La Presse Anarchiste

Anarchie

Comme l’é­ty­mo­lo­gie du mot l’im­plique, l’Anar­chie est la qua­li­té d’un état social dans lequel toute forme de gou­ver­ne­ment, quel qu’il soit, serait sup­pri­mée. —Les Anar­chistes sont donc par­ti­sans de la liber­té abso­lue de l’être, ils sont enne­mis de tout pou­voir, de toute auto­ri­té.

Il fau­drait pour­tant bien, quand on dis­cute de l’A­nar­chie, res­ter avant tout sur ce ter­rain de reven­di­ca­tion. — Mais, comme toute idée dont la clar­té logique montre à l’hu­ma­ni­té son inep­tie et sa bêtise mou­ton­nante, elle est com­bat­tue et dis­cu­tée à faux par l’or­gueil, la rou­tine et les pré­ju­gés, débla­té­ré sys­té­ma­ti­que­ment par l’en­tê­te­ment ou la sot­tise crasse. Quand on devrait, comme pre­mier point, admettre ou récu­ser les rai­sons d’être de l’A­nar­chie, on argu­tie d’emblée sur sa valeur recons­ti­tu­tive ou son oppor­tu­ni­té, évi­tant ain­si, finas­se­ment, la dis­cus­sion d’une véri­té qui, comme toute véri­té, n’est pas facile à réfuter.

« Être libre » c’est-à-dire déga­gé de toute entrave auto­ri­taire dans le com­plet déve­lop­pe­ment de son indi­vi­du, est pour l’hu­ma­ni­té une aspi­ra­tion géné­rale néces­saire à sa réelle vie. Ce sen­ti­ment est com­mun à toute l’es­pèce ani­male et n’est que plus exi­geant chez l’être humain, le plus com­plet et le plus per­fec­tion­né des ani­maux. La grande majo­ri­té de la famille humaine ayant en elle ce besoin de liber­té vraie, sciem­ment ou non est anar­chiste, autre­ment dit, contraire à tout esprit de gou­ver­ne­ment, pré­ju­gé oppo­sé à l’ob­ten­tion de cette liber­té complète.

L’A­nar­chie est donc l’ex­pres­sion d’une exi­gence humaine qu’on peut consi­dé­rer comme pri­mor­diale entre toutes. — Mais la peur de l’in­con­nu, l’es­prit de rou­tine sont tel­le­ment invé­té­rés en l’homme, depuis si long­temps cour­bé sous la férule direc­to­riale, que cette même liber­té dont il res­sent l’ap­pé­tit tiraillant lui fait peur. C’est à cause même de l’au­to­no­mie morale, phy­sique et intel­lec­tuelle dans laquelle on veut le lais­ser se déve­lop­per, au grand avan­tage de la satis­fac­tion de cet appé­tit, qu’il recule épou­van­té devant l’ap­pli­ca­tion d’une théo­rie qui, seule cepen­dant, pour­rait lui don­ner l’as­su­rance des besoins de liber­té qui l’étreignent.

L’a­vè­ne­ment fatal de l’ab­so­lue liber­té que réclame l’Hu­ma­ni­té est la rai­son d’être indis­cu­table de l’é­cole anar­chiste. — Si, pour satis­faire aux vieux restes de pro­phé­tisme auquel l’être humain s’est tant lais­sé aller, les hommes qui com­posent l’é­cole anar­chiste se sont grou­pés autour de tel ou tel sys­tème futur répon­dant le mieux à leurs aspi­ra­tions pré­sentes, ils ne devraient point perdre de vue le pivot autour duquel convergent toutes ces concep­tions recons­ti­tu­tives, et ne pas oublier que sys­té­ma­ti­ser est tom­ber dans l’abs­trac­tion. — Les adver­saires de l’A­nar­chie ont vite su recon­naître le côté prê­tant le mieux à leurs cri­tiques inté­res­sées. Lais­sant de côté l’i­dée essen­tielle de l’é­cole, ils ont atta­qué le com­mu­nisme, le liber­ta­risme, le ratio­na­lisme au nom même de l’A­nar­chie, jetant ain­si un jour fort obs­cur sur son application.

Lors­qu’elle traite de l’a­ve­nir l’A­nar­chie ne doit pas deve­nir un sys­tème ; le résul­tat de ses recherches ne doit pas être l’ob­ten­tion de la pierre phi­lo­so­phale ou de l’é­lixir de longue vie. Le but de sa phi­lo­so­phie est d’as­su­rer à l’in­di­vi­du l’ab­so­lue dis­po­si­tion de son être, tout en le fai­sant béné­fi­cier des avan­tages de la col­lec­ti­vi­té au milieu de laquelle il se meut. Pour y arri­ver, il n’est néces­saire que d’é­ta­blir quelques larges lignes, qu’a les pré­ci­ser net­te­ment en se basant uni­que­ment sur l’é­tude scien­ti­fique et expé­ri­men­tale de l’être humain. Aller plus loin est se pré­pa­rer à tom­ber dans l’er­reur ou l’a­ber­ra­tion, chose tou­jours pré­ju­di­ciable à la pro­pa­gande d’une idée nou­velle, même recon­nue exacte en son essence.

En ce qui regarde le pré­sent, le rôle de l’A­nar­chie, com­mun en cela à celui de tout le par­ti révo­lu­tion­naire, consiste dans le sape­ment, dans la démo­li­tion de toutes les vieilles enti­tés, de tous les pré­ju­gés. Mais, seule vrai­ment liber­taire, l’A­nar­chie a de plus comme devoir de s’op­po­ser à l’a­vè­ne­ment de tout gou­ver­ne­ment évo­lu­tif nou­veau qui ne pour­rait être qu’un retard irré­pa­rable appor­té à la marche natu­rel­le­ment ascen­dante de la civi­li­sa­tion. — Arri­vée où elle est, ce n’est plus pas à pas que l’Hu­ma­ni­té doit se déve­lop­per. C’est par à‑coups, par révo­lu­tions effi­cientes et le pro­chain bou­le­ver­se­ment doit être la sup­pres­sion radi­cale et sans espoir de retour de l’Au­to­ri­té, sous quelque forme, sous quelque nom on la présente.

Si, au jour futur de la Révolte, les Anar­chistes, bien péné­trés de leur mis­sion, savent empê­cher le mou­ve­ment de se dévoyer du cou­rant qui l’au­ra créé, la Révo­lu­tion sociale en sera le résul­tat. — Le peuple, se diri­geant alors où le pous­se­ront ses aspi­ra­tions, choi­si­ra à ce moment, s’il lui plais, tel ou tel sys­tème. Il fera du com­mu­nisme, du liber­ta­risme, de l’in­di­vi­dua­lisme tout à son aise. Qu’im­porte ? Il sera libre!!

Albert Car­te­ron


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