La Presse Anarchiste

… Et les Azeris ?

On ne sait guère de choses sur l’his­toire de l’Azer­baïd­jan avant la con­ver­sion de sa pop­u­la­tion à l’is­lam. La région de Bak­ou était prob­a­ble­ment peu­plée de descen­dants des Pers­es de l’An­tiq­ui­té ayant con­servé leurs cultes zoroas­triens ; elle reçut le nom d’Azer­baïd­jan, « pays du feu » ou « pays des ado­ra­teurs du feu », parce que ses habi­tants con­stru­i­saient des fours et entrete­naient d’im­posants bûch­ers dans leurs tem­ples. Cer­taines tribus nomades kur­des ont con­servé la tra­di­tion jusqu’à nos jours et adorent le feu, sym­bole du dia­ble, le maître d’ici-bas…

Les pre­mières chroniques des voyageurs arabes affir­ment que le pays, peu­plé de « païens », fut arraché au roy­aume d’Ar­ménie par les shahs de Perse. Au milieu du xie siè­cle, les Turcs Seld­joukides s’emparent de l’ensem­ble de la province et la colonisent en masse, y imposent leur langue et leurs cou­tumes et en font un État qui con­servera son indépen­dance poli­tique jusqu’au xve siè­cle. Aujour­d’hui encore, la pop­u­la­tion de l’Azer­baïd­jan se donne le nom de « Türkler » plus volon­tiers que celui d’« Azéri », d’o­rig­ine persane.

Mar­co Polo décou­vri­ra l’une des sources de la prospérité du sul­tanat d’Azer­baïd­jan : l’ex­ploita­tion d’une « huile noire qui jail­lit du sol » et attise toutes les con­voitis­es parce qu’elle per­met de mul­ti­ples usages, qui est exportée par car­a­vanes jusqu’en Chine pour servir à la con­fec­tion de bombes incen­di­aires… C’est le pét­role, encore incon­nu partout ailleurs dans le monde. 

Du xiie au xve siè­cle, la « paix turque » est pour­tant régulière­ment trou­blée par des guer­res religieuses très meur­trières qui opposent les chi­ites aux sun­nites. Au début du xvie siè­cle, époque des con­flits entre les dynas­ties séfé­vide de Perse et ottomane de Turquie, les Azéris sont le seul peu­ple du Cau­case majori­taire­ment attaché au chi­isme. Ce choix religieux sera l’in­stru­ment d’une vigoureuse recon­quête cul­turelle per­sane à par­tir du traité de paix tur­co-per­san qui met l’Azer­baïd­jan sous la suzeraineté per­sane. Au début du xviie siè­cle, le shah Abbas Ier inau­gure une poli­tique d’i­rani­sa­tion for­cée et extirpe le sun­nisme par la ter­reur. Si le sun­nisme ne s’est guère main­tenu que chez les nomades, pour la plu­part Kur­des, l’i­rani­sa­tion a été un échec : en 1926, seule­ment 5 % des Azéris par­laient le per­san dans la vie de tous les jours. 

L’occupation russe

Les Russ­es arrivent au début du xixe siè­cle. Ils pren­nent Bak­ou en 1805 et enlèvent à la Perse, par le traité de 1813, les prin­ci­pautés de Der­bent, Bak­ou et Gan­ja ; c’est-à-dire la majeure par­tie du Dagh­es­tan et la moitié septen­tri­onale de l’Azer­baïd­jan. La province occi­den­tale de Nakhitchevan, vieux fief arménien peu­plé en majorité de musul­mans azéris et kur­des, est arrachée à l’Em­pire turc en 1828. Les nou­veaux occu­pants se mon­trent très diplo­mates pour éviter un soulève­ment général­isé des pop­u­la­tions musul­manes : tan­dis que les mon­tag­nards sun­nites du Dagh­es­tan sont dure­ment matés par la troupe, les chi­ites d’Azer­baïd­jan béné­ficieront d’un statut unique dans l’Em­pire russe. La noblesse azérie con­servera ses droits et ses priv­ilèges et sera con­sid­érée comme l’é­gale de la noblesse russe. Le khan de Bak­ou se ver­ra attribuer d’im­por­tantes fonc­tions à la cour de Russie, et le khan de Nakhitchevan une charge d’of­fici­er supérieur dans la garde impériale.

Asso­ciée par les Russ­es à l’ex­ploita­tion du pét­role, la bour­geoisie nationale n’est pas fâchée de s’é­manciper des rigueurs de la loi islamique. La tra­di­tion anti-chi­ite et anti-irani­enne reprend vie à la fin du xixe siè­cle et une presse d’in­spi­ra­tion libérale fait con­naître les sen­ti­ments tur­cophiles de la bour­geoisie musulmane. 

Un mou­ve­ment réformiste et nation­al­iste, opposé à la dom­i­na­tion russe autant qu’à l’in­té­grisme chi­ite, se con­stitue autour d’une poignée d’in­tel­lectuels inspirés par­le mou­ve­ment des Jeunes-Turcs d’Is­tan­bul. Les jeunes aris­to­crates font leurs études à Saint-Péters­bourg ou en France, où ils s’en­t­hou­si­as­ment pour les réus­sites de la société indus­trielle ; ren­trés au pays, ils ne peu­vent sup­port­er l’im­mo­bil­isme des sociétés ori­en­tales et entre­ti­en­nent l’ag­i­ta­tion nation­al­iste, surtout par­mi les Azéris du Sud, sujets du shah de Perse. L’heb­do­madaire Fiyuzat (La Prospérité) est l’un des sup­ports de ce nation­al­isme bour­geois. Mais c’est surtout la feuille satirique Mul­lah Nasred­din qui fait con­naître dans tout l’Em­pire russe et le Moyen-Ori­ent les idées du nation­al­isme pan­turc. À la veille de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, Bak­ou est la ville de Russie où l’on pub­lie le plus grand nom­bre de péri­odiques s’adres­sant à un pub­lic musulman. 

Cette place de leader du monde tur­co-musul­man, la bour­geoisie azérie la doit à sa richesse autant qu’à son dynamisme [[Cette bour­geoisie cul­tivée a générale­ment choisi d’émi­gr­er après 1920, notam­ment en France et en Turquie. Par­mi les Français d’as­cen­dance azérie citons : Haroun Tazi­eff, Robert Hos­sein, Lau­rent Terzi­eff.]]. Cette richesse est bâtie sur l’in­dus­tri­al­i­sa­tion accélérée de la région de Bak­ou, et c’est donc dans l’ag­gloméra­tion de Bak­ou que se con­stitue la pre­mière classe ouvrière de con­fes­sion musul­mane du monde mod­erne. Bak­ou ver­ra les pre­mières cel­lules clan­des­tines de soci­aux-démoc­rates en pays musul­man ; russ­es, Azéris et Arméniens y tra­vail­lent ensem­ble. Quelques pro­pa­gan­distes act­ifs y fer­ont leurs class­es, notam­ment Kras­sine et un cer­tain Djougachvili… 

L’é­cho de la défaite russe en Mand­chourie donne un coup de fou­et à l’ag­i­ta­tion ouvrière à Bak­ou et au mou­ve­ment nation­al­iste dans les cam­pagnes. À par­tir de 1905, les bour­geois Jeunes-Turcs de Fiyuzat sont évincés de la scène poli­tique par le nou­veau par­ti Musa­vat (Égal­ité) qui réu­nit sur un pro­gramme min­i­mum les nation­al­istes et les soci­aux-démoc­rates azéris. De jeunes intel­lectuels liés au Musa­vat créent à Tabriz la pre­mière organ­i­sa­tion marx­iste de Perse et par­ticipent au soulève­ment des Azéris d’I­ran en faveur d’une réforme con­sti­tu­tion­nelle du despo­tisme absolu des shahs. Les deux insur­rec­tions de Tabriz, en 1907 et 1911, seront matées par des troupes russ­es venues au sec­ours des Iraniens défail­lants. Le choc pro­duit par cette col­lab­o­ra­tion fera évoluer le Musa­vat vers le nation­al­isme pan­turc. Son aile gauche, dom­inée par les bolcheviks, le quitte pour for­mer un par­ti com­mu­niste nation­al : le par­ti Hüm­met. Dès le début de la Pre­mière Guerre mon­di­ale, Hüm­met s’aligne sur des posi­tions inter­na­tion­al­istes (paix immé­di­ate et sans annex­ions), tan­dis que Musa­vat milite ouverte­ment pour le rat­tache­ment de l’Azer­baïd­jan à l’Em­pire ottoman. 

Au cours des deux pre­mières années du con­flit, les Russ­es pénètrent en ter­ri­toire iranien et turc sur une pro­fondeur de 200 à 400 km. Ils sont dis­posés à annex­er l’ensem­ble de l’Azer­baïd­jan et à établir un pro­tec­torat sur l’Ar­ménie turque. À par­tir de l’été 1917, la déser­tion mas­sive des sol­dats russ­es entraîne une dis­lo­ca­tion du front. Le rem­place­ment des déser­teurs par des détache­ments de volon­taires arméniens n’empêche pas une recon­quête turque de tous les ter­ri­toires per­dus, suiv­ie d’une offen­sive en Azer­baïd­jan iranien et en Arménie russe. Les bolcheviks pro­posent aux Turcs la paix et aux Iraniens une évac­u­a­tion accélérée des ter­ri­toires encore occupés. Ces ouver­tures restent sans réponse et, une semaine avant la sig­na­ture du traité de Brest-Litovsk, les Turcs envahissent l’Azer­baïd­jan russe. Une ten­ta­tive de soulève­ment des bolcheviks de Bak­ou est mise en échec par un putsh du par­ti Musa­vat le 30 mars 1918 [[Lors des élec­tions à l’Assem­blée Con­sti­tu­ante de novem­bre 1917, le par­ti Musa­vat emporte 63 % des voix des musul­mans de Tran­scau­casie, la droite cléri­cale chi­ite près de 25 % des voix ; bien que très pop­u­laires dans l’ag­gloméra­tion de Bak­ou, les bolcheviks russ­es et leurs amis d’Hüm­met n’ob­ti­en­nent que 10 % des suf­frages dans l’ensem­ble de la province.]]. Hüm­met est dis­sout, les com­mu­nistes pour­chas­sés, fusil­lés. Toutes les rela­tions diplo­ma­tiques et économiques sont rompues avec le gou­verne­ment soviétique.

L’ indépendance

Le 28 mai 1918, la procla­ma­tion de l’indépen­dance par les dirigeants du Musa­vat relance la guerre civile. Craig­nant une général­i­sa­tion des pogromes de civils arméniens, des détache­ments armés du Dash­nak (Par­ti social­iste arménien) investis­sent une par­tie de l’ag­gloméra­tion de Bak­ou. Ils organ­isent une coali­tion de résis­tance anti-turque avec les S.R. russ­es et les mencheviks géorgiens. La ville est saccagée deux mois durant et la pop­u­la­tion azérie mas­sacrée sans dis­cerne­ment. En août, les Turcs sont accueil­lis en libéra­teurs ; les représen­tants de la bour­geoisie salu­ent l’u­nité retrou­vée de la nation turque et procla­ment leur « par­fait accord avec les actions poli­tiques et mil­i­taires » de l’Em­pire ottoman. À la mi-novem­bre, il faut déchanter : avec la vic­toire alliée sur les puis­sances cen­trales, l’ar­mée turque est con­trainte d’é­vac­uer la province. Les Anglais occu­pent Bak­ou. Ils lais­sent en place le gou­verne­ment indépen­dan­tiste et par­ticipent à la répres­sion du bolchevisme, mais se gar­dent d’aider les Azéris à vain­cre une sédi­tion armée des Arméniens du Haut-Karabakh.

Au cours des deux années d’indépen­dance, le gou­verne­ment de coali­tion libérale n’au­ra pas le loisir d’ap­pli­quer son pro­gramme de réformes (démem­bre­ment des grands domaines fonciers, lim­i­ta­tion de la durée jour­nal­ière du tra­vail). Il doit organ­is­er la résis­tance face aux expédi­tions mil­i­taires des Géorgiens, des Iraniens et de l’ar­mée blanche de Denikine. La ques­tion des rela­tions inter-eth­niques à l’in­térieur même des fron­tières du nou­v­el État est par­ti­c­ulière­ment com­plexe : arméni­enne ou russe, un tiers de la pop­u­la­tion n’est pas musul­mane… La per­ma­nence d’un prob­lème agraire non résolu entre­tient la mul­ti­pli­ca­tion des jacqueries de paysans sans ter­res. L’é­conomie est asphyx­iée par l’ar­rêt de l’ex­por­ta­tion du pét­role. Le pou­voir est pro­gres­sive­ment con­fisqué par les pro­prié­taires ter­riens qui, pour retarder l’ap­pli­ca­tion de la réforme agraire et main­tenir la loi mar­tiale, lan­cent l’Azer­baïd­jan dans des aven­tures mil­i­taires ruineuses : ten­ta­tive d’an­nex­ion des dis­tricts arméniens du Karabakh et du Zangue­zour, con­quête avortée de ter­ri­toires peu­plés de musul­mans sun­nites (Ingouch­es, Tchétchènes, peu­ples du Dagh­es­tan). Cepen­dant, au début de l’an­née 1920, deux amé­nage­ments s’im­posent pour sor­tir le pays de la crise : la paix avec l’Ar­ménie et la nor­mal­i­sa­tion des rela­tions avec la RSFSR. Comme préal­able à la reprise des rela­tions économiques, les bolcheviks exi­gent la légal­i­sa­tion du par­ti com­mu­niste. C’est l’Ar­ménien Mikoy­an qui est alors dépêché de Moscou pour diriger le nou­veau par­ti ; il le divise tout de suite en deux, crée un par­ti rus­so-arménien séparé du par­ti tur­coph­o­ne. Un état-major spé­cial est mis en place à Moscou pour « résoudre la ques­tion cau­casi­enne » : le Kavburo . Il est dirigé par le Russe Kirov et le Géorgien Ord­jonikidzé. Aucun musul­man n’y est décisionnaire.

La soviétisation

Le 27 avril 1920, une insur­rec­tion com­mu­niste soutenue par la 11e armée sovié­tique oblige le gou­verne­ment à s’au­todis­soudre, et le Par­lement nation­al à déclar­er que le pays renonce à l’indépen­dance. Toute vie poli­tique est immé­di­ate­ment sus­pendue, les syn­di­cats ouvri­ers sont mis au pas. La réu­ni­fi­ca­tion de l’Azer­baïd­jan sous l’aile sovié­tique est à l’or­dre du jour : le con­quérant Froun­ze veut pouss­er jusqu’aux rives du golfe Per­sique. Dès la fin mai, un raid rouge sur les for­ti­fi­ca­tions anglais­es des ports iraniens de la Caspi­enne se con­clut par la déban­dade des Anglo-Per­sans. L’ar­mée rouge parvient en quelques semaines aux portes de Téhéran. Le 24 juin 1920 est con­sti­tué à Tabriz un gou­verne­ment « démoc­ra­tique, anti-cap­i­tal­iste et anti-féo­dal de l’Azer­baïd­jan mérid­ion­al » ; le 31 juil­let, un gou­verne­ment iranien pro-sovié­tique s’in­stalle à Rescht. Inquiété par les revers sovié­tiques en Pologne, Lénine veut rester en paix avec les puis­sances occi­den­tales ; il fait donc évac­uer l’I­ran. La diplo­matie sovié­tique au Moyen-Ori­ent prend un virage très con­ser­va­teur : des traités d’ami­tié et de coopéra­tion sont signés avec Kemal Atatürk, Reza, nou­veau shah de Perse, le roi d’Afghanistan.

Jusqu’au milieu des années 30 la cul­ture azérie est floris­sante, l’al­phabéti­sa­tion (en langue turque tran­scrite en car­ac­tères latins) est un suc­cès. La gauche nation­al­iste est asso­ciée au pou­voir pour com­bat­tre l’in­flu­ence de l’is­lam chi­ite. Des cen­taines de mosquées sont fer­mées au début des années 30. Si le nom­bre des mol­lahs liq­uidés est dif­fi­cile­ment chiffrable, il reste incon­testable que la répres­sion des activ­ités religieuses a été plus dure en Azer­baïd­jan que partout ailleurs. Il était en effet vital pour le pou­voir com­mu­niste de bris­er les sol­i­dar­ités tra­di­tion­nelles qui unis­sent les chi­ites par-delà les fron­tières ; la struc­ture hiérar­chisée de type ecclési­as­tique de l’is­lam chi­ite et la soumis­sion de tous les mol­lahs à l’i­mam de Qom créent un dan­ger com­pa­ra­ble à celui que con­stitue l’Église catholique sur les march­es occi­den­tales de l’Empire…

En 1937–38, le par­ti d’Azer­baïd­jan est décapité. Arméniens et Azéris con­fon­dus, la majorité de ses dirigeants dis­paraît, accusés de dévi­a­tion­nisme nation­al­iste. En 1950, au plus fort de la cam­pagne con­tre les cul­tures nationales, l’Azer­baïd­jan est châtié avant toutes les autres républiques d’Asie cen­trale. Après l’ex­em­ple de la purge que Moscou admin­istre à Bak­ou, les comités cen­traux des autres républiques de la région préféreront s’align­er « spon­tané­ment » et net­toy­er eux-mêmes leur appareil. Entre autres « fautes », Staline pou­vait reprocher à l’ap­pareil d’Azer­baïd­jan de lui avoir fait jouer la carte du nation­al­isme azéri en Iran. En 1942, il avait ordon­né aux com­mu­nistes iraniens (Tudeh) de se met­tre au ser­vice du séparatisme azéri et kurde ; l’ar­mée rouge était inter­v­enue à Tabriz pour soutenir l’in­sur­rec­tion indépen­dan­tiste. À l’au­tomne 1947, après la défaite des nation­al­istes, l’URSS devra accueil­lir sur son ter­ri­toire une armée remuante de rebelles, que l’on désarmera avec dif­fi­cultés avant de l’ex­pédi­er dans les camps du Grand Nord.

La permanence de l’identité nationale

La ques­tion azérie n’a rien per­du de son acuité en 1988. Bien avant l’é­clate­ment de la crise nation­al­iste provo­quée par la pop­u­la­tion arméni­enne du Karabakh, l’Azer­baïd­jan sovié­tique était plongé dans le marasme économique. Les ressources pétrolières ne suff­isent plus pour assur­er la survie des cinq mil­lions d’Azéris. Cer­tains jour­nal­istes moscovites esti­ment qu’en­v­i­ron trois cent mille Azéris n’ont aucun tra­vail rémunéré, et cela dans un pays où le chô­mage n’a pas d’ex­is­tence légale. Cette sit­u­a­tion est aggravée par le refus qua­si unanime de quit­ter la République : plus de 85 % des Azéris vivent dans leur pays, env­i­ron 10 % rési­dent dans les républiques lim­itro­phes de Tran­scau­casie, les autres sont, pour la plu­part, instal­lés en Asie cen­trale. Ce refus de s’ex­pa­tri­er est cor­roboré par une excep­tion­nelle imper­méa­bil­ité à l’in­flu­ence russe : seule­ment 15 % des Azéris par­lent aujour­d’hui russe couram­ment [[Taux le plus faible de la région ; par com­para­i­son, notons que 21 % des Géorgiens et 62 % des Tatars par­lent couram­ment russe.]]. L’in­flu­ence de l’is­lam est restée prépondérante mal­gré la répres­sion. Il n’y a que 65 mosquées ouvertes au culte dans la république et l’ap­pel à la prière n’est toléré que le ven­dre­di. L’ac­tiv­ité religieuse clan­des­tine a cepen­dant redou­blé d’in­ten­sité au cours des dix dernières années : on estime qu’en­v­i­ron deux cents mosquées clan­des­tines sont en activ­ité dans la seule aggloméra­tion de Bakou.

Le prob­lème nation­al reste posé ouverte­ment. À tel point que les organes offi­ciels eux-mêmes font état du vif sen­ti­ment de sol­i­dar­ité qui unit Azéris sovié­tiques et Azéris iraniens. Telle revue lit­téraire de Bak­ou pub­lie régulière­ment des œuvres d’Azéris iraniens et ne perd pas une occa­sion de proclamer sa foi en une réu­ni­fi­ca­tion prochaine des deux provinces. L’ap­pareil poli­tique est sen­si­bil­isé aus­si : dans une déc­la­ra­tion rap­portée le 30 novem­bre 1982 par l’Inter­na­tion­al Her­ald Tri­bune, Guedar Alief, alors numéro trois du Krem­lin, dis­ait son espoir de voir l’Azer­baïd­jan réunifié.

Détournée par le pou­voir vers la lutte con­tre les Arméniens, l’ex­as­péra­tion des Azéris n’est pas prête à être gérée sans accrocs. Les sept décen­nies de répres­sion nationale et religieuse en URSS font pen­dant aux sept décen­nies d’in­ter­dic­tion de la langue turque en Iran.

[/V. Sanine/]


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