Qui a lu notre Manifeste Socialiste Libertaire sait que le but que nous poursuivons est la transformation totale de la société, c’est-à-dire de l’implantation du socialisme sans aucune structure étatique.
Mais nous ne savons ni ne pouvons dire quand et comment aura lieu cette transformation. De grands révolutionnaires l’ont proclamée imminente vers 1840 — 1850, vers 1870 — 1875, à la fin du dix-neuvième siècle et au commencement du vingtième. Ils se sont trompés. De nombreux petits révolutionnaires continuent de la proclamer imminente. Nous nous refusons à cette démagogie qui, derrière le rideau des mots, ne cache que le néant. Nous procédons à l’examen objectif de l’évolution de la société au point de vue économique, social, politique, psychologique, et nous en déduisons que les conditions pour une révolution telle que certains d’entre nous l’ont, pendant très longtemps, espérée et conçue, n’existent pas et, vraisemblablement, ne se présenteront plus.
La transformation de la société ne nous apparaît donc plus que comme le résultat d’un développement libertaire qui dépend avant tout de la volonté des libertaires eux-mêmes. En ce sens, une activité utile est possible, et peut être très efficace, à condition d’être réelle.
Nous nous refusons aux prophéties romantiques. Nous ignorons quand le socialisme libertaire sera réalisé à l’échelle d’une ou de plusieurs nations. En attendant, l’effort de quelques centaines d’individus ayant vraiment une individualité, sera indispensable et fructueux, soit pour procéder à des réalisations directes, soit pour influer le plus possible sur les différents groupements plus ou moins réceptifs : cercles culturels, organisations ouvrières, mouvements de jeunesse, etc. L’activité de quelques centaines d’hommes et de femmes se serrant les coudes, puisant dans leur solidarité une plus grande confiance et une plus sûre orientation, représente un programme minimum immédiat beaucoup plus réaliste et beaucoup plus important que les programmes soi-disant maximums qui paralysent les individus, parce qu’inapplicables et conduisant le plus souvent leurs défenseurs au découragement et à l’inertie.
Il ne s’agit pas de renoncer au maximum. Il s’agit de faire du travail honnête, responsable, exempt de bluff et de tricherie envers soi-même et envers les autres. Alors, nous montrons bien vite debout quelque chose de valable, et qui pourra aller loin.
Tel est notre programme minimum, commençons par lui, sans attendre. Ample est l’avenir auquel nous pourrons, par la suite, adapter les dimensions de notre activité.
