La Presse Anarchiste

Quatre poèmes

Celui qui ne fut pas heureux…

Celui qui ne fut pas heureux
S’assied sur le pas de la porte,
Regrette les jours généreux
Et que de l’ombre rien ne sorte.

Tous les dons qu’il a refusé
L’entourent de leur ironie ;
Sa gloire, avec des pas usés,
N’est qu’une tar­dive agonie.

Cepen­dant les astres épars
S’allument aux cieux millénaires ;
Les avè­ne­ments, les départs,
Ferment les temps imaginaires.

J’ai vécu…

J’ai vécu peu de soirs au cœur des eaux,
Sur de vieux marbres ;
Il n’y avait qu’une absence d’oiseaux,
Au fond des arbres.

Il y avait peut-être un livre lourd.
Un songe triste ;
Il y avait ce long silence sourd
Et qui résiste.

Il y avait ce mal­heur que je fus
Sans me connaître.
II y avait cet étrange refus.
Et rien peut-être.

Comme le chant d’un mort…

Comme le chant d’un mort pour un mort sont ces choses.
Ils ne se sont jamais l’un près de l’autre assis
Quand les arbres du soir res­serrent leur lacis.
Ils ne se sont connus qu’en les métamorphoses
Du temps, de la dis­tance, et des livres rassis.

Com­ment l’éternité pour­rait-elle être sûre ?
Aux phases de la fuite, au milieu des remous.
Ce qui tombe de nous, ce qui remonte en nous
N’est que souffle incer­tain et que sang de blessure ;
Est-ce en vain que les blés dépassent nos genoux ?

Des éclairs de cha­leur dans un long crépuscule,
Lorsque même l’oubli se sou­vient de mourir ;
La pous­sière et le vent achèvent de courir,
Pour que rien ne se gâte et rien ne gesticule ;
Mais l’ombre sait que nul ne peut la secourir.

Jetez à pleines mains les feuilles sur les roses,
Et pen­chez sous la lampe un labeur étonnant ;
La légende à la nuit s’ajoute en rayonnant.
Comme le chant d’un mort pour un mort sont ces choses ;
La fenêtre est ouverte, et l’amour frissonnant.

Toi qui n’as pour mourir…

Toi qui n’as pour mou­rir que ton manteau
Et deux ou trois ins­tants mystérieux,
N’attends plus rien de la terre et des cieux,
Des­serre ton désir, ce vieil étau.

Sans te hâter mange un der­nier chanteau ;
Se nour­rir est tra­gique et sérieux ;
Une der­nière fois emplis tes yeux ;
Le cer­cueil est déjà sur le tréteau.

Mais sur le bord extrême du destin,
En ache­vant le plus sobre festin,
En regar­dant l’inutile beauté,

Affirme encor, de silence et de paix,
Ton éphé­mère et seule primauté
Sur la nuit creuse et les tom­beaux épais.

Sul­ly-André Peyre

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