Pour comprendre pourquoi les informations sur la presse et les initiatives spécifiquement libertaires circulent si mal, il faut rappeler, outre les conditions de la clandestinité, l’unanimisme souvent réducteur qui règne tant en Pologne qu’à l’étranger au sujet du mouvement social dans ce pays. Ainsi, nous n’avons appris que récemment l’existence de Homek (petit homme), « revue libertaire pour la jeunesse » paraissant à Gdańsk. Il semble que cette revu, ait un impact considérable sur la jeunesse. Selon le témoignage d’une enseignante, recueilli par la Coordination de Solidarność à l’étranger, Homek circule principalement dans les écoles d’enseignement professionnel. En exergue de chaque numéro : « Chaque homme a le droit non seulement de pratiquer mais aussi de créer sa propre culture, sa religion, sa vision du monde et son éthique. »
Les élections sont terminées
Pour leurs organisateurs — les autorités communistes — peu importait de savoir lequel de leurs candidats allait être élu, lequel devait échouer. L’enjeu était un qu’un maximum de la population accepte, ne serait-ce que symboliquement, la prétendue normalisation ; que les citoyens participent aux « élections ». « S » [[Abréviation commune pour Solidarność dans la presse clandestine.]] a adopté une position strictement opposée : le boycott. Le 17 juin 1984, jour des élections municipales, doit donc être considéré bien davantage comme une épreuve de force entre l’opposition et les communistes. Tous deux ont déjà publié leurs résultats les mass média gouvernementaux triomphalistes affichent 75% environ de participation, soit « un ferme soutien de la majorité absolue », et « l’expression de la confiance envers le programme du Parti et du gouvernement» ; plus modéré, « S » lui aussi inscrit le 17 juin à son actif, puisque les autorités de la RPP ont été contraintes d’avouer la participation la plus basse de l’histoire des démocraties populaires — chiffre pourtant artificiellement gonflé.
Eh bien, en vérité, qui a gagné ces élections ? À mon avis, hélas, ce sont les communistes qui les ont gagnées. Tout compte fait, c’est « S » lui-même qui leur a offert la victoire. En écartant la conception du « boycott actif » (ramassage des bulletins) et en appelant à l’abstention, il a mis dans une situation délicate beaucoup de gens qui, tout en étant « contre », ne tiennent pas à s’attirer des ennuis dans un contexte déjà pénible. En plus le boycott a permis aux rouges de falsifier les résultats, mais il n’a pas prédéterminé notre défaite. Les furieuses calomnies jetées sur la manifestation de Nowa Huta prouvant indubitablement que les communistes n’avaient pas peur de la passivité — ils avaient peur des actes. Hélas, dans le pays ça a été la seule véritable manifestation. Varsovie et Gdańsk en ont organisé des « symboliques ». À Gdańsk, à l’appel de l’Entente des Groupes Indépendants « Liberté » (PGN«W ») [[Afin de coordonner le travail autant en période pré-électorale que dans le futur, plusieurs groupes et organisations indépendantes se sont associés en PGN « W ». Le PGN « W » a diffusé des tracts appelant à boycotter les « élections » et à organiser des manifestations anti-électorales dont la principale devait démarrer à midi, du parvis de l’église Sainte-Brigitte. Dans ces tracts, distribués entre autres le jour des élections, le PGN « W » affirmait que les actions entreprises ne seraient pas contraires aux positions du RKK « S », tout en se réservant le droit des initiatives propres.]], entre vingt et trente mille personnes se sont présentées dans la rue Rajska et sur le parvis de l’église Sainte-Brigitte, d’où la manifestation devait démarrer à 12 heures.
Mais précédemment, à trois reprises au cours de la messe, le père Jankowski s’époumonait par mégaphone au sujet d’une provocation d’origine ubèque [de UB, police politique] ou encore sur des forces « ennemies, non-catholiques et non-chrétiennes » (tout cela à propos des tracts du PGN « W »), en suite de quoi il a appelé à se disperser dans le calme et à rentrer chez soi. Après la messe, des tracts informatifs sur le PGN « W » ont été diffusés, qui appelaient à boycotter les élections. Plusieurs centaines de personnes, y compris des représentants des commandos « provocateurs », se sont réunies autour du prêtre devant le presbytère (flagrant, le mensonge sur la provocation) pour réclamer des explications. Il en a fourni « Moi et ces messieurs (parmi l’assistance, Lech Walesa qui faisait son intelligent) estimons que les gens doivent se disperser…» Nous voilà donc devant une deuxième « ligne seule à être juste » — après celle des rouges — et quelques messieurs qui savent mieux qu’une foule de plusieurs milliers de personnes ce dont les gens ont besoin. Eh bien, si l’on tient à conserver son autorité d’opposant sans rien faire, il faut détruire toutes les initiatives nouvelles. La foule est restée quelque temps dans la rue Rajska, a accueilli avec des sifflements et des lazzis les électeurs sortant du local situé au Petit Moulin (« Sale porc, pour qui tu votes ? »), et a fini par se diluer, déçue, démolie, cédant devant les patrouilles des Zomos endimanchés…
Ainsi, nous avons perdu, et la défaite de Gdańsk est particulièrement cuisante car elle a donné naissance au doute. Je ne sais pas quelles ont été les motivations du père Jankowski pour qu’il trompe la foule. Peut-être était-il intimidé par la SB, peut-être s’est-il pris pour un guide. En tout cas, s’il avait réfléchi, s’il avait su tirer des conclusions de l’histoire, il aurait appris ceci : apaiser les esprits, couper artificiellement les leaders de la société, tout cela mène directement au terrorisme. Au moment où la société abandonne la révolution en ne laissant sur le champ de bataille que des desperados isolés, il ne reste à ces derniers qu’à entreprendre des actions individuelles — arme, poignard ou bombe à la main.
En Pologne, nous avons évité ce danger uniquement grâce aux manifestations massives. Si toutefois le terrorisme devient un jour la réalité, la faute en devra être attribuée, qu’ils le veuillent ou non, aux gens du genre du père Jankowki.
Le cinéma érotique polonais
Le cinéma érotique polonais est pudibond. D’abord, il craint de montrer le corps de la femme et de l’homme. Ensuite, il n’est pas capable de le faire. Un oiseau rare à l’ombre de notre clocher, c’est Walerian Borowczyk avec son Histoire d’un péché (Les Conte immoraux et La Bête ayant dû être tournés en France). Dans la conception cinématographique de Borowczyk, l’érotisme est une contestation de la censure. Bon. Borowczyk. Et après ? Après, il existe quelques scènes érotiques d’une bonne qualité plastique dispersées dans différents films (La Terre de la grande promesse, La Perle dans une couronne, Cauchemars) — et après, il n’y a rien. Et après, il y a la censure, l’interdit, la crainte et la honte.
L’objet de mes réflexions, c’est un érotisme authentique, un jeu filmé des sens et des tensions, et non pas ces simili-strip-teases, partiels ou intégraux, qui sont apparus dans le cinéma polonais des années soixante-dix et ont même su conquérir le public bourgeois. L’époque stalinienne et ce qu’on faisait alors en Pologne (ce qu’on fait en Russie jusqu’aujourd’hui), je préfère ne pas y penser.
« Les pays à système totalitaire sont facilement reconnaissables ne serait-ce que d’après le strict asexualisme régnant sur les écrans : toute émotion individuelle y est censée s’effacer totalement devant cette émotion collective qu’est l’amour pour le maître », écrit Lo Duca, érotologue français. Il suffit d’évoquer une production stalinienne de Konwicki, L’Heure de la tristesse, narrant une réunion du Parti où le collectif condamne un des militants pour avoir trompé sa femme. De même, dans 1984 de Orwell, la seule résistance à laquelle se décident les héros, c’est un amour pur et libre, amour illégal, interdit, contraire aux lois. Leur résistance sera brisée en associant cet amour à une sensation de répugnance. Août 1980 a débloqué de nombreux sujets interdits (drogue, prisonniers politiques, contre-culture), mais c’est surtout sur le plan politique qu’Août nous a embrasés. Après le 13 décembre 1981 par contre, quand la neige a fondu, que les gaz se sont dispersés et que la littérature, le théâtre et le cinéma ayant quelque chose à dire se sont vus interdits de diffusion, ce n’est qu’alors qu’est nettement apparu un vide. Il fallait bien le colmater. Dans une scène de La Testuriade, pièce de Mrozek, la cour et le peuple attendent le prophète. La cour finit par s’impatienter, le peuple par se révolter. Désireux de le calmer, la suite du monarque décide de lui montrer une femme nue. La femme et ses charmes calment et apaisent la révolte — eh bien, c’est précisément cela. À quoi bon tourner des films qui échoueront dans les archives de la censure ou écrire des livres qui ne seront jamais édités ? Une main experte a allumé la mèche, l’explosion s’est faite. Une explosion de l’érotisme polonais. Autorités scientifiques, écrivaillons, journalistes, filmologues, paysans, ouvriers et (à la grande joie des lycéens) professeurs. On en est venu à autoriser l’érotisme car il devait servir le pouvoir. Les naturistes sont entrés en vogue (sans pourtant être nés hier leurs « activités » remontent à une dizaine d’années) et par la suite les sex-shops sont devenus un sujet à la mode. La discussion sur la pornographie s’éternisant dans Polityka (dommage que ça ne soit pas dans la politique), les élections de Miss Polonia mises en scène par le réaliste-socialiste Wowo Bielicki…
Et enfin, les films. Je ne suis pas ennemi des films de divertissement, car dans ce domaine également on note des productions adroites et à la hauteur (Le Grand Szu de Checiński, Sexmission de Machulski), mais le gros du lot, c’est de la camelote (Feux magiques de Kidawa, Thaïs de Bareja). L’intérêt de Fantôme de Marek Nowicki repose uniquement sur les photos de Soboiński. Je m’abstiens de commenter les films bêtes et ennuyeux (Ce n’est que le rock, Les années vingt, Les années quarante).
Soyons clairs l’érotisme, ce n’est pas le culte du corps et le divertissement. L’érotisme est le culte des sens et le combat contre des entraves culturelles et étatiques. En Allemagne fasciste et en Russie soviétique, le culte du corps revêtait tout un caractère idéologique (les muscles bandés, le front large et levé, le corps vigoureux, c’est la force, la puissance). De telles statues, sculptures et tableaux sont complètement dépourvus d’érotisme. Les statues bordant le Palais de la Culture et de la Science à Varsovie, puissants à la poitrine carrée dénudée, un vilebrequin à la main, peuvent-elles être belles et érotiques ?
Quand est-ce que le cinéma érotique polonais se débarrassera enfin de ses blocages, quand est-ce qu’il pourra se montrer au grand jour ? À mon avis, cela ne pourra se faire avant qu’il ne cesse de servir d’écran de fumée au pouvoir, avant qu’il ne se mette à simplement être, et non pas à être dam un contexte quelconque (celui de la politique culturelle ou autre…). « Tout ce qui est beau n’est certainement pas de la pornographie », dit Borowczyk. Pour le moment, nous avons Feux magiques, polar gênant par son niveau bas, avec Gogolewski en vedette, un concours de poésie marine (c’est-à-dire, qui parle du cul de Marinia) [[Jeu de mots difficilement traduisible. L’expression polonaise « parler du cul de Marinia » signifie « parler pour ne rien dire » (NDT).]], ainsi que la censure des films occidentaux.
Jacek Misa
Certains commentaires concernant notre revue et notre mouvement nous taxent — à tort — de communisme (en raison de nos critiques à l’égard de l’Église et de la religion) ou de libéralisme (pour les raisons déjà évoquées auxquelles s’ajoutent notre apologie de la Liberté et de l’Homme). Les deux textes qui figurent ci-dessous devraient dissiper ces malentendus et expliciter notre attitude envers le communisme et la démarche libérale. Ils n’ont qu’un caractère d’ébauche.
La rédaction
Anarchisme et communisme
Pour avoir une idée sur la question, il suffit de consulter le dictionnaire des termes étrangers édité par le PWN (Éditions scientifiques d’État) au mot anarchisme. Les épithètes y remplacent l’information « mouvement petit-bourgeois socio-politique utopiste ». Mais abordons notre sujet. Contrairement au communisme, l’anarchisme n’a jamais divisé les gens en classes, il a toujours parlé de la société, même si « aucun mouvement politique opérant parmi les ouvriers n’a eu un caractère aussi fortement ouvrier dans sa dimension sociale ; la majorité des théoriciens et leaders étaient issus du peuple artisans, ouvriers d’usine ou travailleurs agricoles » [[Franciszek Ryszka, Anarchizm szy wolność (L’anarchisme ou la liberté), Éd. KAW, Varsovie, 1981.]]. Malgré leurs ardents désirs la plupart des communistes n’ont pas pu (ni ne peuvent) justifier d’une pareille origine. D’où la recherche dans Solidaność des juifs, francs-maçons, post-staliniens et agents de la CIA ; et l’insistance furieuse avec laquelle on « dénonce » l’origine « compromettante » de nombreux militants en vue. Pas la peine d’être psychologue pour détecter là-dedans un complexe qui ronge « l’avant-garde du prolétariat ». Mais c’est la différence des notions de propriété, de pouvoir et de liberté qui creuse entre les deux un abîme infranchissable. L’objectif de l’anarchisme est de socialiser les moyens de production alors que le communisme les étatisent en faisant de l’État le pire des capitalistes. L’anarchisme tend à supprimer le pouvoir, à le remplacer par la solidarité sociale ; le communisme, lui, a introduit une « période transitoire de dictature du prolétariat » où une poignée de despotes (« l’avant-garde ») contrôle la totalité de la vie sociale. Pour un communiste, « la liberté c’est la nécessité consciente », autrement dit la résignation à l’esclavage ; l’anarchisme ne connaît aucune contrainte. La révolution marxiste devait éclater à la suite de l’intensification de la lutte des classes et viser la prise du pouvoir ; les anarchistes prônaient la nécessité d’une révolution éthique et la suppression de tout pouvoir. Il ne serait peut-être pas inutile d’ajouter que l’anarchisme a toujours été spontané, qu’il rejetait les autorités et les modèles de comportement tandis que les communistes plaçaient partout où c’était possible portraits et statues de leurs prophètes (le MELS — Marx, Engels, Lénine, Staline); ils leur érigeaient des autels et entouraient d’une vénération plus que religieuse les objets leur ayant appartenu, après les avoir transformés en reliques. Le gouffre entre le communisme et l’anarchisme est insondable c’est le gouffre qui sépare la pleine Liberté du plus dur des totalitarismes.
L’histoire en fournit des preuves qui n’étonneront personne, puisque les communistes ont toujours vu dans l’anarchisme un grand danger. Marx lui-même a lancé la lutte contre « le danger noir ». À titre d’exemple, dans une des lettres adressées à Engels, il exprime sa joie devant la victoire remportée par la Prusse sur la France en 1870, victoire qui était en même temps celle de leur théorie sur celle de Proudhon. (L’anarchisme proudhonien jouait en France un rôle prépondérant.) On connaît également l’épisode des calomnies diffusées par Marx sur le compte de Bakounine, son concurrent au forum de l’Internationale. Les socialistes du PPS‑D (Parti polonais social-démocrate), qui eurent à résoudre de manière marxiste par excellence leur conflit avec le groupe anarchiste lié à Makhaïski (ce groupe fut dénoncé à la police autrichienne par le PPS‑D), furent également de bons émules de Marx. Ensuite, les bolcheviks noyant dans un bain de sang la révolte des ouvriers de Petrograd et de Kronstadt, les communistes espagnols assassinant des anarchistes qui combattaient contre Franco et minant ainsi le front antifasciste, ou encore tous ces films contemporains de propagande selon lesquels la « justice anarchiste » consiste à jeter à la mer des marins et des vieilles femmes et où se déchaîne cet « ataman cinglé de Maklmo ». Manifestement, les « méthodes polémiques » de ceux pour qui le pouvoir est la valeur suprême demeurent inchangées.
Jerzy Delimsky
Anarchisme et libéralisme
Le libéral et l’anarchiste se rejoignent dans leur conception commune de la liberté comme absence de toute contrainte. Mais… il y a un « mais ». Notre liberté s’arrête là où commence celle d’autrui. Le libéral ne croit pas que le fonds de l’homme est bon et afin d’empêcher la domination d’un individu sur un autre, il crée et impose la loi définissant les limites de la liberté. La loi qui exprime ses opinions sur le bien et le mal, loi la même pour tous, supérieure à tous. Il oublie dans le même temps que c’est quelqu’un qui crée la loi et qui, de ce fait, se trouve placé au-dessus des autres (c’est toujours ainsi dans la vie sociale).
Selon l’anarchiste, l’homme a un bon fonds. Si ses actes sont mauvais, il faut en chercher les causes dans la culture, la politique, la religion… En effet, irais-tu tuer — sans raison — un autre homme ? Eh bien, le soldat tue il tue des gens à qui il n’en veut pas personnellement, qu’il ne connaît même pas. Il agit ainsi car l’État le lui impose, ou la Nation, ou Dieu…, autant de notions creuses derrière lesquelles se dissimule le pouvoir. Selon l’anarchiste, l’homme est bon et toute limitation de sa liberté, aussi petite soit-elle, est inutile. Qui plus est, c’est elle qui engendre le mal. Bakounine écrivait : « On ne saurait priver l’homme d’une parcelle de sa liberté sans le priver de liberté en entier. Cette parcelle que vous m’enlevez est l’essence de ma liberté, elle est tout ; par la force des choses, ma liberté tout entière ira se concentrer sur cette particule précisément, même si elle n’est que minime. » Je trouve que c’est le principe de la réciprocité qui devrait définir les limites de la liberté (ne) fais (pas) à autrui ce qui t’es (dés)agréable, permets-lui ce qu’il te permet. La réciprocité est un jeu qui se joue entre les gens et qui ne leur est pas — comme la loi — supérieur.
Selon le libéral, l’essence de la démocratie ce n’est pas la volonté de la majorité (la majorité, tout comme la minorité, peut se tromper), mais l’autorité de la loi. Pour défendre la loi (et la liberté) on admet l’emploi de la contrainte à l’encontre de ceux qui violent la loi. Pour que la contrainte puisse être appliquée, un pouvoir doit exister : l’État comme appareil de contrainte. L’anarchiste refuse le pouvoir et la contrainte car tous les deux restent en contradiction flagrante avec la liberté. Cela ne signifie pas la tolérance face au mal (le silence devant le mal est un crime): tout simplement, on ne saurait combattre le mal par le mal (la force). Il faut éliminer les sources du mal enraciné dans le système et les relations sociales, et non pas lutter contre les individus qui trop souvent n’en sont que des victimes.
Pour le libéral, le terme liberté évoque principalement la liberté économique, la libre concurrence, le jeu des forces économiques (et politiques). Ce jeu est volontaire et il est bénéfique pour tout le monde (l’homme décide lui-même s’il veut jouer et comment il veut le faire, et la loi la même pour tous donne à tous des chances égales). Le sens de la vie trouve son expression dans le mot d’ordre : « Assujettissez-vous la terre» ; sa valeur consiste dans le travail. Le libéralisme ne se rend pourtant pas compte du fait que l’égalité devant la loi n’équivaut pas à l’égalité des chances un fils de millionnaire ou de professeur a plus de chances qu’un fils d’ouvrier, ce qui n’a rien à voir avec le travail fourni.
Le libéral oppose la justice (égalité des chances) à ce qu’on appelle la justice sociale (égalité des résultats). Celui qui se met au service du pouvoir voit ses besoins fondamentaux satisfaits. Mais quels sont ses besoins fondamentaux ? Il y a bien quelqu’un qui en décide. En l’absence de critères précis, l’emporte l’arbitraire de la personne qui juge (la bureaucratie d’État) son pouvoir croit, ne rencontrant pas d’obstacles ; son développement engloutit une part de plus en plus grande de revenus, si bien que l’État n’est plus capable de satisfaire les besoins des travailleurs. Désirant conserver le pouvoir, la bureaucratie recourt à la terreur c’est là un abrégé de l’histoire du communisme. Les libéraux oublient pourtant que le marché libre est un jeu très brutal et qu’il aboutit souvent à la mort des plus faibles. Je trouve que les besoins fondamentaux de chaque individu (nourriture, logement, enseignement, soins médicaux) doivent être satisfaits, ne serait-ce que pour lui éviter — ayant perdu dans le jeu du marché libre — de prendre sa revanche sous la forme d’un « paradis terrestre », œuvre de prophètes de la justice sociale. En ce qui concerne le travail, il n’est pas une valeur en soi ; le travail est simplement un moyen de satisfaire les besoins de l’homme.
Une des valeurs fondamentales du libéralisme est la propriété (privée). Pour le libéral, elle est un droit sacré ; pour l’anarchiste (Proudhon), « la propriété, c’est le vol » (commis au préjudice de la société tout entière). J’estime que la propriété des moyens de production devrait être remplacée par l’usage ; autrement dit, que le maître du champ ou de la machine devrait être celui qui y travaille (le paysan ou l’ouvrier) et non pas un bourgeois ou un bureaucrate ; le fruit du travail appartiendrait à celui qui l’a produit et non pas au propriétaire parasite…
Et pour finir, les libéraux jugent que l’homme ne devrait pas intervenir dans les mécanismes du marché libre (dans le cas de la RPP [[République Populaire Polonaise. L’emploi de ce sigle dans la presse clandestine est toujours connoté d’ironie (NDT).]], cette question n’est plus d’actualité). Ils ignorent pourtant le fait que sans l’intervention de l’homme (lois anti monopoles, prestations sociales, etc.), les visions qui animaient Marx d’une révolution accomplie au nom de la justice sociale seraient devenues depuis longtemps une réalité en Europe occidentale.
Adam Rabe