La Presse Anarchiste

Les fils de famille noble

1 Sui xiang lu [au fil de la plume] Librai­rie San­lian, Pékin, 1987, t. 2, pp. 776 – 777.

Le pro­blème des fils de famille noble 2 Yanei, lit­té­ra­le­ment : «[les enfants qui viventl à l’in­té­rieur du Yamen. L’ex­pres­sion dési­gnait, dans la Chine ancienne, les enfants du fonc­tion­naire qui repré­sen­tait l’Em­pe­reur dans cer­taines villes, et qui habi­taient avec leur père dans le bâti­ment ser­vant à la fois de siège admi­nis­tra­tif et de demeure. On l’u­ti­lise aujourd’­hui à pro­pos des enfants de hauts cadres du régime com­mu­niste., en fait, j’y réflé­chis depuis déjà long­temps. Dès que les jour­naux se taisent, les rumeurs 3Lit­té­ra­le­ment : « les infor­ma­tions du petit canal ». vont par­ti­cu­liè­re­ment bon train : « le fils d’un tel ou d’un tel a com­mis tel acte », « le fils d’un tel ou d’un tel a été arrê­té ». Ce genre de phrases cir­cule long­temps. À mesure que les tenants et les abou­tis­sants de leurs affaires se répandent, on prend la mesure de leur gra­vi­té. Fina­le­ment, arrive le jour où l’on pro­nonce une condam­na­tion publique et où on les mène sur le lieu de leur exé­cu­tion. Les affaires impli­quant les fils de ces gens, en effet, confor­mé­ment à une de ces lois qui « ne dépendent pas de la volon­té humaine », ont com­men­cé à gagner en impor­tance len­te­ment. De rien, nous sommes pas­sés à quelque chose, de brou­tilles nous sommes pas­sés à des affaires graves. Cela, je l’ai com­pris, je l’ai com­pris pro­gres­si­ve­ment. Pour­tant, une chose m’é­chappe encore.

En se fon­dant uni­que­ment sur ces quelques repor­tages au conte­nu plus ou moins iden­tique, n’im­porte quel lec­teur était à même de consta­ter que les pen­sées et les sen­ti­ments de ces jeunes cri­mi­nels, que l’é­tat d’es­prit les ani­mant, étaient d’un noir de laque, d’un noir de laque à vous don­ner des fris­sons ! Cruau­té, cupi­di­té, soif de des­truc­tion et d’a­néan­tis­se­ment, besoin de libé­rer son désir bes­tial, envie de tout pos­sé­der. Trou­ver son plai­sir dans ce qui nuit aux autres… Tel était l’é­tat d’es­prit du fils de famille noble Gao et celui du fils de famille noble Yang 4Les noms sont pure­ment ima­gi­naires (on aurait pu les rendre par Dupond et Durand). Ba Jin se réfère en fait ici à une affaire qui défrayait la chro­nique alors. Six jeunes gens, appar­te­nant à des familles de cadres, étaient accu­sés de neufs viols col­lec­tifs (dont six effec­tifs). Le 19 février 1986, le tri­bu­nal popu­laire de deuxième ins­tance de Shan­ghai condam­nait à mort trois d’entre eux, Chen Xiao­meng, Hu Xiaoyang et Ge Zhi­wen, et à des peines d’emprisonnement de trois à vingt ans les trois autres. (Cf., par exemple, Bei­jing infor­ma­tion, n°9, 3 mars 1986, pp. 5 – 6.).

Les jour­naux se sont tus de nou­veau, l’af­faire devait tou­cher à sa fin. Devions-nous l’ef­fa­cer de notre mémoire ? Je me per­dais en conjec­tures. Com­ment ne pas me deman­der de quelle façon cet état d’es­prit effrayant était venu aux fils de hauts cadres ? De quelle façon il avait pu voir le jour au sein de familles révo­lu­tion­naires ? D’au­cuns disent : « C’est l’in­fluence du mode de vie pour­ri du capi­ta­lisme sur les jeunes ». Dans ce cas, rien ne nous empêche d’obs­truer cette brèche pour nous en assu­rer. Mais le fils de famille noble Gao, le fils de famille Yang et tous les autres fils de familles nobles sont de vieilles spé­cia­li­tés du féo­da­lisme chi­nois, et si l’on sou­haite s’oc­cu­per de salu­bri­té et d’hy­giène, mieux vau­drait alors s’op­po­ser avec force au féodalisme.

En effet, nous devons nous oppo­ser au féo­da­lisme. Quel que soit le nou­veau style des habits dont il se pare, le féo­da­lisme res­te­ra tou­jours le féo­da­lisme et un fils de famille noble tou­jours un fils de famille noble.

Ba Jin
Le 23 février [1986]
(trad. du chi­nois A. Pino)

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     Sui xiang lu [au fil de la plume] Librai­rie San­lian, Pékin, 1987, t. 2, pp. 776 – 777.
  • 2
     Yanei, lit­té­ra­le­ment : «[les enfants qui viventl à l’in­té­rieur du Yamen. L’ex­pres­sion dési­gnait, dans la Chine ancienne, les enfants du fonc­tion­naire qui repré­sen­tait l’Em­pe­reur dans cer­taines villes, et qui habi­taient avec leur père dans le bâti­ment ser­vant à la fois de siège admi­nis­tra­tif et de demeure. On l’u­ti­lise aujourd’­hui à pro­pos des enfants de hauts cadres du régime communiste.
  • 3
    Lit­té­ra­le­ment : « les infor­ma­tions du petit canal ».
  • 4
    Les noms sont pure­ment ima­gi­naires (on aurait pu les rendre par Dupond et Durand). Ba Jin se réfère en fait ici à une affaire qui défrayait la chro­nique alors. Six jeunes gens, appar­te­nant à des familles de cadres, étaient accu­sés de neufs viols col­lec­tifs (dont six effec­tifs). Le 19 février 1986, le tri­bu­nal popu­laire de deuxième ins­tance de Shan­ghai condam­nait à mort trois d’entre eux, Chen Xiao­meng, Hu Xiaoyang et Ge Zhi­wen, et à des peines d’emprisonnement de trois à vingt ans les trois autres. (Cf., par exemple, Bei­jing infor­ma­tion, n°9, 3 mars 1986, pp. 5 – 6.)

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