La Presse Anarchiste

Pour faire réfléchir

L’Unique n°2 (juillet 1945)

Pour faire réfléchir

Dans notre monde humain, la pré­ci­sion du mécan­isme est absol­u­ment impos­si­ble. L’im­pos­si­bil­ité de définir la moral­ité est une par­tie de son imper­fec­tion néces­saire. Il n’y a pas seule­ment place dans la moral­ité pour l’aspi­ra­tion élevée, la déci­sion courageuse, le frémisse­ment tonique des mus­cles de l’âme, mais il con­vient d’y faire ren­tr­er égale­ment le sac­ri­fice et la douleur. Le moin­dre bien, le nôtre ou celui d’autrui, est immergé dans un bien plus vaste et cela ne peut être sans quelque déchire­ment du coeur. Ain­si, Toute action morale, pour jus­ti­fiée qu’elle puisse être par son har­monie et son équili­bre, s’avère, dans sa con­struc­tion, cru­elle et même, dans un cer­tain sens, immorale. C’est en cela que s’ex­plique la jus­ti­fi­ca­tion finale de la con­cep­tion esthé­tique de la moral­ité. Elle ouvre une per­spec­tive plus large et révèle des points de vue supérieurs ; elle démon­tre com­bi­en la perte appar­ente est par­tie inté­grante d’un gain intime, rétab­lis­sant ain­si cette har­monie et cette beauté que les ignares par­ti­sans d’un devoir sec et stérile détru­isent si sou­vent et pour tou­jours. L’Art, déclare Paulnan, est sou­vent plus moral que la moral­ité elle-même, ou, comme le veut Jules de Gaulti­er : l’Art est dans un cer­tain sens la seule moral­ité que la vie admette. Dans la mesure où nous pou­vons lui infuser l’e­sprit et la méth­ode de l’art, nous avons trans­for­mé la moral­ité en quelque chose situé « par delà la moral­ité » : elle est dev­enue la per­son­ni­fi­ca­tion com­plète de la Danse de la Vie…

Have­lock Ellis
(The Dance of Life).