La Presse Anarchiste

Ici et là

[/​Des héros/​]

Il serait sot de décla­rer que depuis la guerre il n’y a plus que du mau­vais en Alle­magne, que tout, du Kai­ser jus­qu’au pauvre diable de tis­se­rand silé­sien, des hobe­reaux prus­siens aux braves gens qui tra­vaillent dans les villes et les vil­lages est abso­lu­ment à reje­ter. Cet anti­ger­ma­nisme gro­tesque qui, pen­dant quinze jours, a fait exclure des concerts en France les sym­pho­nies du génial Bee­tho­ven, et cela sous la pres­sion for­ce­née des natio­na­listes genre « Action fran­çaise », cet impé­ria­lisme à rebours, aus­si détes­table que l’or­gueil des intel­lec­tuels alle­mands, reçoit heu­reu­se­ment de sin­gu­liers camouflets.

Une dame venant de Bruxelles nous a assu­ré, il y a quelque quatre mois, que dans la capi­tale belge 200 sol­dats alle­mands avaient été fusillés d’une fois pour avoir refu­sé de se rendre sur le front occi­den­tal contre les troupes belges. De tels faits, mal­gré qu’on soit blin­dé par les hor­reurs du temps pré­sent, déclen­chées par les diri­geants bour­geois de notre admi­rable socié­té capi­ta­liste, de tels faits vous font froid dans le dos et vous émo­tionnent terriblement.

Il y a donc des héros humains en Alle­magne. Tout n’est pas per­du. Il y a là des hommes sen­sibles, se refu­sant au meurtre, à l’in­jus­tice, à la félo­nie, et cette digni­té d’hommes sen­sibles, ils la paient de leur vie ; ils acceptent sans bron­cher le salaire que leur octroie le patrio­tisme, ils pré­fèrent la mort plu­tôt que de renier la civilisation.

Ah ! les vaillants com­pa­gnons ! Ces Alle­mands sont des pion­niers de la civi­li­sa­tion. Il ne faut pas qu’on les oublie.

[/​Répu­gnants pro­cé­dés/​]

Le citoyen War­nant, avo­cat et séna­teur de Liège, a rap­por­té un détail symp­to­ma­tique dans une série de confé­rences impres­sion­nantes qu’il a faites en Suisse :

Le 13 juillet 1913 avaient lieu à Liège de grandes fêtes patrio­tiques aux­quelles on avait invi­té des repré­sen­tants des auto­ri­tés alle­mandes. On était au mieux entre Alle­mands et Belges, et ces der­niers subis­saient avec une faci­li­té crois­sante l’in­fluence des gros ban­quiers de Ber­lin. On avait toute confiance dans l’a­mi­tié du grand empire voisin.

Par­mi les invi­tés offi­ciels se trou­vait le géné­ral von Emich. Les rela­tions ger­ma­no-belges étaient si cor­diales que le len­de­main, le 14 juillet 1913 — nous pré­ci­sons — le géné­ral von Emich deman­da de pou­voir visi­ter les forts de Liège. Cette faveur lui fut accor­dée. Le géné­ral von Emich visi­ta tous les recoins des forts de Liège, le 14 juillet 1913, par faveur spé­ciale, sur sa propre demande.

Une année plus tard, les pre­miers jours d’août 1914, les armées alle­mandes assié­geaient Liège sous le com­man­de­ment du géné­ral… von Emich.

Et l’empereur, et tous les mili­taires, et tous les impé­ria­listes d’applaudir.

Cette classe de nobles, de finan­ciers et de sou­dards peut être fière d’a­voir dans son sein le plus ignoble des mou­chards, le Vone­mich dont le nom sera davan­tage frap­pé d’op­probre que celui d’A­zew lui-même, le pro­vo­ca­teur russe de sinistre mémoire. Nous n’en­vions pas la puis­sante caste diri­geante alle­mande d’a­voir déga­gé une pareille crasse morale. Déca­dence certaine.

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