La Presse Anarchiste

À travers les revues : Un nouvel emprunt russe de vingt milliards

La Revue (15 sep­tembre) conte­nait sur la situa­tion finan­cière de la Rus­sie quelques ren­sei­gne­ments instructifs.

Le bas de laine fran­çais a ver­sé pen­dant quinze ans dans les caisses du tsar une quin­zaine de mil­liards pour favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment indus­triel et mili­taire de l’Em­pire, et pour­tant l’é­tat des finances russes est plus déses­pé­ré que jamais.

En 1904, le tsa­risme sou­ti­rait à nos braves ren­tiers 800 mil­lions de bons du Tré­sor, à titre d’emprunt de guerre. En 1906, nou­vel emprunt, de 2.250 mil­lions celui-là. Cette for­mi­dable somme a‑t-elle ser­vi à pan­ser les plaies de la guerre et à recons­ti­tuer l’ar­me­ment ? Nul­le­ment, elle n’a fait que com­bler le défi­cit qui, depuis la guerre de Mand­chou­rie, s’est éle­vé à un mil­liard par an.

Une situa­tion pareille­ment défi­ci­taire ne per­met­tait natu­rel­le­ment pas de rem­bour­ser les 800 mil­lions de bons du Tré­sor à courte échéance. D’où un nou­vel emprunt de 1.250 mil­lions, dont pas un sou ne revint au Tré­sor russe : nos intel­li­gents ren­tiers s’é­taient rem­bour­sés eux-mêmes.

C’est donc 3 mil­liards et demi que la Rus­sie a emprun­tés depuis la guerre, sans que sa situa­tion éco­no­mique et mili­taire en ait été le moins du monde améliorée.

Notez que ses res­sources, loin d’aug­men­ter, dimi­nuent, et que les charges aug­mentent. La Dou­ma, mal­gré l’op­po­si­tion aver­tie du ministre des finances Kokovt­sef, a encore jeté 117 mil­lions dans la gueule du Moloch militaire.

La Revue a publié sur tout cela l’o­pi­nion du célèbre comte Witte, opi­nion qui s’est fait jour, en mars der­nier, dans un dis­cours au Conseil de l’Empire.

Après avoir bros­sé un tableau favo­rable de la situa­tion des finances russes durant les onze années (1892 – 1903) qu’a duré son minis­tère, Witte montre que cette situa­tion n’a fait que péri­cli­ter et qu’un nou­vel emprunt va deve­nir d’une néces­si­té iné­luc­table : « En effet, déclare-t-il, depuis que j’ai quit­té le minis­tère, les dépenses ont aug­men­té de 420 mil­lions de roubles ; sur cette somme 90 mil­lions reviennent à l’é­tran­ger comme inté­rêts sur les nou­veaux emprunts ; 170 mil­lions sont dépen­sés pour les che­mins de fer ; 30 ou 40 mil­lions servent au ren­for­ce­ment de l’ar­mée ; à peu près autant à l’aug­men­ta­tion de la police, et ain­si de suite. En regard de cet accrois­se­ment de dépenses de 420 mil­lions de roubles, les recettes n’ont aug­men­té que de 260 mil­lions, et force nous est de consta­ter que la plus grande par­tie de cette plus-value est due au mono­pole de l’eau-de-vie. »

Suit une vive cri­tique de la manière dont est employé l’argent du bud­get. Les cal­culs des mili­taires sont faux, les che­mins de fer n’ont de maté­riel que sur le papier, les fonc­tion­naires mal payés vivent de chan­tage ou s’af­fi­lient à des bandes de mal­fai­teurs, etc. Quant à la réor­ga­ni­sa­tion mili­taire, elle est aus­si peu avan­cée qu’au len­de­main de la guerre. L’en­sei­gne­ment pri­maire qui aurait besoin de plu­sieurs mil­liards pour être mis en état, voit au contraire dimi­nuer ses cré­dits : l’argent éco­no­mi­sé sur l’en­sei­gne­ment sert à aug­men­ter la police, à construire des pri­sons, gros­sir le nombre des magis­trats effroya­ble­ment sur­me­nés par l’ac­crois­se­ment for­mi­dable des pro­cès politiques.

Et le vieil homme d’É­tat de conclure qu’il faut à la Rus­sie 15 ou 16 mil­liards pour faire face à ses besoins. Encore la Revue consi­dère-t-elle ce chiffre comme un peu modeste : selon elle, ce ne sont pas 15 mil­liards dont la Rus­sie a besoin pour se tirer d’af­faire, mais au bas mot 20 MILLIARDS.

Et la Revue (qui semble avoir oublié ses cam­pagnes antit­sa­ristes) de décla­rer qu’on ne peut aban­don­ner le gou­ver­ne­ment ami et allié au milieu des dif­fi­cul­tés. où il se débat déses­pé­ré­ment. Elle démontre par a plus b que la haute finance fran­co-anglaise se doit d’ai­der au relè­ve­ment de cette grande nation russe qui recèle en son sein tant de richesses igno­rées. Elle rap­pelle avec quel enthou­siasme (?) le peuple anglais a fêté le tsar lors du voyage de Cowes et ter­mine par ces paroles où la menace se dis­si­mule à peine : « Le jour où, à la suite de l’im­pré­voyance de nos gou­ver­nants, le cré­dit russe serait un véri­table dan­ger, la Répu­blique subi­rait un échec moral et une dimi­nu­tion qui pour­raient lui coû­ter cher, jus­qu’à son existence… »

Allons, nous n’y cou­pe­rons pas d’un nou­vel emprunt russe.

R. Desailly.


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