La Presse Anarchiste

À travers les revues : Le régime des mines

Il est bon de sig­naler une étude de J.-B. Séver­ac dans la Grande Revue (10 octo­bre) :

Dans une pre­mière par­tie, Séver­ac exam­ine briève­ment le régime minier au point de vue lég­is­latif et four­nit une foule de détails intéres­sants. Il sig­nale les cri­tiques d’or­dre général qui touchent au principe même du régime, au principe des con­ces­sions per­pétuelles. Elles sont, dit-il, au nom­bre de trois :

1° Le régime actuel favorise le gaspillage des richess­es du sous-sol ; 2° il aboutit à la for­ma­tion de Com­pag­nies toutes puis­santes ; 3° il a pour effet néces­saire la con­sti­tu­tion d’un pro­lé­tari­at minier auquel est entière­ment fer­mé tout accès aux richess­es qu’il produit.

Pour le gaspillage il donne les chiffres suiv­ants : 1.486 con­ces­sions accordées con­tre 599 seule­ment en exploita­tion. 1.202.846 hectares con­cédés con­tre 640.422 exploités. Ain­si la moitié seule­ment de la super­fi­cie con­cédée est en exploitation.

Sur le sec­ond point, J.-B. Séver­ac nous mon­tre le développe­ment de ces puis­sants groupes financiers que sont les Com­pag­nies minières. « Tout le monde a lu l’his­toire du denier d’Anzin qui valait, à l’o­rig­ine, env­i­ron 1.000 francs. et, en 1908, 760.000 francs.

« Les mines d’Aniche n’ont guère été moins prospères. En 1778, le denier représente un verse­ment de 1.000 francs. En 1906 il est coté 480.000 francs.

« La Com­pag­nie de Cour­rières date de 1852. Son cap­i­tal social est représen­té par 2.000 actions de 300 francs. En 1908, le cours moyen des valeurs représen­tant l’ac­tion prim­i­tive de 300 francs était de 88.500 francs, soit 295 fois le cap­i­tal versé. »

Pas­sant ensuite à l’ouvri­er mineur, J.-B. Séver­ac relève la mod­ic­ité des salaires et leur mau­vaise répar­ti­tion, il mon­tre l’ou­vri­er logé dans une mai­son de la Com­pag­nie ; l’é­cole, le médecin, le phar­ma­cien étant à la Com­pag­nie. Aux 11,5 de tués par 10.000 ouvri­ers, aux 32,090 acci­dents annuels il faut ajouter la mal­adie : l’anémie fait de nom­breuses vic­times ; les sci­a­tiques et les rhu­ma­tismes artic­u­laires atteignent les ouvri­ers du fond dans la pro­por­tion de 80 %. Cer­taines affec­tions sont par­ti­c­ulières aux mineurs : l’hy­darthrose du genou, l’anky­losto­mi­ase qui, dans la Loire, atteint la moitié des ouvri­ers des mines.

Dans la sec­onde par­tie, le régime de demain, J.-B. Séver­ac nous met en présence d’un pro­jet gou­verne­men­tal qui porte des mod­i­fi­ca­tions à la loi de 1810, mod­i­fi­ca­tions qui, à mon avis, ne mod­i­fieront rien, sauf qu’elles apporteront au tré­sor un mil­lion de plus. J.-B. Séver­ac l’avoue du reste :

« Le pro­jet du gou­verne­ment ne fait, en somme, que raje­u­nir un peu les dis­po­si­tions de la loi de 1810. Leur économie générale n’est pas atteinte. L’adop­tion du pro­jet ne créerait pas un régime vrai­ment nouveau. »

Ce que le gou­verne­ment prévoit comme une sim­ple et loin­taine pos­si­bil­ité, la Com­mis­sion des mines l’ex­ige pour demain avec son pro­jet de nation­al­i­sa­tion immé­di­ate des mines. Il y a à ce sujet un pro­jet de M. Zévaès :

« Le domaine minier serait divisé en un cer­tain nom­bre de cir­con­scrip­tions ter­ri­to­ri­ales. Cha­cune de ces cir­con­scrip­tions serait admin­istrée par un con­seil région­al. Le domaine entier par un con­seil nation­al. Celui-ci, placé sous l’au­torité du min­istre des travaux publics, aurait la direc­tion générale le l’ex­ploita­tion, veillerait à l’en­tre­tien et au développe­ment des richess­es minières, achèterait les matéri­aux néces­saires à l’ex­ploita­tion, effectuerait les opéra­tions admin­is­tra­tives et com­mer­ciales, ferait enfin rechercher les nou­veaux gîtes. Les con­seils régionaux, placés sous le con­trôle du Con­seil nation­al, auraient la direc­tion, l’ad­min­is­tra­tion et l’ex­ploita­tion des mines de leurs cir­con­scrip­tions, recruteraient le per­son­nel et seraient chargés des rap­ports tech­niques et admin­is­trat­ifs entre les cir­con­scrip­tions et le con­seil national.

« Le con­seil nation­al compterait 36 mem­bres : 4 représen­tants nom­més par le Sénat, 8 représen­tants nom­més par la Cham­bre des députés, 6 ingénieurs nom­més par le min­istre, 12 délégués élus par les ouvri­ers et employés des mines, 6 délégués élus par les groupe­ments syn­di­caux des divers­es cor­po­ra­tions ouvrières et agricoles.

« Chaque con­seil région­al compterait 12 mem­bres : 6 délégués élus par les ouvri­ers et employés des mines et 6 représen­tants de l’État désignés par le ministre.

« Le pro­duit de l’ex­ploita­tion des mines serait affec­té au paiement des salaires et des pou­voirs du per­son­nel, aux travaux et achats néces­sités par l’ex­ploita­tion, aux recherch­es de nou­veaux gîtes.

« L’ex­cé­dent irait à la caisse générale des retraites pour les tra­vailleurs des villes et des campagnes. »

Tel est le con­tenu du pro­jet. Il est loin de m’en­t­hou­si­as­mer ; non pas pour des raisons d’or­dre pure­ment antié­tatiste, mais parce que je ne vois pas l’a­van­tage qu’au­rait le pro­lé­tari­at minier à chang­er de maître ? L’État-patron ne vaut pas mieux que les Compagnies.

Il n’y a du reste pas lieu d’en­vis­ager présen­te­ment cette sit­u­a­tion. Le gou­verne­ment actuel, en accor­dant de nou­velles con­ces­sions, mon­tre bien qu’il n’est pas pressé de nation­alis­er. Et M. Millerand, dans un récent dis­cours, s’est con­tenté de repren­dre à son compte la fameuse idée de la par­tic­i­pa­tion des ouvri­ers aux béné­fices, van­tée l’hiv­er dernier par son com­père Briand.

« Il m’a paru, a‑t-il déclaré, et mon ami Viviani a partagé cette façon de voir, que si nous n’avions pas le droit de retarder indéfin­i­ment l’ex­ploita­tion de ces gise­ments, c’é­tait par con­tre notre devoir, au moment où nous allions instituer une nou­velle pro­priété dont l’avenir seul ferait exacte­ment con­naître la valeur, d’ap­pel­er à y par­ticiper ceux-là mêmes qui en met­tront au jour les richess­es. Le Par­lement, j’en suis con­va­in­cu, sera d’ac­cord avec nous pour, régu­lar­isant une procé­dure en fait suiv­ie depuis plusieurs années, per­me­t­tre d’im­pos­er aux con­ces­sion­naires des con­di­tions d’in­térêt général, et notam­ment d’in­stau­r­er dans l’ex­ploita­tion des mines soit sous la forme pré­con­isée par notre ami Briand, d’ac­tions de tra­vail, soit sous toute autre, la par­tic­i­pa­tion des tra­vailleurs aux béné­fices qu’ils ont eux-mêmes, pour une part, con­tribués à produire. »

Voilà de quoi, il me sem­ble, faire réfléchir les mil­i­tants mineurs. Ils fer­ont bien de méditer les enseigne­ments, les bilans des Com­pag­nies et les chiffres de Séverac.

Ils fer­ont bien de pren­dre garde aus­si aux pro­jets de M. Millerand et aux nou­velles petites com­bi­naisons de paix sociale que mijote cette excel­lente Excellence.

G. Dumoulin


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