Des social-démocrates nous ont dit : – De quoi vous plaignez-vous ? d’être trahis ?… mais on ne vous a jamais rien promis ! au contraire : vous étiez prévenus de n’avoir à compter sur personne.
Très bien, mais alors il y a dans cette affaire un malfaiteur : car nous, nous y allions de notre bonne foi.
Alors, on ne nous laissait entrer dans la maison que pour nous mieux dévaliser ?
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On a déjà tant fait d’hypothèses ici et là, des hypothèses dans l’eau, que nous allons nous permettre d’en faire encore une et de la soumettre aux réflexions :
Croit-on que le peuple français se fût levé pour une guerre de conquête ?
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On nous a objecté encore : « En luttant contre l’impérialisme allemand vous luttez pour l’État français, c’est-à-dire pour vos maîtres, dont vous consolidez le crédit en assurant le triomphe. »
Nous répondons qu’il n’y a pas l’État français, l’État bourgeois, mais la menace allemande du caporalisme à la Bismarck, du césarisme omnipotent, du centralisme ennemi mortel de tout fédéralisme, tueur dans l’œuf de toute liberté.
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Eh bien oui, il y a des guerres d’agression et des guerres de défense. Et il y a autant de différence entre celles-ci et celles-là qu’il y en a entre la théorie révolutionnaire d’instauration d’un monde nouveau et sa pratique.
Pour être traduite en fait la théorie demande des hommes, des hommes nouveaux : où sont-ils ? où les a‑t-on jamais vus ?
Ce n’est pas la théorie qui fait l’homme, mais l’homme qui fait la théorie – et le rêve. Le rêve dispose, mais le milieu propose : Le milieu, c’est-à-dire les institutions, les mœurs, les caractères, les intérêts.
Le rêve est bon, mais il s’agit de rêver tout éveillé.
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Nous ne savons pas, dans ce journal, quel sort nous est dévolu, mais ce que nous savons c’est que nous sommes forts de notre volonté de reconnaître que sur plus d’un point nous avons manqué de prévoyance ; que nous n’avons pas attaché assez d’importance à certaines choses et qu’à d’autres nous en avons accordé trop.
Nous retournons au peuple, dont nous sommes, et nous entendons souffrir avec lui et le plaindre, pour mériter de pouvoir le blâmer et le conseiller.
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– Hé ! hé ! vous luttez pour sauvegarder « le bien commun », mais où est-il ? N’avez-vous pas toujours dit que vous ne possédez rien ?
– Nous possédons un idéal et des traditions, choses que n’a pas le voisin. Notre idéal peut s’être voilé et nos traditions peuvent s’être endormies, – l’un et l’autre se réveilleront rien que parce que nous en conservons le souvenir.
De même que nous aimons mieux travailler dix heures que douze et huit que dix, de même nous aimons mieux gagner dix francs que huit et huit que cinq.
Et de même nous aimons mieux ce qu’il y a de révolutionnaire dans l’esprit républicain et le libéralisme anglais que ce qu’il y a de césarien dans le germanisme.
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– Très bien ! mais – et le tsarisme ?
– Qui vous a dit que nous oublions le tsarisme ?
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– … Et l’exploitation de l’homme par l’homme… républicain ?
– À bas le salariat !
– Et les gendarmes républicains ? les tribunaux républicains ? les prisons républicaines ?…
– Vive la liberté !
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– Vous vous « adaptez ».
– Nous suivons l’actualité. Et nous ne serons pas plus soumis que vous à l’épicier, au boulanger, au propriétaire, au prêtre, à la loi, et à nos vices.
Il n’y aura pas chez nous plus de faux prosélytes, plus de faux martyrs, plus de faux amis, plus de faux frères.
Il y en aura autant.
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– Vous coupez dans ce bateau de la « dernière guerre » ?
– Ce n’est pas nous qui avons lancé le mot : il n’aurait pas eu tant de fortune. Et c’est pourquoi il nous ravit.
Il faut qu’il devienne notre Pologne autonome.
– Vive la Pologne !
– Donc vous devenez nationalistes ?
– À peine des géographes et des historiens, en ce qui concerne la naissance des races, la formation des patries, les coutumes et les habitudes.
Ça s’appelle de l’ethnographie, et c’est au patriotisme ce que le panthéisme est au mysticisme religieux.
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– Et la lutte des classes ?…
– Elle continue, puisque nous prenons déjà des garanties en retenant des promesses dont nous surveillerons l’exécution, – mieux que des promesses : en créant du possible, en enlevant son objectif à la Paix Armée.
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– Et vous ne croyez pas qu’il aurait mieux valu prévenir tout cela que d’avoir la guerre ?
– Pardon ! vous vous trompez de porte. Quand il pleut nous ne pouvons qu’ouvrir notre parapluie, chasser le chien qui veut nous mordre ou donner du sucre à l’enfant qui pleure.
Mektoub ! disent les Arabes. « C’était écrit ». C’était écrit dans un tas de choses, qui probablement devaient être fortes puisqu’elles ont eu raison.
Adressez-vous pour plus amples renseignements aux « junkers » d’Allemagne, qui veulent se planter un arbre généalogique à fleurs de blason, et aux Sozial-demokraten qui ont trouvé que mourir pour les « junkers » c’était mourir pour l’Internationale.
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– Bref, vous envoyez à la tuerie.
– Inexact. Car nous serions des lâches puisque nous n’y allons pas nous-mêmes. Nous sommes neutres au point de respecter jusqu’à la vie des autres. Mais nous avons nos préférences comme vous avez les vôtres. Cela ne nous empêche pas de pleurer tous les morts.
Nous ferons se dresser tous les spectres, sur tous les champs de bataille. Et nous avons idée qu’ils parleront plus fort que les vivants quand nous liquiderons toutes les banqueroutes.
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