La Presse Anarchiste

L’Église et l’humanisme

Il est indis­cutable que la reli­gion, par­ti­c­ulière­ment la reli­gion catholique, est en train de s’humaniser dans les pays d’Europe occi­den­tale et aux États-Unis. On relève même des lueurs annon­ci­atri­ces dans cer­tains pays d’Amérique du Sud. L’esprit de Jean XXIII, qui vient de mourir, n’a rien à voir avec celui de Pie x, ni d’autres papes assez récents ; encore moins avec celui de l’Inquisition.
Mais cette plus grande tolérance n’est-elle pas le fruit de l’évolution générale d’une bonne par­tie de l’humanité, et dont on trou­ve des symp­tômes dans le monde com­mu­niste lui-même ? Et cette évo­lu­tion n’est-elle pas la con­séquence des principes proclamés par la Déc­la­ra­tion des Droits de l’Homme et du Citoyen, en France, par la Déc­la­ra­tion des Droits, un peu avant, aux États-Unis, par le droit con­sti­tu­tion­nel qui avait tri­om­phé plus tôt en Angleterre, par la lutte que menèrent Locke et ses amis, les ency­clopédistes français, pour un plus grand respect de l’homme, de l’individu, de la lib­erté de con­science, de la lib­erté de pen­sée ? Il n’y a pas si longtemps qu’en Alsace — où le catholi­cisme impose tou­jours, sous men­ace de trou­bles qui prendraient tour­nure d’insurrection, le con­cor­dat avec l’État français — l’habitant d’un vil­lage qui n’allait pas à la messe ne pou­vait tra­vailler, qu’en France les prêtres se bat­taient pour qu’on enseignât le catéchisme dans les écoles. Il n’a du reste pas cessé tout à fait le com­bat, et il le reprendrait si les cir­con­stances rede­ve­naient favorables.
Le droit des filles-mères, des enfants bâtards, celui de la femme à être éli­gi­ble, à étudi­er dans les uni­ver­sités, à exercer des pro­fes­sions libérales, la loi du divorce, les dif­férents aspects de l’aide sociale, ont été con­quis, non comme con­séquence de la poli­tique de l’Église, mais comme résul­tat d’une élé­va­tion de la con­science humaine. Et si l’Église revient à l’œcuménisme, c’est parce que, de plus en plus, devant la mon­tée uni­verselle de l’esprit d’humanité, le nation­al­isme est en recul.
Car le monde catholique offi­ciel et dom­i­nant a surtout défendu le droit de faire sa pro­pa­gande, de men­er à bien sa poli­tique, et à ce sujet la sit­u­a­tion actuelle du Cana­da est con­va­in­cante. Comme le com­mu­nisme, la lib­erté qu’il a défendue quand il était minori­taire a surtout été la sienne, con­tre la lib­erté des autres. Et puisque l’Église vit sur le plan des siè­cles, c’est aus­si sur le plan des siè­cles que nous devons la juger.
Il se pro­duit aujourd’hui un très vaste mou­ve­ment vers et pour de nou­veaux droits, une éclo­sion human­iste qui gagne toutes les sphères. L’Église est oblig­ée de suiv­re. Telle est la pre­mière constatation.
Même si en son sein une évo­lu­tion sem­blable se pro­duit, ce que nous croyons, cela est la con­séquence du fait général qui a précédé ; ain­si qu’il arrive du reste dans le monde islamique, là où la con­science et l’intelligence sont sor­ties de leur torpeur.
En allant au fond des choses, nous pou­vons don­ner une expli­ca­tion plus pré­cise : comme le recon­naît Teil­hard de Chardin qu’on ne pou­vait met­tre à l’index sans dan­ger, et qu’on sup­porte par force, la reli­gion est une créa­tion humaine. Dieu a été inven­té par l’homme. Si ceux qui s’en pré­ten­dent les représen­tants changent une con­duite deux fois mil­lé­naire, ce n’est pas à cause de leurs croy­ances — ils l’auraient déjà fait avant — mais en ver­tu de cette actuelle et rapi­de évo­lu­tion de l’esprit humain qui pénètre l’Église et l’influence, ou influ­ence une par­tie de ceux qui la diri­gent. On ne pour­rait aujourd’hui recom­mencer les per­sé­cu­tions religieuses d’autres épo­ques. Car les temps sont changés. Telle est la cause essentielle.
Recon­nais­sons loyale­ment cette évo­lu­tion, mais ne nous trompons pas sur ses caus­es. Elles vien­nent de l’extérieur. C’est l’humanité qui marche devant.