La Presse Anarchiste

Sexualisme et amour

Cha­cun sa pierre. Me sera-t-il per­mis d’ap­por­ter la mienne, car cette ques­tion inté­resse tout le monde ; et non pas seule­ment le monde des par­tis d’a­vant-garde, mais le monde de tous les mondes. Et sans excep­tions, ou presque. Parce que les civi­li­sa­tions de tous les temps et de tous les pays ont vou­lu régle­men­ter — ou plu­tôt entra­ver — un besoin natu­rel et fort. Fort au point qu’on peut se deman­der s’il n’est pas le pivot de toute la créa­tion. J’i­ma­gine en moi-même que les diri­geants — reli­gieux ou phi­lo­sophes — qui n’ont pas tou­jours for­cé­ment été des imbé­ciles — ont eu le des­sein, conscient ou non, d’é­loi­gner la sur­po­pu­la­tion du globe. Ils auraient donc eu rai­son de mettre un frein. Mais les diri­gés non plus n’ont pas tort de vou­loir se déga­ger, car il est évident que toute créa­ture tend à la liber­té. Seule­ment, cha­cun veut être libre pour soi, se déga­ger, et lais­ser autrui dans les rets, l’y main­te­nir, et ce, par la force des opi­nions cou­rantes sous le rap­port de ce qu’on appelle les mœurs. D’où le chaos, les hypo­cri­sies, les façades et la vie réelle, les drames, les crimes. Et les polé­miques lit­té­raires qui tachent d’oeu­vrer pour une vie meilleure. 

Mais la ques­tion n’est pas simple. Car, cha­cun, dans ces ques­tions, « parle son lan­gage, qui est à peu près impé­né­trable pour les autres ». Et à la com­plexi­té des indi­vi­dus se mêle la com­plexi­té des situa­tions. D’ailleurs si une règle pou­vait ral­lier tous les esprits, elle serait for­cé­ment inopé­rante puis­qu’elle serait une règle et entra­ve­rait à nou­veau la liberté. 

— O —

Oui, en ce qui concerne la démo­li­tion des hom­mages ren­dus à la chasteté ; 

Oui, pour le com­bat contre la jalou­sie-puis­sance, la jalou­sie-méchan­ce­té, la jalou­sie-ven­geance, déni­gre­ment, espion­nage, la jalousie-criminelle. 

Mais je com­prends l’A­mour avec un grand A, l’a­mour oiseau bleu, l’a­mour « petit pom­pier » et « petit bour­geois » — et même grand pom­pier et grand bour­geois, l’A­mour avec un grand casque et en grand tra­la­la — vêtu d’or et d’a­zur pour les fêtes du cœur. Et de celui-là, il n’est peut-être pas pos­sible d’ex­clure com­plè­te­ment la jalou­sie. L’es­prit éclai­ré la repous­se­ra — il en connaî­tra le souf­france, s’il connaît l’Amour. 

Or, il faut dis­tin­guer entre l’A­mour et les rap­ports sexuels. 

Trop sou­vent, comme on les com­prend vul­gai­re­ment, la « plu­ra­li­té », la « cama­ra­de­rie amou­reuse », même alors que ces rela­tions sont empreintes de la plus grande dou­ceur, tout cela ce n’est que l’a­mour phy­sique — celui qui 

« ne fait rien pas­ser de l’âme
« dans l’embrassement… »

celui qui n’exalte pas, qui ne fait pas souf­frir, mais qui ne donne pas la joie, la vraie joie ! 

On peut cher­cher « l’âme sœur » toute sa vie ; — mais on peut aus­si la ren­con­trer et rien n’est si mer­veilleux. C’est la lumière ; c’est l’embrasement d’un feu d’ar­ti­fice ; c’est la sen­sa­tion pro­fonde d’un bon­heur immense, infi­ni, qui vous donne le force de sup­por­ter toutes les misères inhé­rentes à la nature humaine. 

Cet amour-là se suf­fit à lui-même ; il n’a besoin ni de la béné­dic­tion nup­tiale — ni de la cohabitation. 

Et ce qui fait. sou­vent des polé­miques concer­nant les rap­ports sexuels une tour de Babel, c’est que l’on confond — ou l’on mêle — ce qui concerne le mariage ou la coha­bi­ta­tion avec l’Amour. 

Ce sont des choses si dif­fé­rentes qu’elles sont le plus sou­vent opposées. 

Les idées d’é­man­ci­pa­tion sexuelle sont des idées larges, géné­reuses, humaines ; mais cha­cun de nous, en les fai­sant pas­ser clans le creu­set de sa propre indi­vi­dua­li­té, lui donne des moda­li­tés différentes. 

Per­venche

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