La Presse Anarchiste

Deux poètes espagnols

À Anto­nio Machado

¡ Padre y pan de la poesia !

Lunes sin voz
y martes sin razones,
miér­coles sin Historia…
¡ Oh reloj grave jun­to al río que huye !
¡ Oh reloj en ace­cho, pal­pi­tante reloj
paciente tiem­po espe­ran­do matar
con sus agu­jas frías
al rojo toro ibé­ri­co trabado
en el aleve coso de Occidente !

¡ Oh rapaz viento,
rosa que calculas
el inter­és com­pues­to de la huma­na tragedia !

Sí. El Occi­dente es hielo,
pan­ta­no de traiciones,
sangre pri­sión y hielo.
Y entre dos resplandores
en Occi­dente se alza
el tro­no de la Ban­ca y de la guerra.
y entre dos luces
– nie­bla sin alma, oca­so sin noticias –
un buitre ceni­cien­to vue­la cerniéndose,
baja por tor­tu­rar la agonía insepulta
de España encadenada
de España Prometeo
y su ver­bo rebelde
que se lla­ma Antonio.

Y entre dos luces
y entre dos resplandores
¡ qué ausente mar
– Anto­nio meditando –
resue­na en el destierro !
¡ Qué amar­ga risa
como el pro­fun­do yodo
de la huma­na esperanza
lle­na la sequedad,
sube hacia las alturas
por yer­mos y roquedas
para ganar la cal­ma del crepúsculo
por ver la luz del últi­mo poniente
por dete­ner el sol
sobre el abis­mo ciego
encen­dien­do razones.

Y Anto­nio no está solo.
Y Anto­nio tiene un mun­do ante sus ojos
que ven caer cadenas.
Y Anto­nio tiene oídos
que oyen cre­cer la hierba,
cre­cer los pueblos.
Y Anto­nio tiene voz
que va diciendo :
¡ Oh refu­gia­dos grises
hijos del páramo !
¡ Voso­tros ten­dreis sierras
sier­ras de nuevo
cuan­do el cam­pe­si­no se interponga
entre el mar y los señores
jun­to a este lar­go Duero
de niños que se mueren…

Es ya de noche
de noche y con estrellas,
y Anto­nio está miran­do hacia el Oriente
donde un clarín de albores
estal­la tras un pino nevado
tras un hela­do monte
cual reca­ma­do escudo.
« ¿ Has­ta cuan­do Caín ?
¿ Has­ta cuan­do los muer­tos secos rios
de poe­tas ahogados
arañarán a España ? »

¡ Oh Anto­nio, padre y pan de la poesia,
poe­ta sin carrera,
hombre desnudo !…
¡ Oh reloj vivo sobre el tiem­po que canta !
Lunes con voz
y martes con Historia,
miér­coles con Antonio
¡ y con España,
oh Francia
que en Collioure
la tienes enterrada !… 

José Her­re­ra Petere
À Anto­nio Machado

Père et pain de la poésie !

Le lun­di est sans voix
et le mar­di sans conscience,
mer­cre­di sans Histoire…
Hor­loge grave près du fleuve qui fuit !
Hor­loge aux aguets, émou­vante horloge
temps patient qui attends pour tuer
avec tes froides aiguilles
le rouge tau­reau ibé­rique entravé
dans les per­fides arènes de l’Occident !

Oh, vent rapace,
Rose qui calcule
les com­plexes inté­rêts de la tra­gé­die humaine !

Oui. L’Occident est de glace,
marais de trahisons,
sang, pri­son et glace,
et entre deux éblouissements
en Occi­dent se lève
l’Empire de la Banque et de la Guerre.
Et entre ces deux clartés
– brouillard sans âme, cré­pus­cule sans nouvelles –
un vau­tour cou­leur de cendre, vole, tourne
et des­cend pour trou­bler l’agonie sans sépulture
de l’Espagne enchaînée
de l’Espagne Prométhée
et de son verbe rebelle
qui se nomme Antonio.

Et entre deux clartés
Et entre deux éblouissements
la mer est absente
– médite Antonio –
et pour­tant elle chante en exil !
Quel rire amer
sem­blable à l’iode profond
de l’espérance humaine
rem­pli de sécheresse,
monte vers les cimes
à tra­vers les rocs et les terres arides
pour trou­ver le calme du crépuscule
pour voir la lumière du der­nier couchant
pour rete­nir le soleil
sur l’aveugle abîme
pour réveiller les consciences !

Et Anto­nio n’est plus seul.
Et Anto­nio devant ses yeux voit un monde
qui fait tom­ber ses chaînes.
Et Anto­nio entend pous­ser l’herbe,
et les peuples grandir.
Et Anto­nio dit :
Oh, tristes réfugiés,
fils de la savane !
Vous aurez des champs,
des champs à nouveau
lorsque le pay­san se mettra
entre la mer et les seigneurs
près de ce large Duero
d’enfants qui se meurent…

Déjà il fait nuit
une nuit étoilée,
et Anto­nio regarde vers l’Orient
où le clai­ron de l’aube
éclate sous les pins neigeux
der­rière un mont glacé
pareil à un écus­son patiné.
Com­bien de temps encore, Caïn ?
Com­bien de temps encore les mortes et sèches rivières
de poètes étouffés
grif­fe­ront-elles l’Espagne ?

Oh, Anto­nio, père et pain de la poésie,
poète sans carrière,
homme nu !…
hor­loge vivante sur le temps qui chante !
Lun­di qui parle
mar­di avec l’Histoire,
mer­cre­di avec Antonio
et avec l’Espagne,
toi, qui à Collioure
oh, France
la garde enterrée !

José Her­re­ra Petere

(Remarque peut-être indis­pen­sable : La poé­sie est la poé­sie. Mais s’il devait y avoir dans l’esprit du lec­teur oppo­si­tion entre les arènes per­fides de l’Occident et les pro­messes de l’Orient, nous le ren­ver­rions, entre autres, au texte de Serge ici repro­duit. Pas ques­tion pour nous d’innocenter les « arènes » ; mais pour ce qui est de l’aide orien­tale à l’Espagne, on sait ce qu’elle a valu. J. P. S.)

Misterio del hambre

Se ha muer­to el pan

Las vacas
no saben lo que es leche
y alqui­lan plañideras
el llan­to de sus ojos

Está
de moda
el nabo
la hari­na de raíces
la dulce hierba
de los ribazos

Las coci­nas se ponen
pelu­cas de patatas
El carbón jue­ga al tenis
con bolas de papel
La gente como cabras
lamen un cubo de sal :
La esperanza

Se han muer­to los zapatos
las melo­dio­sas nubes
de los cigar­ros puros
la tier­na media luna
del crois­sant matinal

Se ha muer­to el chocolate

Tele­fo­nea el médico
Ya no vendrá
(Pedía un gallo)

Que­dan los árboles
del parque
A la her­ma­na malilla
le sentamos
una rama de pino
en el pecho

Tres años
la luz ordeña
a los faroles

Ya no asus­ta la muerte
La esperamos
deba­jo de las sábanas
desinteresados
leyen­do su folletín
aprisa

Vie­nen bombas
bien dispuestas
arrul­lan­do compasivas

Dos mil pesetas
y un par de pollos
cues­ta salir
del infierno

A ningún precio
jabón
para las manchas

¿ Que haría aquí
Pilatos ?

Las cria­das sonámbulas
se vuel­ven milicianas
La nuestra
tiene un botón
de carne
en la espalda

Las sire­nas chirrían
sobre los muertos

¡ Bom­bar­deo !

Som­bras chinescas
nos dan la mano
en la pared maestra

Una veci­na
sale gritando
en cueros
¡ Hay moros
en la plaza
de Cataluña !

Cada día reparte
pases de espectro
ayes de herido
ges­tos de loco
mue­cas de preso

Y
a
no
so
tros

¡ Cómo muda
un cor­ro de vicio
a los pequeños !

Eso
nadie
lo cuenta

Cómo la guer­ra pisa
la pureza
del jilguero

Cómo la primavera
se decapita
los dedos
sobre el sexo

El pri­mer día
¡ Qué surtidor
de pena !

Cam­bia­mos
una perrilla
de asco
contra un gramo
de llanto

Juan Penal­ver

(Del libro inédi­to « Dia­rio de Guer­ra de un niño »)

Mystère de la faim

Le pain est mort

Les vaches
ne savent plus ce qu’est le lait
et louent plaintives
les larmes de leurs yeux

La mode
est au navet
aux farines de racines
aux douces herbes
des rives

Les cui­sines se mettent
des per­ruques de patates
Le char­bon joue au tennis
avec des boules de papier
Les gens comme des chèvres
lèchent un bloc de sel :
L’espérance

Morts aus­si les souliers
Les mélo­dieux nuages
des cigares de havane
la tendre demi-lune
du crois­sant matinal

Mort le chocolat

Au télé­phone
le méde­cin ne vien­dra pas
(il vou­lait un poulet)

Il n’y a plus
que les arbres
du jardin

La petite sœur malade
Nous lui posons
une branche de pin
sur la poitrine

Voi­là trois ans
que la lumière trait
les réverbères

Nous n’avons plus peur de la mort
Nous l’attendons
sous nos draps
blasés
parcourant
son feuilleton

Il tombe des bombes
bien disposées
qui roucoulent
compatissantes

Vingt mille francs
et deux poulets
pour sor­tir de l’enfer

Sans prix
le savon
pour les taches
Que ferait ici
Pilate ?

Les domes­tiques somnambules
se font miliciennes
La nôtre
a un bouton
de chair
sur le dos

Les sirènes crissent
sur les morts

Bom­bar­de­ment !

Des ombres chinoises
nous donnent la main
contre la maçonnerie

Une voi­sine
sort toute nue
qui crie :
Il y a des Maures
sur la place de Catalogne !

Chaque jour distribue
des bons de spectres
des plaintes de blessés
des ges­ti­cu­la­tions de fous
des gri­maces de prisonniers

Et
nous
les
pe
tits

com­bien nous change
la ronde du vice !

Ça
personne
n’en parle

Comme la guerre foule
la pureté
du passereau

Comme le printemps
se décapite
les doigts
sur le sexe

Le pre­mier jour
quel jaillissement
de peine !

Nous échan­geons
une piécette
de dégoût
contre un gramme de larmes

Juan Penal­ver
(Tra­duc­tion d’André Belamich)

La Presse Anarchiste