Retenons de cette période le texte paru sous le titre « Belgrade, 23 décembre 1930 » et reproduit dans le nº3 du Surréalisme au service de la Révolution :
« Tout un monde contre tout un monde.
Le monde de la dialectique infinie et de la concrétisation dynamique contre le monde de la métaphysique mortuaire et de l’abstraction statique et empâtée. Le monde de la libération de l’homme et de l’irréductibilité de l’esprit contre le monde de la contrainte, de la réduction, de la castration morale et autre. Le monde du désintéressement irrésistible contre le monde de la possession, du confort et du conformisme, du piteux bonheur personnel, de l’égoïsme médiocre, de tous les compromis…
Il est grandement temps pour l’homme de s’octroyer ses droits et non pas de les demander. Sur la voie de la concrétisation de l’homme, cette intégration idéale de notre insistance totale, il nous apparaît clairement qu’en présence de tout ce qui sur cette voie signifie un obstacle ou un empêchement, notre révolte ne peut que prendre le caractère d’une action incessante, violente et destructrice… Et tout cela nous cite finalement devant la nécessité d’un bouleversement général du monde, auquel seul aujourd’hui nous nous sentons appelés à collaborer. Et sur cette voie de la totalisation du destin de l’homme ou de sa perdition, nous sommes prêts à accepter les uniques directives réelles dictées par les conditions données et matérielles de cette perturbation, qui excluent tout arbitraire, toute labilité morale et tout chassé-croisé intellectuel. »
Hélas!, bien peu des signataires de cette déclaration se sont maintenus à la hauteur de la révolte sans conditions qui s’y trouve exprimée. Dès 1933, sous l’influence de Miroslav Krleza, écrivain prolifique, proche du parti communiste, mais opposé aux thèses jdanovistes sur la culture, Marco Ristic se détache progressivement de Breton, et participera à la revue Pecat à Zagreb. Après la guerre, rallié au régime titiste, il deviendra ambassadeur à Paris tout en poursuivant une carrière de poète officiel. Un Kotcha Popovic deviendra chef d’état-major et vice-président de la république… Aragon et Eluard, on le voit, ont fait école…
Ainsi, du fait essentiellement de la récupération par le parti de ses anciens initiateurs, il n’y a plus en Yougoslavie de mouvement surréaliste authentique après la guerre. L’influence surréaliste n’en continuera pas moins de s’exercer souterrainement sur des individualités isolées. Ainsi le poète et auteur dramatique Radovan Ivsic, né en 1921, dont nous présentons ci-dessous une intervention, devra renoncer en 1948 à poursuivre son activité théâtrale dans son pays et rejoindra le groupe surréaliste de Paris en 1959.
Joel G.
Éléments bibliographiques :
Hormis les revues surréalistes serbes citées plus haut, et qui sont introuvables, on peut se référer aux textes suivants :
- « Le Vampire » présenté par Monny de Boully in La révolution surréaliste no5.
- « Belgrade, 23 décembre 1930 » in Le surréalisme au service de la Révolution no3.
- Marco Ristic, « L’humour attitude morale » in S.A.S.D.L.R. no6.
- Dusan Matic, « La pêche trouble dans l’eau claire », ibidem.
- Vane Bor, « Lettre à Salvador Dali », ibidem.
Signalons en outre : le livre de Dusan Matic, « André Breton oblique », et son échange de correspondance avec le stalinien Jouffroy, paru dans la revue Opus nº19 – 20 ; la notice sur le surréalisme serbe et croate paru dans « Le domaine poétique international du surréalisme » (no29 – 30-31 de la revue Le puits de l’ermite); la thèse de Hanifa Kapidzic-Osmanagic, Le surréalisme serbe et ses rapports avec le surréalisme français, éd. Les belles lettres, 1968.