La Presse Anarchiste

Les opéras modèles

1Sui xiang lu [au fil de la plume], librai­rie San­lian, Pékin, 1987, t 2, pp. 808.812.

Voi­là plu­sieurs années qu’on n’en­ten­dait plus les « opé­ras modèles » 2Les « opé­ras modèles », appe­lés aus­si « opé­ras révo­lu­tion­naires », ou bien encore « opé­ras modèles révo­lu­tion­naires à thèmes contem­po­rains ». Pen­dant la « Révo­lu­tion cultu­relle », tous les opé­ras tra­di­tion­nels furent reti­rés de l’af­fiche et rem­pla­cés par les opé­ras dont les noms suivent, huit opé­ras, en tout et pour tout, expur­gés ou réécrits, et à voca­tion morale : « Le Fanal rouge », « Sha­jia­bang », « Le Port », « Raid sur le régi­ment du tigre blanc », « La Mon­tagne du tigre prise d’as­saut », ain­si que « La Fille aux che­veux blancs » et « Le Déta­che­ment fémi­nin rouge », qui étaient des bal­lets, et la syri­pho­nie « Sha­jia­bang ». Sur ce point, cf. Jiang Qing, A pro­pos de la révo­lu­tion dans l’o­pé­ra de Pékin, Édi­tions en langues étran­gères, Pékin, 1968., et il me sem­blait en avoir oublié l’exis­tence. Mais, durant la fête du Prin­temps, j’ai enten­du par hasard des gens enton­ner 3 Qing­chang, lit­té­ra­le­ment : « chan­ter sans cos­tume ni maquillage ». les airs d’un « opé­ra modèle », et pas seule­ment un extrait ou deux, et j’ai sen­ti mes che­veux et mes poils se héris­ser d’ef­froi. Plu­sieurs jours de suite, j’ai fait des cau­che­mars, ce genre de rêves qui, à une cer­taine époque, m’é­tait extrê­me­ment fami­lier, et qui parais­sait entre­te­nir avec les « opé­ras modèles » un rap­port étroit. Chez moi, les deux vont de pair. Comme je crains les cau­che­mars, je crains les « opé­ras modèles ». Je viens à pré­sent de com­prendre que les « opé­ras modèles » ont gra­vé sur mon cœur une marque au fer rouge indé­lé­bile. Les cau­che­mars, les uns après les autres, sont nés de cette empreinte.

Je vais rap­pe­ler une fois encore les cir­cons­tances dans les­quelles je suis allé apprendre les « opé­ras modèles ». Veuillez ne pas vous esclaf­fer, je n’ai pas dis que j’a­vais appris à chan­ter les « opé­ras modèles », cela m’eût été impos­sible Je n’ai jamais tenu la voix d’au­cun des rôles. Je consi­dé­rais ces « opé­ras modèles » comme des docu­ments révo­lu­tion­naires offi­ciels qu’il fal­lait étu­dier. Au demeu­rant, il ne s’a­gis­sait pas de ce que je sou­hai­tais moi-même étu­dier mais de ce que la « fac­tion des rebelles » avait pré­pa­ré à notre inten­tion en nous l’as­si­gnant pour qu’on l’é­tu­die. Alors, les jour­naux et les revues locaux, pro­vin­ciaux et natio­naux, le même jour, don­naient sur toute leur lon­gueur des « opé­ras modèles ». Ils publiaient le texte inté­gral d’un « opé­ra modèle » et nous devions au moins l’ap­prendre une fois. Com­ment les « masses révo­lu­tion­naires » pou­vaient-elles apprendre les « opé­ras modèles », je l’i­gnore. Je me sou­viens seule­ment de nos études à nous, ceux qu’on appe­lait les « génies mal­fai­sants », et qui se résu­maient à pro­non­cer, le jour­nal du jour entre les mains, un dis­cours où l’on chan­tait d’a­bord les louanges de l’«opéra » et celles du « porte-dra­peau » qui avait pris en main les « opé­ras modèles » 4C’est-à-dire Jiang Qing, la femme de Mao., puis où on s’a­go­nis­sait soi-même d’in­jures. On devait aus­si mon­trer qu’on était déter­mi­né à se réfor­mer, à deve­nir un homme nou­veau. Et pour finir, les fac­tions gau­chistes révo­lu­tion­naires qui diri­geaient les études nous gour­man­daient. Aujourd’­hui, sous mes yeux comme dans mon esprit, je conserve de façon extrê­me­ment nette une séance d’é­tude qui se tînt vers la fin de l’au­tomne de 1969. Cette fois-là, on nous avait envoyés à la cam­pagne pour par­ti­ci­per aux tra­vaux des « trois automnes », en nous disant que notre tâche une fois accom­plie nous revien­drions en ville. Qui aurait pré­vu que Lin Biao allait alors annon­cer solen­nel­le­ment « l’ordre n°1 » 5Il s’a­git du docu­ment n°1 dif­fu­sé par le comi­té cen­tral du P.C.C. en jan­vier 1970, docu­ment pré­voyant l’é­va­cua­tion, vers la cam­pagne, de cer­taines caté­go­ries de la popu­la­tion urbaine en cas de guerre avec l’U­nion sovié­tique. En fait, sous cou­vert de pré­oc­cu­pa­tions inter­na­tio­nales, le but recher­ché consis­tait à éli­mi­ner, à l’in­té­rieur, les adver­saires poli­tiques en les exi­lant en pro­vince., et que nous serions obli­gés de res­ter au vil­lage. En fait, nous n’é­tions pas les seuls concer­nés. Même les « masses révo­lu­tion­naires » ne dis­po­saient pas de ce « droit de l’homme » que repré­sente la liber­té de rési­dence. Elles ne jouis­saient que d’une seule chaos : ces « opé­ras modèles ». Quelle qu’ait été la consi­dé­ra­tion dont le « porte-dra­peau de la révo­lu­tion » les entou­rait, qui mobi­li­sait tous les moyens artis­tiques pour les rehaus­ser, au moment où la « Bande des quatre » a quit­té la scène il ne res­tait rien d’autre que ces huit cris­tal­li­sa­tions issues de la méthode visant à « don­ner du relief à trois niveaux » 6Par­mi tous les per­son­nages d’une pièce, mettre en relief les per­son­nages posi­tifs ; par­mi les per­son­nages posi­tifs, mettre en relief les per­son­nages héroïques ; par­mi les per­son­nages héroïques, mettre en relief le per­son­nage héroïque prin­ci­pal. dans la créa­tion artis­tique. Ceux-ci, en effet, avaient mode­lé l’o­pi­nion publique, per­met­tant ain­si à la « Bande des quatre » de mon­ter sur son trône, et non seule­ment ils l’a­vaient mode­lé sur une vaste échelle mais encore de façon très effi­cace. Aus­si, furent-ils contraints de quit­ter la scène en même temps que la « Bande des quatre ». Cette fois-là, l’o­pé­ra que nous étions en train d’é­tu­dier était « la Mon­tagne du tigre prise d’as­saut » et c’est un poète appar­te­nant à la fac­tion gau­chiste qui diri­geait l’é­tude. Les « monstres bovins » qui par­ti­ci­paient à l’é­tude n’é­taient vrai­ment pas nom­breux, parce qu’une par­tie d’entre eux étaient déjà ren­trés chez eux pour ramas­ser leurs affaires. Ils reve­naient à la cam­pagne le len­de­main et nous, le deuxième groupe à « prendre des vacances », nous devions emprun­ter le camion qui les ramè­ne­rait pour nous rendre à Shan­ghai. Je venais de pas­ser plus d’un mois loin de mon foyer, et, ne m’é­tant pas pré­pa­ré men­ta­le­ment à pas­ser un long séjour à la cam­pagne, je pen­sais beau­coup à ma famille. La retrou­ver, ne fût-ce que deux ou trois jours, je n’é­prou­vais pas de bon­heur plus grand. Ain­si donc, un jour avant de nous mettre en route, nous fûmes encore contraints d’al­ler nous insul­ter nous-mêmes, d’al­ler chan­ter les louanges du « porte-dra­peau de la révo­lu­tion », d’al­ler chan­ter les louanges des per­son­nages héroïques créés en uti­li­sant les pro­cé­dés visant à « don­ner du relief à trois niveaux » dans la créa­tion artis­tique. Au début, j’a­vais cru qu’il suf­fi­rait d’en­fi­ler quelques phrases pour être quitte. Mais qui aurait ima­gi­né que je tom­be­rais, par une coïn­ci­dence fâcheuse, sur ce jeune poète-là et qu’il se sai­si­rait de moi sans me lâcher, pour me faire abso­lu­ment avouer ma déter­mi­na­tion « anti-par­ti et anti-socia­liste ». Par le pas­sé, j’a­vais été pla­cé, pour l’é­tude, dans son groupe et j’a­vais essuyé ses insultes. Cela n’é­tait donc pas la pre­mière fois que j’ob­ser­vais l’ex­pres­sion de ses sen­ti­ments, que j’en­ten­dais le son de sa voix, et aujourd’­hui encore j’en éprouve du dégout. Ce jour-là, plein de fatui­té, il écla­ta d’un rire sata­nique sous mon nez, à la façon de Yang Zirong, le « héros hors de pair » 7Yang Zirong, per­son­nage de l’o­pé­ra révo­lu­tion­naire « la Mon­tagne du tigre prise d’as­saut », « éclai­reur d’é­lite de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion, armé de la pen­sée mao­ze­dong et doté de la sagesse et du cou­rage pro­lé­ta­riens » est le type même du héros posi­tif. Voir, par exemple, « Effor­çons-nous de mode­ler l’i­mage écla­tante des héros du pro­lé­ta­riat » par le groupe de la com­pa­gnie d’o­pé­ra de Pékin de Shan­ghai char­gé de la pièce « La Mon­tagne du tigre prise d’as­saut », Pékin infor­ma­tion, n° 51 – 52, 29 décembre 1969, pp.31 – 37 ; Hong Tcheng, « Pour trou­ver des hommes vrai­ment grands, regar­dons plu­tôt le pré­sent », Pékin infor­ma­tion, n°3, 19 jan­vier 1970, pp.18 – 22.]. Je main­te­nais ma tête bais­sée pour ne pas le regar­der, me disant en moi-même : Quel héros ! À l’é­vi­dence, il s’a­gis­sait d’un grand escroc frap­pant le gong pour frayer la voie à la « Bande des quatre », mais, comme à l’ac­cou­tu­mée, je flat­tais en paroles l’«opéra modèle » et le « porte-dra­peau de la révo­lu­tion » qui l’a­vait fabriqué.

Lorsque je pro­nonce un dis­cours, depuis tou­jours, je bégaye. Mais alors, je for­mu­lais avec appli­ca­tion mes louanges hypo­crites. Contrai­re­ment à l’ha­bi­tude, j’a­vais l’air calme et natu­rel, comme quel­qu’un qui vend à perte les mar­chan­dises bon mar­ché qu’il a éta­lées et qui n’hé­site pas à appe­ler les cha­lands à voix haute. Sans éprou­ver la moindre honte, je ne me sou­ciais que de me débar­ras­ser au plus vite de la mar­chan­dise pour pou­voir rega­gner ma chambre et m’y repo­ser. Je cher­chais à évi­ter tout inci­dent avec le poète, pour pou­voir ren­trer le len­de­main sans pro­blème à la mai­son. Mal­gré les nom­breuses répri­mandes que j’eus à subir de sa part, je pas­sais fina­le­ment la jour­née d’é­tude sans dom­mage. Il ne nous res­tait plus qu’à rega­gner notre chambre. Après avoir repris mon souffle et m’être repo­sé sur un long banc, je sen­tis encore dans mon cœur un mal peu dis­tinct, un mal pas bien méchant, mais qui sou­vent me fai­sait souf­frir. Non seule­ment je ren­trai à Shan­ghai en empor­tant mon mal, mais il enta­ma mon bon­heur de me retrou­ver pour un court moment avec Xiao Shan. Voi­là de quelle façon l’au­to­ri­té des « opé­ras modèles » s’est éta­blie. Dans mes rêves, les héros qui « don­naient du relief à trois niveaux » écla­taient tou­jours d’un rire sata­nique et m’é­tran­glaient de leurs grandes mains. Je lut­tais déses­pé­ré­ment de toutes mes forces, en criant. Une fois, à l’é­cole des cadres, je suis tom­bé du lit et je me suis cogné le front. Une autre fois, chez moi, j’ai agi­té les bras et j’ai cas­sé la petite lampe de che­vet. Sou­vent, me sen­tant mena­cé, je devais appe­ler tra­gi­que­ment pen­dant mon rêve. Et lorsque la fac­tion des rebelles pré­ten­dait que dans mon « cœur il y avait un génie », cela n’é­tait pas entiè­re­ment faux. Mais je n’o­sais pas le recon­naître ouver­te­ment. Le génie, c’é­tait le héros rebelle qui se pre­nait pour Yang Zirong.

Aujourd’­hui, ici, quand je me sou­viens des farces scan­da­leuses que j’ai moi-même jouées, le rouge me monte au front et j’en éprouve encore du cha­grin. Durant les années où l’on enton­nait haut et fort les « opé­ras modèles », j’ai connu tel­le­ment de grandes hontes et d’hu­mi­lia­tions que je ne les ai tou­jours pas oubliées. Je ne suis abso­lu­ment pas de ceux qui, vic­times d’une injus­tice par le pas­sé, cherchent main­te­nant éner­gi­que­ment à en tirer pro­fit et à com­pen­ser les pertes subies. Mais ayant tou­jours dis­tin­gué entre le vrai et le faux, je ne puis me résoudre à me lais­ser manœu­vrer par les autres. En véri­té, c’est parce que nos cer­veaux sont emplis d’im­mon­dices féo­dales qu’on cri : « longue vie, longue vie, longue, longue vie ! » dès qu’un slo­gan est lan­cé. Est-ce que par hasard, nous uti­li­se­rions encore à pré­sent, dans la créa­tion artis­tique, la méthode visant à « don­ner du relief à trois niveaux » ou celle de la « triple union » 7La poli­tique de la « triple union révo­lu­tion­naire » était en vogue au cours de la « Révo­lu­tion cultu­relle » (on en trouve néan­moins des mani­fes­ta­tions anté­rieures): elle visait à créer des comi­tés révo­lu­tion­naires asso­ciant des repré­sen­tants de l’ar­mée, des cadres et des masses (entendre par là les orga­ni­sa­tions rebelles). Dans le domaine artis­tique, on en trouve une appli­ca­tion concrète avec les « acti­vi­tés de créa­tion artis­tique et d’é­di­tion fon­dées sur la triple union » : en 1969, les édi­tions du peuple de Shan­ghai publièrent les œuvres d’ou­vriers, de pay­sans et de sol­dats, rédi­gées en col­la­bo­ra­tion avec des res­pon­sables du par­ti com­mu­niste et avec l’as­sis­tance d’é­cri­vains et d’é­di­teurs., etc., pour créer des per­son­nages héroïques ? Est-ce que par hasard nous vou­drions encore à pré­sent user du : « toi un mot, moi une parole ; tu pré­sentes une sug­ges­tion et moi une idée », sui­vant l’ain­si nom­mé prin­cipe : « c’est en for­geant qu’on devient for­ge­ron » 8Lit­té­ra­le­ment : « battre mille fois le fer, le fondre cent fois »., pour pro­duire des œuvres artis­tiques modèles une à une ?

À mon avis, si la « Bande des quatre » fai­sait alors des « opé­ras modèles » des docu­ments révo­lu­tion­naires à étu­dier, ce n’é­tait aucu­ne­ment parce qu’elle tenait les « opé­ras modèles » pour des œuvres d’art dont Jiang Qing dépos­sé­dait les autres. Qui ignore que la « Bande des quatre », pour pou­voir se conduire en des­pote pen­dant dix ans, s’est appuyée sur les « opé­ras modèles » et les a uti­li­sés à des fins de pro­pa­gande qui éta­blis­sait son auto­ri­té révo­lu­tion­naire ! J’ai, moi aus­si, ido­lâ­tré la « per­fec­tion » 9Lit­té­ra­le­ment : « haut, grand, com­plet ». des héros Li Yuhe 10Li Yuhe est un che­mi­not, per­son­nage de l’o­pé­ra « Le Fanal rouge »., Hong Chang­qing… mais ensuite j’ai su com­bien étaient fausses ces divi­ni­tés qu’on avait com­men­cé à recou­vrir de feuilles d’or. Tout le monde n’a-t-il pas suf­fi­sam­ment vu les Li Yuhe ou les Hong Chang­qing jouer sous la scène ?

Natu­rel­le­ment, sur les « opé­ras modèles » cha­cun pos­sède sa propre opi­nion. Il semble qu’ab­so­lu­ment per­sonne n’in­ter­dise qu’on en donne des repré­sen­ta­tions. Quels que soient les acteurs ou les audi­teurs, libres à ceux qui en appré­cient les paroles de les chan­ter. J’en­tends, quant à moi, redou­bler de vigi­lance. Je me tour­mente sans doute inuti­le­ment mais je crains vrai­ment que la tra­gé­die de 1966 ne revienne sur scène. Le temps s’é­coule vrai­ment vite, vingt ans ont pas­sé. « Quand vingt ans auront pas­sé, je serais de nou­veau…», nous ne sau­rions oublier trop faci­le­ment le mot de A‑Q 11A‑Q, le héros de Lu Xun, pro­nonce cette phrase au moment de son exé­cu­tion, sans par­ve­nir à aller jus­qu’au bout. Il s’a­git d’un mot que lan­çaient les condam­nés à mort sur le point de quit­ter la vie : « Quand vingt ans auront pas­sé, je serais de nou­veau un beau et brave gar­çon » (cf. Lu Xun, la Véri­dique his­toire d’A‑Q, 1921. Une tra­duc­tion de ce roman figure dans : M. Valette-Héme­ry, Treize récits chi­nois, 1918 – 1919, Pic­quier, s.l., 1987, pp. 34 – 76).!

Ba Jin
28 mai [1986]
(trad. du chi­nois A. Pino)

  • 1
    Sui xiang lu [au fil de la plume], librai­rie San­lian, Pékin, 1987, t 2, pp. 808.812.
  • 2
    Les « opé­ras modèles », appe­lés aus­si « opé­ras révo­lu­tion­naires », ou bien encore « opé­ras modèles révo­lu­tion­naires à thèmes contem­po­rains ». Pen­dant la « Révo­lu­tion cultu­relle », tous les opé­ras tra­di­tion­nels furent reti­rés de l’af­fiche et rem­pla­cés par les opé­ras dont les noms suivent, huit opé­ras, en tout et pour tout, expur­gés ou réécrits, et à voca­tion morale : « Le Fanal rouge », « Sha­jia­bang », « Le Port », « Raid sur le régi­ment du tigre blanc », « La Mon­tagne du tigre prise d’as­saut », ain­si que « La Fille aux che­veux blancs » et « Le Déta­che­ment fémi­nin rouge », qui étaient des bal­lets, et la syri­pho­nie « Sha­jia­bang ». Sur ce point, cf. Jiang Qing, A pro­pos de la révo­lu­tion dans l’o­pé­ra de Pékin, Édi­tions en langues étran­gères, Pékin, 1968.
  • 3
     Qing­chang, lit­té­ra­le­ment : « chan­ter sans cos­tume ni maquillage ».
  • 4
    C’est-à-dire Jiang Qing, la femme de Mao.
  • 5
    Il s’a­git du docu­ment n°1 dif­fu­sé par le comi­té cen­tral du P.C.C. en jan­vier 1970, docu­ment pré­voyant l’é­va­cua­tion, vers la cam­pagne, de cer­taines caté­go­ries de la popu­la­tion urbaine en cas de guerre avec l’U­nion sovié­tique. En fait, sous cou­vert de pré­oc­cu­pa­tions inter­na­tio­nales, le but recher­ché consis­tait à éli­mi­ner, à l’in­té­rieur, les adver­saires poli­tiques en les exi­lant en province.
  • 6
    Par­mi tous les per­son­nages d’une pièce, mettre en relief les per­son­nages posi­tifs ; par­mi les per­son­nages posi­tifs, mettre en relief les per­son­nages héroïques ; par­mi les per­son­nages héroïques, mettre en relief le per­son­nage héroïque principal.
  • 7
    Yang Zirong, per­son­nage de l’o­pé­ra révo­lu­tion­naire « la Mon­tagne du tigre prise d’as­saut », « éclai­reur d’é­lite de l’Ar­mée popu­laire de libé­ra­tion, armé de la pen­sée mao­ze­dong et doté de la sagesse et du cou­rage pro­lé­ta­riens » est le type même du héros posi­tif. Voir, par exemple, « Effor­çons-nous de mode­ler l’i­mage écla­tante des héros du pro­lé­ta­riat » par le groupe de la com­pa­gnie d’o­pé­ra de Pékin de Shan­ghai char­gé de la pièce « La Mon­tagne du tigre prise d’as­saut », Pékin infor­ma­tion, n° 51 – 52, 29 décembre 1969, pp.31 – 37 ; Hong Tcheng, « Pour trou­ver des hommes vrai­ment grands, regar­dons plu­tôt le pré­sent », Pékin infor­ma­tion, n°3, 19 jan­vier 1970, pp.18 – 22.]. Je main­te­nais ma tête bais­sée pour ne pas le regar­der, me disant en moi-même : Quel héros ! À l’é­vi­dence, il s’a­gis­sait d’un grand escroc frap­pant le gong pour frayer la voie à la « Bande des quatre », mais, comme à l’ac­cou­tu­mée, je flat­tais en paroles l’«opéra modèle » et le « porte-dra­peau de la révo­lu­tion » qui l’a­vait fabriqué.

    Lorsque je pro­nonce un dis­cours, depuis tou­jours, je bégaye. Mais alors, je for­mu­lais avec appli­ca­tion mes louanges hypo­crites. Contrai­re­ment à l’ha­bi­tude, j’a­vais l’air calme et natu­rel, comme quel­qu’un qui vend à perte les mar­chan­dises bon mar­ché qu’il a éta­lées et qui n’hé­site pas à appe­ler les cha­lands à voix haute. Sans éprou­ver la moindre honte, je ne me sou­ciais que de me débar­ras­ser au plus vite de la mar­chan­dise pour pou­voir rega­gner ma chambre et m’y repo­ser. Je cher­chais à évi­ter tout inci­dent avec le poète, pour pou­voir ren­trer le len­de­main sans pro­blème à la mai­son. Mal­gré les nom­breuses répri­mandes que j’eus à subir de sa part, je pas­sais fina­le­ment la jour­née d’é­tude sans dom­mage. Il ne nous res­tait plus qu’à rega­gner notre chambre. Après avoir repris mon souffle et m’être repo­sé sur un long banc, je sen­tis encore dans mon cœur un mal peu dis­tinct, un mal pas bien méchant, mais qui sou­vent me fai­sait souf­frir. Non seule­ment je ren­trai à Shan­ghai en empor­tant mon mal, mais il enta­ma mon bon­heur de me retrou­ver pour un court moment avec Xiao Shan. Voi­là de quelle façon l’au­to­ri­té des « opé­ras modèles » s’est éta­blie. Dans mes rêves, les héros qui « don­naient du relief à trois niveaux » écla­taient tou­jours d’un rire sata­nique et m’é­tran­glaient de leurs grandes mains. Je lut­tais déses­pé­ré­ment de toutes mes forces, en criant. Une fois, à l’é­cole des cadres, je suis tom­bé du lit et je me suis cogné le front. Une autre fois, chez moi, j’ai agi­té les bras et j’ai cas­sé la petite lampe de che­vet. Sou­vent, me sen­tant mena­cé, je devais appe­ler tra­gi­que­ment pen­dant mon rêve. Et lorsque la fac­tion des rebelles pré­ten­dait que dans mon « cœur il y avait un génie », cela n’é­tait pas entiè­re­ment faux. Mais je n’o­sais pas le recon­naître ouver­te­ment. Le génie, c’é­tait le héros rebelle qui se pre­nait pour Yang Zirong.

    Aujourd’­hui, ici, quand je me sou­viens des farces scan­da­leuses que j’ai moi-même jouées, le rouge me monte au front et j’en éprouve encore du cha­grin. Durant les années où l’on enton­nait haut et fort les « opé­ras modèles », j’ai connu tel­le­ment de grandes hontes et d’hu­mi­lia­tions que je ne les ai tou­jours pas oubliées. Je ne suis abso­lu­ment pas de ceux qui, vic­times d’une injus­tice par le pas­sé, cherchent main­te­nant éner­gi­que­ment à en tirer pro­fit et à com­pen­ser les pertes subies. Mais ayant tou­jours dis­tin­gué entre le vrai et le faux, je ne puis me résoudre à me lais­ser manœu­vrer par les autres. En véri­té, c’est parce que nos cer­veaux sont emplis d’im­mon­dices féo­dales qu’on cri : « longue vie, longue vie, longue, longue vie ! » dès qu’un slo­gan est lan­cé. Est-ce que par hasard, nous uti­li­se­rions encore à pré­sent, dans la créa­tion artis­tique, la méthode visant à « don­ner du relief à trois niveaux » ou celle de la « triple union » 7La poli­tique de la « triple union révo­lu­tion­naire » était en vogue au cours de la « Révo­lu­tion cultu­relle » (on en trouve néan­moins des mani­fes­ta­tions anté­rieures): elle visait à créer des comi­tés révo­lu­tion­naires asso­ciant des repré­sen­tants de l’ar­mée, des cadres et des masses (entendre par là les orga­ni­sa­tions rebelles). Dans le domaine artis­tique, on en trouve une appli­ca­tion concrète avec les « acti­vi­tés de créa­tion artis­tique et d’é­di­tion fon­dées sur la triple union » : en 1969, les édi­tions du peuple de Shan­ghai publièrent les œuvres d’ou­vriers, de pay­sans et de sol­dats, rédi­gées en col­la­bo­ra­tion avec des res­pon­sables du par­ti com­mu­niste et avec l’as­sis­tance d’é­cri­vains et d’éditeurs.

  • 8
    Lit­té­ra­le­ment : « battre mille fois le fer, le fondre cent fois ».
  • 9
    Lit­té­ra­le­ment : « haut, grand, complet ».
  • 10
    Li Yuhe est un che­mi­not, per­son­nage de l’o­pé­ra « Le Fanal rouge ».
  • 11
    A‑Q, le héros de Lu Xun, pro­nonce cette phrase au moment de son exé­cu­tion, sans par­ve­nir à aller jus­qu’au bout. Il s’a­git d’un mot que lan­çaient les condam­nés à mort sur le point de quit­ter la vie : « Quand vingt ans auront pas­sé, je serais de nou­veau un beau et brave gar­çon » (cf. Lu Xun, la Véri­dique his­toire d’A‑Q, 1921. Une tra­duc­tion de ce roman figure dans : M. Valette-Héme­ry, Treize récits chi­nois, 1918 – 1919, Pic­quier, s.l., 1987, pp. 34 – 76).

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