La Presse Anarchiste

La négation est un acte

Savoir dire non est par­fois peu dif­fi­cile. Aus­si l’on s’in­digne de la lâche­té et de la bas­sesse de nos contem­po­rains, car elles sont tou­jours le fait d’un esprit par­tial (je dirais même partisan).

    Il ne s’a­git pas de par­ti, puisque tous les domaines, aus­si bien lit­té­raires, sociaux, qu’ar­tis­tiques et poli­tiques sont, éga­le­ment, sous l’emprise de cette défi­cience morale.

    Il ne s’a­git pas d’âge non plus, puisque tous les êtres : les uns s’ils sont d’âge mûr, s’y sou­mettent par habi­tude ; les autres, les jeunes, par confor­misme et nécessité. 

    Il ne faut pas être éton­né si, aujourd’­hui, il est admis que toute acces­sion à un rang supé­rieur se paie d’un renie­ment, toute élé­va­tion exté­rieure d’une nou­velle dégra­da­tion intérieure. 

    Pour être bien vu de cer­tains milieux, pour être agréé par la Socié­té, il faut don­ner des gages et aban­don­ner chaque fois un peu de digni­té, un peu d’hon­neur, et même d’hon­nê­te­té envers soi-même et envers ses semblables.

    De conces­sions en conces­sions, de pla­ti­tudes en pla­ti­tudes, de démis­sions en démis­sions, on se demande jus­qu’où peut aller cet asser­vis­se­ment contre lequel per­sonne ne semble vou­loir réagir et quels sont les hommes auto­ri­sés qui pour­raient le faire : juristes, reli­gieux, let­trés, mora­liste, phi­lo­sophes, pam­phlé­taires, etc. Serait-il le fait d’un accord tacite grâce auquel cha­cun se ménage ? Il ne faut pas oublier qu’il y a une poli­tique de cha­pelle, une cer­taine poli­tesse réci­proque ; il y a aus­si des pro­bi­tés à louer, et même à vendre, et des conces­sions ami­cales… J’en passe et des meilleures ; je n’ose pour­tant croire à l’exis­tence à tra­vers le monde d’une secte d’une pareille importance.

    Le pis est, non pas tant l’u­sage de tels pro­cé­dés qui, hélas, sont éter­nels, que leur accep­ta­tion géné­rale. Je me demande si toute conscience est éteinte ou si la lâche­té est telle que per­sonne n’ose se révolter.

    Les cris, les plaintes, les lamen­ta­tions et autres récri­mi­na­tions ne servent de rien, et nous n’a­vons cure des flots de paroles et des pro­messes. De tous côtés on nous réclame des actes. J’en pro­pose. Mais pour qu’ils soient effi­caces, faites appel à vos amis, appe­lez tous ceux qui vous paraissent connaître la vie, tous ceux qui ont gar­dé quelque sin­cé­ri­té d’al­lure et conservent quelque sim­pli­ci­té de tenue. À tra­vers le monde, ser­rons les coudes, éle­vons nos coeurs, sus­ci­tons des voix qui, face à ces trou­peaux de mou­tons bêlants, à ces hordes de rapaces sinistres, sau­ront témoi­gner de la digni­té de l’homme.

— O —



    La néga­tion est un acte pri­mor­dial impor­tant et déci­sif, car il engage l’homme qui l’ac­com­plit (je pense même qu’il ne peut y avoir de spec­ta­teurs indif­fé­rents). Encore faut-il savoir dire « non », en avoir le courage.

    À tous les infa­tués d’eux-mêmes, à tous les m’as-tu lu de la lit­té­ra­ture, à tous les m’as-tu vu de l’art, de la poli­tique, etc., qui s’é­rigent en maîtres ou en pro­phètes et évitent les trois quarts du temps de prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés ; à ces innom­brables snobs, écri­vaillons, soi-disant artistes, à tous les pan­tins plus ou moins célèbres qui se gar­ga­risent de mots ron­flants, qui se contemplent le nom­bril ; oui, à tous ceux qui s’ar­rogent des droits sur les autres, à tous ces pédants qui se croient spi­ri­tuels, qui jacassent, pérorent., font des acro­ba­ties, des pirouettes, des génu­flexions et autres révé­rences pour le seul plai­sir de cour­ti­ser les puis­sants et faire dan­ser une idée — sachons dire NON.

    Car on ne compte plus les renie­ments, les tra­hi­sons des hommes publics, des poli­ti­ciens sans scru­pules et sans ver­gogne ; leur ver­sa­ti­li­té est aus­si évi­dente que la vani­té de leurs promesses. 

    Je m’en prends aus­si à tous les com­bi­nards, arri­vistes, entre­met­teurs du talent, à tous les nau­fra­geurs d’idées.

    Idem à tous les cri­tiques-per­ro­quets qui tendent la main, à tous ces soi-disant confrères et col­lègues qui vous guettent pour vous faire le coup du père Fran­çois. Idem éga­le­ment à tous les tem­po­ri­sa­teurs, oppor­tu­nistes et autres lâcheurs.

    C’est dans la mesure où vous leur direz NON que vous anéan­ti­rez ces milieux de para­sites, ce monde de pourriture.

    Il ne faut point d’ac­com­mo­de­ments pour leur faci­li­ter la tache, point de com­pro­mis­sions non plus ; il n’y a qu’à se reti­rer, s’abs­te­nir et faire silence. Inutile pour l’ins­tant d’en­ga­ger des luttes au-des­sus de vos forces, pas de cris non plus. Dres­sez seule­ment une liste des vrais construc­teurs, des hommes sains et sin­cères. Les autres ? Ils sont encore forts, puis­sants, il faut en tenir compte et se détournes d’eux.

    Il ne faut pas oublier que ce sont vos demandes, vos implo­ra­tions qui vous font leurs esclaves S’a­ge­nouiller, c’est s’a­moin­drir, c’est se dégra­der. Il vous faut res­ter debout, face à face, et le NON caté­go­rique, le NON qui vous en éloigne sera empreint de dignité.

    Plus d’a­ban­don. Dites NON aux facilités.

    On s’ha­bi­tue si rapi­de­ment à cer­tains renon­ce­ments. Depuis pas mal d’an­nées on a per­du le cou­rage de son atti­tude, l’éner­gie du geste, le sens de l’ir­ré­vo­ca­bi­li­té et de la res­pon­sa­bi­li­té de l’acte. Il ne dépend que de vous-même de le retrou­ver et de le mani­fes­ter. Peut-être alors un chan­ge­ment, se fera-t-il, une amé­lio­ra­tion s’opérera-t-elle.

On n’ac­cla­me­ra plus un far­ceur quel­conque soit dans les réunions élec­to­rales, soit au théâtre, soit aux séances des aca­dé­mies, etc., où tel plas­tron­neur suin­tant la fatui­té étale sa nou­velle for­tune. Je crois qu’on vous res­pec­te­ra davan­tage si vous-même vous res­pec­tez votre parole. Par­fois dans la vie, il faut renon­cer à soi-même, car il urge de net­toyer l’am­biance insa­lubre où l’on s’est four­voyé ; il est des moments où l’on peut et doit se compter.

    Un bon construc­teur de socié­té doit pou­voir sus­ci­ter des êtres fermes, droits, rudes et purs, n’ayant pas peur de se mon­trer tels, des êtres sachant dire NON à toutes les sale­tés, à toutes les igno­mi­nies que le monde actuel leur pro­pose. Je pose la ques­tion : Serez-vous de ceux-là ?

[/​Maurice Imbard/​]

La Presse Anarchiste