou, alors que Pavel Litvinov (petit-fils du ministre de Staline, mais aussi l’un des dissidents les plus combatifs) avait quitté l’URSS… au milieu des années 70, pour se rendre aux USA où il enseigne la physique.
À force de chercher, on finit par trouver chez les historiens bolcheviques eux-mêmes des éléments qui infirment la calomnie officielle pesant sur Makhno ; il n’en demeure pas moins que ce sont ces historiens qui ont accrédité et contribué à cette calomnie. Prétendre, comme M. Skirda, que « même les études historiques bolcheviques ont toujours démenti cette absurde accusation » c’est se méprendre sur la nature de l’historiographie soviétique (qui sous-tend, nourrit et légitime les campagnes idéologiques les plus abjectes, tout en fournissant des éléments corrects de temps en temps afin de garder un minimum de crédibilité) et méconnaître la réalité soviétique comme nous le verrons ci-dessous.
L’«inexactitude » sur la profession de Makhno relevée par l’historien français n’est pas le fait de V. Litvinov, mais de l’ex-émigré blanc Rochtchine dont les propos sont cités en raison justement de leur « caractère absurde » (p. 11 de l’édition française). L’intérêt de ce texte cité par Litvinov est multiple. Il démontre que certains Russes Blancs considéraient aussi Makhno comme « l’un des organisateurs des plus féroces pogroms » (p. 12) et que les autorités soviétiques n’hésitent pas à se servir de telles allégations afin de mieux étayer leur calomnie. La partie consacrée au « brigand antisémite » Makhno dans le Journal parisien de Rochtchine a été reprise par le journal soviétique La Voix de la Patrie (no46) en novembre 1978. Bref, les calomnies contre Makhno sont toujours d’actualité. V. Litvinov le rappelle en s’appuyant sur de multiples faits incontestables. Qu’il retienne de ce « témoignage » un unique fait, la profession de Makhno, qui est aussi faux, est regrettable d’un pur point de vue historique, mais il est vrai qu’il est plus facile de vérifier soigneusement ses sources sur l’exil de Makhno à Paris qu’à Moscou.
Si nous avons collaboré à la parution de ce texte, ce n’est pas en raison du caractère « sympathique » de la démarche de son auteur, mais à cause de son enjeu historique et idéologique comme nous venons de le suggérer (pour plus de détails, se reporter à la brochure et à sa préface française). Pour finir, une bonne nouvelle : V. Litvinov nous a fait parvenir un nouveau travail sur Makhno, portant sur l’année 1920 et étudiant les rapports entre la Makhnovtchina et l’armée bolchevique. Il est en cours de traduction, et sa publication est à l’étude.
Le collectif Iztok