La Presse Anarchiste

Informations objecteurs

À la suite de diver­gences avec l’association Aide à toute détresse, le groupe des objec­teurs de Noi­sy-le-Grand se divise : trois conti­nuent leur tra­vail à Aide à toute détresse, un va dans les Cévennes avec l’association Font vive (ani­ma­tion socio­cul­tu­relle et éco­no­mique de la région), les qua­torze autres, recher­chant une implan­ta­tion propre dans un lieu de misère, seront déta­chés à Emmaüs, et amé­na­ge­ront, dans une période tran­si­toire, une mai­son en loge­ments, ceci à Cailly (Seine-Mari­time).

À Oust, plu­sieurs équipes se sont for­mées en vue de tra­vaux dif­fé­rents : une équipe « volante » effec­tuant des tra­vaux de chan­tier à moyen terme (actuel­le­ment au bidon­ville de Gines­tous à Tou­louse); à Oust même, s’insérant par­mi la popu­la­tion, un cer­tain nombre par­ti­cipent à l’animation rurale (agri­cole) et cultu­relle du vil­lage ; quelques-uns ras­semblent les docu­ments et les études concer­nant les pos­si­bi­li­tés d’animation et de déve­lop­pe­ment de l’Ariège.

La Pro­tec­tion civile, en plus des pos­si­bi­li­tés de ser­vice exis­tantes, offre une autre forme : le ser­vice hos­pi­ta­lier (tra­vail dans les hôpi­taux), dès l’incorporation de mars. Nous redou­tions ce déta­che­ment indi­vi­duel qui affai­blit notre force de contestation.

En ce qui concerne Noi­sy, au bout d’une année, les objec­teurs sont ten­tés de faire un peu le bilan. Venus à l’association Aide à toute détresse à par­tir d’un refus de por­ter les armes et de par­ti­ci­per à la mise en place d’un réseau de la Défense natio­nale (dont le pre­mier corps était celui de Bri­gnoles, cf. l’ordonnance de 1959), nous avons peu à peu décou­vert que la « Bombe » avait ses racines dans les struc­tures actuelles de la socié­té qui pro­voquent la ségré­ga­tion entre les riches et les pauvres, entre les pays nan­tis et les pays sous-déve­lop­pés, signe du mépris le plus pro­fond des indi­vi­dus (celui qui n’est ni ren­table ni utile est rejeté).

D’autre part, nous avons éprou­vé plus par­ti­cu­liè­re­ment ici (au bidon­ville), du fait de la pau­vre­té de la popu­la­tion, com­bien richesse et vio­lence sont liées. Le fait de pos­sé­der un « bien » en milieu de misère consti­tue une vio­lence vis-à-vis de celui qui en est dému­ni : on est obli­gé de gar­der sa porte, s’il vole, on fait alors appel à la police. Un cycle de vio­lence s’établit qui dété­riore les relations.

Nous avons éga­le­ment appris, par­fois à nos dépens, que ne pas se défendre vio­lem­ment implique de ne pas sus­ci­ter la convoi­tise ni la jalou­sie, par des biens que d’autres n’ont pas. On com­prend alors que si, fina­le­ment, on est ame­né à construire un arme­ment de plus en plus per­fec­tion­né, c’est qu’il devient néces­saire dans la situa­tion actuelle de mieux se protéger.

Non-vio­lence et pau­vre­té sont donc étroi­te­ment liées, en consé­quence, il nous faut, si nous refu­sons la vio­lence, réfor­mer notre petite vie confor­table et recher­cher, par des moyens à la por­tée de l’individu, non plus à s’enrichir, mais le plus com­plet épa­nouis­se­ment des pos­si­bi­li­tés de chacun.

En cela, la vie de groupe nous a fait pres­sen­tir com­bien il y avait à apprendre et à décou­vrir dans la vie com­mu­nau­taire (appren­tis­sage concret d’organisation des rap­ports sociaux entre nous et l’extérieur, non plus consi­dé­rer l’autre comme un étran­ger, dont on se méfie et envers lequel on a des réac­tions de défense ou d’agressivité, mais l’accepter tel qu’il est), basée non plus sur l’exploitation, la dépen­dance ou la crainte, mais sur le res­pect mutuel, la soli­da­ri­té et la coresponsabilité.

Si être objec­teur de conscience et anar­chiste c’est vou­loir une socié­té dans laquelle il n’y ait pas de place pour l’exploitation, qui soit fon­dée sur des rap­ports humains et libres entre des hommes res­pon­sables, il nous faut main­te­nant pour­suivre cette expé­rience de vie com­mu­nau­taire plus com­plè­te­ment. Que cha­cun devienne de plus en plus res­pon­sable de ses actes et cores­pon­sable de l’œuvre à laquelle il par­ti­cipe librement.

Nous ne cher­chons pas à agir direc­te­ment sur les struc­tures, n’en voyant pas la pos­si­bi­li­té, mais à réa­li­ser au niveau d’une com­mu­nau­té de base les buts idéaux que l’on vou­drait faire adop­ter à la socié­té. On parle sou­vent d’une socié­té « anar­chiste » que l’on voit après la « Grande Révo­lu­tion », dans un ave­nir plus ou moins loin­tain, mais il nous paraît néces­saire, dès aujourd’hui, d’incarner (au moins d’essayer, sans trop d’illusions d’ailleurs) ces valeurs aux­quelles on aspire. Notre mode de vie, notre atti­tude quo­ti­dienne sont alors une mise en ques­tion du pou­voir de l’État et de son orien­ta­tion. Ceci n’a certes pas l’aspect spec­ta­cu­laire d’une « révo­lu­tion », mais c’est un com­bat, ni plus ni moins exi­geant, où cha­cun peut trou­ver sa place.

C’est pour­quoi la plu­part des objec­teurs de Noi­sy n’accepteront pas d’être dis­per­sés aux quatre coins de la France pour effec­tuer un vague replâ­trage de la socié­té actuelle : il ne nous convient pas d’entrer dans le sys­tème pour en voi­ler les défauts.

Jacky Tur­quin, Daniel Besançon


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