La Presse Anarchiste

La crise du syndicat national des chemins de fer

Le Syn­di­cat Natio­nal tra­verse une crise dont la gra­vi­té s‘est mani­fes­tée ces der­niers temps par divers inci­dents significatifs :

1° d’a­bord le 20e Congrès, tenu au prin­temps der­nier, où s’af­fir­ma une puis­sante mino­ri­té révolutionnaire ;

2° puis, les décla­ra­tions men­son­gères de Gué­rard au mee­ting de l’Hip­po­drome (grève des pos­tiers) qui eurent pour consé­quences le tumul­tueux mee­ting des che­mi­nots à Tivo­li et la démis­sion du secré­taire géné­ral du Syndicat ;

3° enfin l’ex­clu­sion de Bida­mant qui a entraî­né la fon­da­tion d’un Comi­té de Défense syn­di­ca­liste des che­mi­nots. Faut-il ne voir dans cette crise qu’un épi­sode du conflit entre révo­lu­tion­naires et réformistes ?

Non. Certes, les mili­tants révo­lu­tion­naires du Syn­di­cat Natio­nal ont don­né l’as­saut ; mais ce dif­fé­rend ne tient pas, quant au fond, dans des que­relles théo­riques ; il réside dans ce fait pré­do­mi­nant que le Syn­di­cat Natio­nal n’est pas le syn­di­cat des tra­vailleurs grou­pés dans son sein, mais le syn­di­cat d’un homme, le syn­di­cat Guérard.

Il n’est pas de sta­tuts, il n’est pas de règle­ments qui comptent devant la volon­té et devant l’ha­bi­le­té de Gué­rard. Et qui­conque ose cri­ti­quer les actes du maître, risque comme Bida­mant, d’être exclu pour crime de lèse-majes­té. Affir­ma­tions en l’air ! Point du tout et nous le prouverons.

Le 20e Congrès national

C’est par­mi les admi­nis­tra­teurs, élus du 19e Congrès, c’est-à-dire dans le Conseil de 1908, que com­men­cèrent à se mani­fes­ter avec quelque vigueur, les vel­léi­tés d’é­man­ci­pa­tion qui sont aujourd’­hui le pre­mier article de notre pro­gramme de défense syn­di­cale1Le Comi­té de Défense syn­di­ca­liste du Syn­di­cat Natio­nal des Tra­vailleurs des Che­mins de fer a publié récem­ment un mani­feste. Sa coti­sa­tion men­suelle, 0 fr. 50. Le secré­taire est Le Guen­nic, sen­tier des Marais, Meu­don (Seine-et-Oise). Le tré­so­rier, Gaillard, 25, rue de Paris, Bobi­gny (Seine)..

Mal­gré la har­diesse bien connue de ses idées, Le Guen­nic fut, en effet, délé­gué au Comi­té confé­dé­ral ; mais après le Congrès de Mar­seille, où ce cama­rade s’é­tait trou­vé en oppo­si­tion avec Gué­rard, son man­dat lui était reti­ré par 14 voix contre 13, à la suite d’une inter­ven­tion auda­cieuse du Comi­té du réseau de l’Est.

La réper­cus­sion de cet acte injus­ti­fié devait peser for­te­ment sur la phy­sio­no­mie du 20e Congrès natio­nal (4 au 7 mai 1909), et mon­trer à Gué­rard que son auto­ri­té était sérieu­se­ment mena­cée. Alors qu’il était appa­ru jus­qu’à ce jour comme le maître des des­ti­nées du Syn­di­cat des che­mins de fer, brus­que­ment se révé­lait une mino­ri­té puis­sante, grou­pant les 25e des mandats.

Il est même per­mis de croire que Gué­rard ne res­ta maître de la situa­tion que grâce à une savante diver­sion, à cette fameuse séance secrète, à la fois si risible et si pro­fon­dé­ment triste, dans laquelle furent envi­sa­gées les mesures à prendre en pré­vi­sion de la grève.

Mais cela ne l’empêchait pas de diri­ger dans la cou­lisse la petite comé­die qui se jouait à côté de la grande et qui abou­tit à faire éli­mi­ner son gênant adver­saire du nou­veau Conseil d’administration.

Dès ce moment, Gué­rard se sen­tit gra­ve­ment mena­cé. La grosse influence dont il croyait dis­po­ser et qu’il met­tait à la dis­po­si­tion du réfor­misme gou­ver­ne­men­tal s’en allait ! Demain d’autres hommes seraient appe­lés à la tête du Syn­di­cat Natio­nal. Il fal­lait empê­cher cela à tout prix. Alors Gué­rard ne recu­la pas devant un pro­jet de scis­sion de la C.G.T. ; mais ses amis, eux, recu­lèrent devant cette œuvre de divi­sion ouvrière.

Les meetings de l’Hippodrome et de Tivoli

Le 14 mai au soir, les admi­nis­tra­teurs nom­més par le 20e Congrès, me confiaient les fonc­tions de secré­taire géné­ral, de pré­fé­rence au can­di­dat sor­tant, vieux mili­tant ayant toutes les sym­pa­thies de Gué­rard et dont l’é­lec­tion avait tou­jours été assu­rée, sans concur­rents possibles.

Dans l’a­près-midi du même jour Gué­rard, secré­taire du Conseil, enga­geant le syn­di­cat tout entier, avait fait, au mee­ting de l’Hip­po­drome, la décla­ra­tion que l’on connaît :

On vous a dit que lorsque les orga­ni­sa­tions ouvrières vous don­ne­raient leur concours, votre mou­ve­ment ces­se­rait d’être pro­fes­sion­nel. Eh bien, pour ma part, j’es­time que si ce mou­ve­ment s’é­tend aux che­mins de fer, il res­te­ra encore tout à fait pro­fes­sion­nel, à cause de l’i­den­ti­té de nos situa­tions et de nos condi­tions.

Sans être un « meneur », j’ai bien le droit de don­ner un conseil. Or, en pareille cir­cons­tance, il n’y a plus à attendre une consul­ta­tion indi­vi­duelle de tous les syn­di­qués2Le Congrès avait en effet déci­dé de consul­ter immé­dia­te­ment les groupes, par voie de réfé­ren­dum, sur l’aide à appor­ter aux pos­tiers. Mais au 14, rien n’a­vait été fait, le réfé­ren­dum n’é­tait pas même lan­cé., mais à prendre une ini­tia­tive, à pro­vo­quer le plus rapi­de­ment le mou­ve­ment, demain, s’il se peut.

Il faut que le gou­ver­ne­ment se rende compte de l’é­troite soli­da­ri­té qui nous unit. Lorsque l’on vous atteint, on nous atteint nous-mêmes et nous devons nous lever pour vous défendre !

On a cou­tume de par­ler de ma pru­dence. Et, en effet, je ne dis que ce que je veux dire. Je vous fais, en ce moment, une décla­ra­tion très nette.

C’est au nom des cama­rades qui ont expri­mé leur opi­nion dans leur récent Congrès que je parle…3Jour­naux du 15 mai.

L’im­pres­sion pro­duite sur le public fut consi­dé­rable ; elle ne le fut pas moins sur les syn­di­qués, et je n’é­ton­ne­rai per­sonne en disant qu’un cer­tain malaise pesait sur les membres du conseil, à la réunion du 14.

Les par­ti­sans d’une action éner­gique ne purent que sup­po­ser que le comi­té de grève, nom­mé en séance secrète pen­dant le Congrès, s’é­tait pro­non­cé pour une mani­fes­ta­tion très proche en faveur des pos­tiers grève. Quant aux autres, ils étaient abso­lu­ment atterrés.

Pour ras­su­rer ces der­niers et pour atté­nuer en même temps l’ef­fet de son « bluff » (le mot est de Gué­rard lui-même), celui-ci par­la d’une démarche faite par lui à l’Hu­ma­ni­té dans le but de s’as­su­rer que ses paroles avaient bien été exac­te­ment inter­pré­tées — en réa­li­té pour les alté­rer — et de l’or­ga­ni­sa­tion d’un mee­ting des­ti­né à faire patien­ter les grévistes.

Ce fut le mee­ting de Tivo­li, fixé au 17 mai.

La pré­sence de Subra et de Le Gléo, délé­gués des pos­tiers, venant deman­der compte, à l’o­ra­teur de l’Hip­po­drome, des pro­messes caté­go­riques faites au nom du S.N. des Che­mins de fer, don­na à cette séance une phy­sio­no­mie tra­gique dont l’im­pres­sion res­te­ra dans la mémoire de tous ceux qui y assis­tèrent. Ils n’ou­blie­ront pas non plus les cris de : démis­sion ! pous­sés par des mil­liers de cama­rades à l’a­dresse de Gué­rard, qui le len­de­main, se croyant per­du, s’écriait :

« — Après tout, le syn­di­cat natio­nal c’est le syn­di­cal Gué­rard, et s’ils m’em… l’Est et le Midi me sui­vront4Décla­ra­tion rap­pe­lée devant le Conseil par Char­nay, à la suite les voies de fait aux­quelles s’é­tait livré Gué­rard sur sa per­sonne. ! »

Bien que ces réseaux aient pris par­ti pour lui contre nous, nous ne pou­vons croire que leurs mili­tants se prê­te­ront jus­qu’au bout à une œuvre de divi­sion ardem­ment vou­lue et pré­pa­rée par des actes dont l’é­vi­dence crève les yeux. Et pour­tant, c’est nous que l’on accuse de pous­ser à la division !

Ma démission

Gué­rard est d’a­vis que moins sou­vent le Conseil se réunit et mieux vont les affaires du syn­di­cat. En consé­quence, il ne le convo­quait, habi­tuel­le­ment, qu’une quin­zaine après la dis­lo­ca­tion de chaque Congrès national.

Cette année, vu la gra­vi­té des évé­ne­ments, le délai5Du 7 mai, date de la dis­lo­ca­tion du Congrès, au 14 mai, de la convo­ca­tion des admi­nis­tra­teurs, la ges­tion du S. N. fut tout entière entre les mains du secré­taire du Conseil. fut dimi­nué de moi­tié, et quand, après le 14 mai, je pris l’i­ni­tia­tive de réunir extra­or­di­nai­re­ment le Conseil, c’é­tait la pre­mière fois qu’une pareille déci­sion était prise par le secré­taire général.

Le motif : les inci­dents du mee­ting de Tivo­li dont il a été ques­tion. Pris à par­ti comme pré­sident de séance, accu­sé de m’être fait le com­plice de Gué­rard en refu­sant de mettre aux voix le blâme éner­gi­que­ment récla­mé pour lui, sur la pro­po­si­tion de Bida­mant, par tous les cama­rades pré­sents, je crus néces­saire de faire paraître dans l’Hu­ma­ni­té (19 mai) une note dont voi­ci la reproduction :

En fin de séance, alors que la salle était le plus hou­leuse et récla­mait un ordre du jour plus éner­gique tout en se pro­non­çant pour le réfé­ren­dum, Bida­mant pro­po­sa une addi­tion com­por­tant un blâme à Guérard.

Je n’ai pas per­mis que ce vote eut lieu sur cette addi­tion, et il m’en a coû­té de vertes injures ; mais Gué­rard étant absent, la dis­cus­sion n’ayant pas eu lieu sur ce ter­rain, et un grand nombre de cama­rades étant par­tis, quelle valeur pou­vait avoir ce vote ?

Plu­sieurs mil­liers de cama­rades encore pré­sents applau­dirent à la pro­po­si­tion de Bida­mant parce qu’ils avaient l’im­pres­sion qu’une faute avait été com­mise. J’a­vais eu moi-même cette impres­sion et avais mani­fes­té devant le Conseil mon éton­ne­ment et ma décep­tion comme syn­di­qué de n’a­voir pas reçu le ques­tion­naire ; comme membre du Conseil, de n’a­voir pas été convo­qué avant le ven­dre­di de la semaine ayant sui­vi le Congrès.

Mais il s’a­git d’é­ta­blir les res­pon­sa­bi­li­tés et là est la dif­fi­cul­té. Le comi­té de grève devait-il se sépa­rer avant d’a­voir sta­tué sur la for­mule du réfé­ren­dum ?

S’il appar­te­nait au Conseil d’ar­rê­ter cette for­mule, qui devait prendre l’i­ni­tia­tive de hâter sa convocation ?

C’est une réso­lu­tion que j’au­rais prise si j’a­vais été secré­taire géné­ral. Cepen­dant, aucun article des sta­tuts ne fixe les attri­bu­tions de celui-ci.

« Art. 19. — Le secré­taire géné­ral repré­sente le Syn­di­cat en justice. »

On cher­che­rait en vain, sur les sta­tuts une autre allu­sion au secré­taire général.

Je crois que son rôle est de ser­vir de point de contact entre le Conseil et le secré­taire du Conseil, mais ce n’est pas suffisant.

L’or­ga­ni­sa­tion souffre d’un mal pro­fond : cha­cun se repose sur son voi­sin et tous sur le secré­taire du Conseil, de sorte que toute l’i­ni­tia­tive est entre les mains d’un seul.

À mon avis, au lieu d’un Conseil de trente membres, il fau­drait une Com­mis­sion exé­cu­tive à rai­son d’un membre par comi­té de réseau. Quoi qu’il en soit, l’or­ga­ni­sa­tion actuelle a don­né ce qu’elle pou­vait don­ner ; elle est au bout de son rou­leau et il est grand temps de la modi­fier si l’on ne veut pas assis­ter à sa déchéance.

Lisez cette note avec atten­tion : elle n’in­cri­mi­nait per­sonne et ne s’en pre­nait qu’à l’or­ga­ni­sa­tion. C’é­tait encore trop ; le secré­taire du Conseil, ayant la pré­ten­tion d’être tout et n’ad­met­tant aucun contrôle, ne pou­vait souf­frir à ses côtés un col­la­bo­ra­teur. Le secré­taire géné­ral ne devait pas sor­tir du rôle per­mis jus­qu’a­lors au déten­teur de cette fonc­tion pure­ment nomi­nale, sous peine d’a­voir à la résigner.

Je m’en aper­çus bien à la séance du 19 mai où le Conseil, se soli­da­ri­sant avec Gué­rard, approu­vait son inter­ven­tion au mee­ting de l’Hip­po­drome, un acte d’au­to­ri­ta­risme inso­lem­ment impo­sé, comme indis­pen­sable à l’in­té­rêt du Syn­di­cat (inser­tion d’un article d’une page de La Tri­bune, pré­sen­tant sa défense et conte­nant une décla­ra­tion de guerre aux révo­lu­tion­naires), et me blâ­mait pour la note parue dans l’Hu­ma­ni­té.

Je don­nai ma démis­sion et au moyen d’une cir­cu­laire, j’ex­po­sai les condi­tions dans les­quelles je l’a­vais fait.

Gué­rard avait sen­ti qu’à mon tour, je voyais clair dans son jeu ; comme bien d’autres, je devais dis­pa­raître. Alors, le pas­sé du Syn­di­cat Natio­nal s’é­clai­ra pour moi des lueurs du pré­sent : Rien de ce qui pou­vait gêner Gué­rard ne devait sub­sis­ter.

L’exclusion de Bidamant

Bida­mant avait eu le tort tout à fait impar­don­nable d’a­voir vu clair de bonne heure dans les agis­se­ments de Guérard.

Mais du moins avait-il le cou­rage de faire connaître tout haut son opi­nion et non à la façon de Basile, comme le fait son ennemi.

La plus grande habi­le­té de Gué­rard, dans tous ces évé­ne­ments, ce fut de soli­da­ri­ser le Conseil, par­ti­cu­liè­re­ment les réfor­mistes, avec lui, en fai­sant approu­ver tous ses actes. De la sorte, il put par­tir en guerre, tou­jours sûr d’être appuyé par son état-major.

Après la lec­ture de « Ma Démis­sion », Bida­mant, avec la fougue de la convic­tion, heu­reux de ce nou­veau témoi­gnage qui confir­mait toutes ses opi­nions sur le rôle joué par Gué­rard dans le Syn­di­cat natio­nal, appuya mes accu­sa­tions de nou­veaux griefs.

Quelles sont les accu­sa­tions por­tées par Bida­mant ? — Les ami­tiés minis­té­rielles de Gué­rard. — N’est-il pas le pre­mier à s’en pré­va­loir et, le same­di soir, 23 octobre, n’as­sis­tait-il pas au punch d’hon­neur offert à son excel­lence Mil­le­rand par « ses électeurs » !

Le rôle joué par Gué­rard dans la grève des pos­tiers ? — Une équi­voque a pu être créée sur ce point, à la faveur d’une dépo­si­tion de Lamarque, des agents des postes, devant le Conseil du Syn­di­cat Natio­nal. Mais Gué­rard n’a tou­jours pas don­né de réponse à la ques­tion posée devant le Comi­té confé­dé­ral par Pau­ron, délé­gué des ouvriers des lignes : « Qu’al­lait faire Gué­rard au minis­tère, au len­de­main du mee­ting de l’Hippodrome ? »

La régu­la­ri­té des comptes de la lote­rie de l’Or­phe­li­nat des Che­mins de fer. — Trois mil­lions de billets furent ven­dus à M. Dejean, direc­teur de la Petite Répu­blique, pour la somme de 60.000 fr. et pro­dui­sirent 300.000 francs de béné­fices à l’heu­reux ache­teur ? Est-ce là, disait Bida­mant, une opé­ra­tion honnête ?

Mais je pose cette autre ques­tion : Si le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’Or­phe­li­nat a per­mis cette opé­ra­tion de vente (mais pas celle de l’emploi des deux prête-noms, annon­cés comme les véri­tables gagnants des gros lots) où figure cette auto­ri­sa­tion ? Quel est le pro­cès-ver­bal qui la men­tionne ? C’est ce qu’on ne nous a jamais fait connaître.

En tout cas des cama­rades se sont pri­vés d’une par­tie de leur misé­rable salaire ; ils ont rogné peut-être sur quelque petite satis­fac­tion dont eût pro­fi­té leur famille, pour payer 1 franc des billets qu’un finan­cier eut à 2 cen­times l’un.

Pour ces diverses accu­sa­tions Bida­mant fut exclu du Syn­di­cat Natio­nal par déci­sion du Conseil d’administration.

Il serait trop long de don­ner ici, dans ses détails, le récit de cette déloyale mesure ; mais nous devons en mon­trer les illé­ga­li­tés et les vices de forme. L’ordre du jour ci-des­sous voté à l’u­na­ni­mi­té moins deux voix, le 27 octobre par le groupe de Dreux (le groupe de Bida­mant), en résume quelques-uns ; il ne vise pas cepen­dant le prin­ci­pal, c’est-à-dire la non-convo­ca­tion de l’in­té­res­sé à l’au­di­tion des témoins.

« Consi­dé­rant que le cama­rade Bida­mant a été exclu du Syn­di­cat par le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion, sans que son Groupe ait été consul­té, ce qui est contraire à l’es­prit de l’ar­ticle 6 des statuts,

« Consi­dé­rant que Bida­mant n’a com­mis aucun acte pou­vant por­ter pré­ju­dice au Syn­di­cat natio­nal. — Qu’il s’est bor­né à for­mu­ler les accu­sa­tions que beau­coup de syn­di­qués recon­naissent fon­dées, contre le citoyen Guérard,

« Consi­dé­rant que dans sa séance du 20 octobre, le Comi­té du Groupe de Paris-Nord a exclu du Syn­di­cat natio­nal le citoyen Gué­rard, qui relève direc­te­ment de ce Groupe, l’ex­clu­sion du citoyen Gué­rard semble confir­mer les accu­sa­tions por­tées contre le secré­taire du Conseil d’administration.

« Déclarent main­te­nir leur entière confiance au cama­rade Bida­mant, et donnent le man­dat for­mel au délé­gué au Congrès régio­nal du Mans, de deman­der sa réin­té­gra­tion immé­diate au Syn­di­cat national. »

La Tribune de la Voie ferrée

Nos ren­sei­gne­ments ne seraient pas com­plets, si nous ne par­lions de La Tri­bune de la Voie fer­rée, fer­mée pour nous, lar­ge­ment ouverte à nos adver­saires et par­ti­cu­liè­re­ment à Gué­rard, se fai­sant juge et par­tie dans le cas de l’ex­clu­sion de Bida­mant, Sup­plé­ment du 22 août, par exemple.

Le secré­taire du Conseil ne s’embarrassa jamais de la com­mis­sion du jour­nal ; elle comp­tait si peu que son sans-gêne lui valut un jour l’en­nui d’une désap­pro­ba­tion du Conseil. C’é­tait la pre­mière fois que pareille aven­ture lui arri­vait : il mit tous ses ser­vices pas­sés dans la balance et décla­ra qu’il n’ac­cep­te­rait jamais « de n’être au syn­di­cat qu’un employé ».

Gué­rard avait sup­pri­mé un article accep­té par la com­mis­sion du jour­nal ; j’en étais l’au­teur et le sujet, c’é­tait une pro­tes­ta­tion contre le retrait du man­dat de Le Guen­nic, délé­gué à la C.G.T.

Mais son acte le plus auda­cieux, ce fut l’in­ser­tion, sans auto­ri­sa­tion et inso­lem­ment impo­sée au Conseil, de : « Expli­ca­tions néces­saires », rem­plis­sant trois colonnes et demie de la Tri­bune du 23 mai. Le même Conseil, par contre, refu­sa d’in­sé­rer mes expli­ca­tions et lorsque, après avoir été envoyé devant une com­mis­sion du jour­nal qui n’exis­tait plus, je me déci­dai à faire paraître, quand même, les motifs de ma démis­sion, tirée à 19.000 exem­plaires, Gué­rard, de sa propre auto­ri­té, arrê­ta la dis­tri­bu­tion, de sorte que 5.000 exem­plaires seule­ment furent envoyés à destination.

Ain­si, ce qui est per­mis au secré­taire du Conseil, employé du Syn­di­cat, ne l’est pas au secré­taire géné­ral ou à un administrateur.

Les cama­rades de pro­vince pour­ront, après ces exemples, se faire une idée de la façon dont ils ont été ren­sei­gnés sur les évé­ne­ments de ces temps der­niers. Sous pré­texte de faire l’a­pai­se­ment, les ordres du jour des groupes furent refu­sés quand ils blâ­maient Gué­rard ! mais la Tri­bune n’in­sé­ra pas moins ceux qui étaient en sa faveur, contre ses adver­saires et contre la C.G.T.

Ce fut l’œuvre du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion, opé­rant contre l’a­vis du Congrès de 1909, qui avait approu­vé, ou du moins n’a­vait pas infir­mé les décla­ra­tions suivantes :

« Pour nous résu­mer, nous dirons que la Tri­bune, à notre avis, doit être sur­tout un bul­le­tin repro­dui­sant fidè­le­ment la vie du Syn­di­cat : d’où la place pré­pon­dé­rante don­née aux comptes ren­dus des groupes. » (Rap­port du Conseil. Ges­tion de 1908.)

Il faut réviser les statuts

Com­ment s’ex­pli­quer une pareille domi­na­tion ? Il faut pour cela connaître l’homme qui l’a impo­sée et les sta­tuts fabri­qués par lui — qui lui ont per­mis de le faire.

Aus­si reve­nons encore un ins­tant sur les sta­tuts du Syn­di­cat, spé­cia­le­ment sur les attri­bu­tions du secré­taire du Conseil.

ART. 16. — Le syn­di­cat est admi­nis­tré par un Conseil com­po­sé de trente membres, nom­més par le Congrès, comme il est dit aux articles 1er et sui­vants du règle­ment géné­ral intérieur.

ART. 17. — Les membres du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion sont nom­més pour un an ; ils sont rééligibles.

ART. 18. — Le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion choi­sit, par­mi ses membres, un bureau com­pre­nant un secré­taire géné­ral, un secré­taire géné­ral adjoint, un tré­so­rier géné­ral, un tré­so­rier géné­ral adjoint et un archiviste.

Il nomme en outre un secré­taire du Conseil choi­si EN DEHORS DE SON SEIN.

ART. 19. — Le secré­taire géné­ral repré­sente le Syn­di­cat en justice.

ART. 23. Le Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion orga­nise chaque année, au mois d’a­vril ou de mai, autant que pos­sible, une Congrès de la cor­po­ra­tion ; il doit se confor­mer aux déci­sions prises dans ce Congrès.

ART. 24. — Les groupes d’un réseau peuvent orga­ni­ser des Congrès régio­naux pour y exa­mi­ner les récla­ma­tions les plus urgentes et pour for­mu­ler le maxi­mum des conces­sions qu’il serait pos­sible de faire le cas échéant.

ART. 25. — Les groupes de chaque réseau, à l’is­sue de leur Congrès régio­nal, pour­ront nom­mer un comi­té char­gé d’é­tu­dier et de pré­sen­ter les reven­di­ca­tions spé­ciales à leur réseau.

Ce comi­té ne pour­ra agir qu’a­près en avoir réfé­ré au Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion et reçu son avis.

Toutes les démarches seront faites au nom du Syn­di­cat Natio­nal et chaque délé­ga­tion, accom­pa­gnée par un membre du Conseil l’ad­mi­nis­tra­tion ou par le secré­taire dudit Conseil.

Il n’est pas inutile d’at­ti­rer l’at­ten­tion sur les par­ties en ita­lique : 2e ali­néa de l’art. 18, lequel se com­plète par le der­nier ali­néa de l’art. 25. On com­pren­dra mieux le degré d’im­por­tance du Secré­taire du Conseil, employé du syn­di­cat, en com­pa­rant la part d’i­ni­tia­tive qui lui est don­née dans ces sta­tuts (dont il est du reste l’au­teur ou l’i­ni­tia­teur, ce qui revient au même) avec celle du Secré­taire géné­ral, cama­rade en acti­vi­té de ser­vice.

En tenant compte que Gué­rard était, depuis 1891, Secré­taire géné­ral de la Chambre syn­di­cale des ouvriers et des employés de che­mins de fer (plus tard, en 1895, Syn­di­cat Natio­nal), titre aban­don­né par lui après la grève de 1898 pour celui d’Employé Prin­ci­pal, puis l’an­née sui­vante pour son titre actuel, il ne faut pas s’é­ton­ner qu’il cherche à conser­ver les pré­ro­ga­tives de ses anciennes fonctions.

Des exemples.

Il faut d’ailleurs voir à l’œuvre le Secré­taire du Conseil et com­ment il subor­donne la volon­té du Conseil à la sienne. En voi­ci quelques exemples pris dans le tas :

Lun­di matin 12 juillet, coup de télé­phone de M. Rabier, rap­por­teur de la loi, au secré­taire du Conseil qui, comme par hasard, se trou­vait au Syn­di­cat. Ren­dez-vous est pris pour l’a­près-midi, et il n’est pas dou­teux que, dans le conci­lia­bule entre M. Rabier et Gué­rard, il fut déci­dé qu’au­cun chan­ge­ment ne serait deman­dé à la Chambre sur le pro­jet de loi voté par le Sénat.

La pre­mière mesure que devait prendre Gué­rard après le coup de télé­phone du lun­di matin, c’é­tait de convo­quer le Conseil. Pour une loi qui avait absor­bé toute l’ac­ti­vi­té du S.N. pen­dant plus de 10 ans.6« Ce n’est pas parce que nous avons quelques droits qui ne sont pas d’ailleurs des pri­vi­lèges : retraites pro­blé­ma­tiques et avan­tages acces­soires, que l’on peut nous reti­rer la liber­té. » (Le Matin, 15 mai 1909.)
Effet ora­toire, dira-t-on ; mais, pas tant que cela ! Aus­si, quel sujet de tris­tesse pour nous, dans ces paroles pro­non­cées par Gué­rard au mee­ting de l’Hip­po­drome ! Plus de dix années de nos meilleurs mili­tants dépen­sées pour des « retraites pro­blé­ma­tiques », alors que les petits trai­te­ments sont res­tés sta­tion­naires. Pour­tant, dès le mois de mars 1899, le syn­di­cat natio­nal avait limi­té son pro­gramme à ces deux réformes : 1° Le relè­ve­ment des petits salaires ; 2° la retraite pour tous et PROPORTIONNELLE.
, il me semble que cette pré­cau­tion était obli­ga­toire. Notre secré­taire du Conseil pen­sa autre­ment et se conten­ta de se faire accom­pa­gner le len­de­main après-midi, à la Chambre, par le bureau du Syn­di­cat7À la suite de cer­tains inci­dents et à l’ins­ti­ga­tion de Gué­rard lui-même, le Conseil avait tout récem­ment déci­dé que, pour toute délé­ga­tion impor­tante, le secré­taire du Conseil se ferait accom­pa­gner par le bureau. ».

Il paraît que la délé­ga­tion et les dépu­tés tom­bèrent de suite d’ac­cord pour faire voter la loi sans retard, et en effet, à 5 heures du soir, le tour était joué.

Ain­si fut sabo­tée la loi Ber­teaux, furent lâchés, défi­ni­ti­ve­ment, on peut dire :

L’as­si­mi­la­tion des agents des trains ; la limite d’âge des employés de bureau, etc., etc., et sur­tout l’ar­ticle rela­tif aux Com­pa­gnies secon­daires, qu’il eût été facile d’as­si­mi­ler au régime des grandes Compagnies.

La cam­pagne pour le relè­ve­ment des salaires nous édi­fie­ra sur la façon dont s’y prend le secré­taire du Conseil pour mar­quer de son empreinte toutes les déci­sions prises par le Syndicat.

Le mois der­nier, sur l’i­ni­tia­tive du groupe Paris-Est, un mee­ting était orga­ni­sé à la Bourse du tra­vail, dans le but d’a­mor­cer (il est temps qu’on s’en occupe, n’est-ce. Pas !) la cam­pagne pour le relè­ve­ment des petits salaires.

La veille seule­ment, le Conseil fut convo­qué pour arrê­ter les détails de la réunion, dont la date était déjà connue depuis une quin­zaine. Quand, vers 11 heures du soir, un admi­nis­tra­teur s’a­vi­sa de dire : « Et l’ordre du jour ? », le secré­taire du Conseil, qui grif­fon­nait une belle feuille de papier blanc, fit cette réponse admi­rable : « J’ai essayé de le faire, mais, dans une dis­cus­sion comme celle-là, ce n’est pas facile à rédi­ger. J’y son­ge­rai à tête repo­sée et demain soir on rec­ti­fie­ra s’il y a lieu ».

C’é­tait la « confiance for­cée » car on ne se repré­sente pas le Conseil dis­cu­tant, un quart d’heure avant un mee­ting, l’ordre du jour qui doit y être sanctionné.

Le mee­ting eut lieu avec le suc­cès que l’on sait et nos adver­saires, eux-mêmes, ne trou­vèrent pas d’ex­pres­sions trop louan­geuses pour par­ler de la cor­rec­tion de Le Guen­nic (l’é­li­mi­né) et de Bida­mant (l’ex­clu). On peut ajou­ter même, sans crainte de contra­dic­tion, que l’ac­cueil ardem­ment sym­pa­thique fait à ces mili­tants était une appro­ba­tion de notre tactique.

Or, l’ordre du jour adop­té dans cette séance fut un ordre du jour réfor­miste, un ordre du jour de Guérard.

Ah ! certes, il fut applau­di, lui malin, quand, pre­nant le cou­rant, il jugea oppor­tun de pro­non­cer ces vibrantes paroles :

« N’ou­bliez pas qu’à aucun prix vous ne pour­rez recu­ler. Même par la grève, nous attein­drons notre but. »

Mais les oppo­sants seraient le jouet d’une forte illu­sion s’ils se figu­raient avoir gagné à leur tac­tique ce grand assagi :

« Quand nous serons orga­ni­sés, il fau­dra son­ger à la grève », avait-il dit pré­cé­dem­ment et encore : « Pour être forts, il faut englo­ber la tota­li­té des 28.000 employés. »

« Lorsque dans quelques mois — la chose est facile — des 60.000 syn­di­qués que nous sommes nous serons pas­sés 120.000, nous pour­rons alors par­ler haut et ferme. » Mais, allez-donc réflé­chir dans une salle sur­chauf­fée ! Seules les grandes phrases sonores et les tirades enflam­mées font leur effet ; il n’y a qu’a­près qu’on aper­çoit, der­rière chaque vibrant appel à l’ac­tion fait par Gué­rard, le cor­rec­tif qui sup­prime tout, don­nant au total ce que le petit curé de cam­pagne peut nous don­ner : l’es­poir d’une meilleure exis­tence… au paradis.

Che­mi­nots de par­tout, appe­lés à voter cet ordre du jour type, avec le désir d’ob­te­nir des amé­lio­ra­tions ren­dues si pres­santes par la pré­ca­ri­té de vos salaires, com­pa­rée avec le prix tou­jours crois­sant de la vie, si vous vou­lez vous rendre compte du néant de cet ordre du jour, vous n’a­vez qu’à en relire le qua­trième ali­néa, en tenant compte des décla­ra­tions précédentes :

« Estiment (les tra­vailleurs des che­mins de fer de tous les réseaux) que le résul­tat pour­sui­vi ne sera obte­nu qu’à la condi­tion de ren­for­cer le syn­di­cat de manière à consti­tuer une puis­sance capable, par sa fer­me­té et son éner­gie, de faire flé­chir les résis­tances inté­res­sées des Compagnies. »

Ain­si donc, à vous tous, cama­rades de pro­vince, qui végé­tez pen­dant toute votre exis­tence pour engrais­ser action­naires et fonc­tion­naires ; et vous, cama­rades de Paris, qui cre­vez de faim avec un salaire de 4 francs par jour et moins, Gué­rard annonce que vous pour­rez par­ler haut et ferme — quand nous serons 120.000 au. Syn­di­cat. 199.999, ça ne vau­drait rien !

Retour sur le passé

En fai­sant un retour sur le pas­sé, on s’a­per­çoit qu’une main de mal­heur a conduit les des­ti­nées du Syn­di­cat Natio­nal et on ne peut s’empêcher d’une admi­ra­tion pro­fonde pour cette force de l’es­prit syn­di­ca­liste qui a résis­té à tant de causes sus­cep­tibles de désa­gré­ger l’organisme.

On com­prend, à revivre l’his­toire de notre Syn­di­cat, que des scis­sions se soient pro­duites, notam­ment en 1899, lors­qu’à la réunion de Niort (5 mars), cer­tains groupes de l’État refu­sèrent d’en­tendre Gué­rard. On Com­prend mieux aus­si, cette condi­tion du Syn­di­cat pro­fes­sion­nel en réponse à une ten­ta­tive de fusion : « Nous exi­geons que les délé­gués soient des agents en acti­vi­té de ser­vice ».

Nous com­pre­nons enfin que tous les essais ten­tés auprès de la Fédé­ra­tion des méca­ni­ciens et chauf­feurs aient échoué ; car en dépit du peu d’empressement mis par les méca­ni­ciens à don­ner leur adhé­sion à un Syn­di­cat com­pre­nant d’autres caté­go­ries, nous avons tou­jours pen­sé qu’un esprit nou­veau les por­te­rait quelque jour à faire le geste de soli­da­ri­té auquel les oblige leur atti­tude sou­vent énergique.

Nous devons enfin nous sen­tir entraî­nés vers l’in­dul­gence, pour cer­tains cama­rades bruyam­ment exclus anté­rieu­re­ment à cette crise et qui pro­ba­ble­ment ne sont que les vic­times de l’au­to­ri­ta­risme de Guérard.

Conclusion

Nous avons vu que, grâce à l’in­suf­fi­sance des sta­tuts réduits à néant par le fait d’une habi­le­té sans égale, grâce aus­si à la com­pli­ci­té — momen­ta­née — d’un état-major réfor­miste, Gué­rard tient le Syn­di­cat Natio­nal dans ses mains.

Pour­tant, nous sommes tous d’ac­cord, j’en suis sûr, pour ne pas per­mettre plus long­temps que notre orga­ni­sa­tion soit le jouet d’un « conduc­teur d’hommes » dont la prin­ci­pale qua­li­té est d’être un par­fait équilibriste.

Si nous ne son­gions qu’à faire œuvre de haine, nous aurions beau jeu à tra­cer de Gué­rard un por­trait peu flat­teur mais exact. Nous pour­rions remon­ter à son rôle sous le minis­tère Wal­deck-Mil­le­rand ; nous pour­rions le mon­trer — lui qui parle de démas­quer les « tarés » — éta­lant l’or et les billets, osten­si­ble­ment sor­tis du por­te­feuille gon­flé, la main lar­ge­ment ouverte (geste de bon vivant, mais aus­si par­fois de cor­rup­teur), ren­dant des ser­vices par la varié­té des rela­tions et pour la consi­dé­ra­tion qui en rejaillit sur sa per­sonne ; esclave sur­tout de ses passions.

Mais c’est à une œuvre posi­tive que nous tra­vaillons, rendre aux syn­di­qués la direc­tion du Syn­di­cat des che­mins de fer.

Ah ! je m’ex­plique ce cau­che­mar de quelques-uns : — Par qui rem­pla­ce­ra-t-on Guérard ?

Mais, par un simple employé et ce seront les cama­rades qui régle­ront eux-mêmes leurs grandes et leurs petites affaires.

Un Congrès extra­or­di­naire que nous avons deman­dé dès les pre­miers inci­dents est aujourd’­hui déci­dé. Tout che­mi­not et tout syn­di­ca­liste doit envi­sa­ger avec gra­vi­té les consé­quences après les attaques contre la C.G.T. dont le réseau de l’Est nous a don­né un avant-goût le 6 juin à Paris, et la nomi­na­tion de Niel comme secré­taire et pro­pa­gan­diste de ce réseau.

Devons-nous craindre que la cam­pagne de calom­nies faite contre Le Guen­nic, Bida­mant8Bida­mant, que Gué­rard n’ou­blie jamais d’ap­pe­ler le « sous chef de bureau Bida­mant ». Pauvre « sous-chef » à 139 francs par mois. et d’autres mili­tants connus pour l’ar­deur de leurs convic­tions, n’ait jeté quelque germe de sus­pi­cion dans l’es­prit de nos cama­rades de pro­vince, si mal ren­sei­gnés par La Tri­bune.

Quant à la pré­sence de Gué­rard elle ne nous inquiète plus. (En m’ex­pri­mant ain­si, je ne me base pas sur la déci­sion récente qui vient de sanc­tion­ner son exclu­sion du groupe de Paris-Nord, son groupe.)

Je veux dire : L’homme qu’il a été a vécu ; celui que les syn­di­qués exi­ge­ront désor­mais qu’il soit, un employé, n’est pas pos­sible. Ain­si qu’il l’a répé­té maintes fois, Gué­rard n’ac­cep­te­ra jamais de n’être que cela après avoir été le mani­tou depuis bien­tôt 20 ans.

Mal­gré tout, je ne suis nul­le­ment ras­su­ré ; l’his­toire de toutes les asso­cia­tions de tra­vailleurs nous montre la plu­part des orga­ni­sa­tions créées en vue de la lutte de classes, se trans­for­mant bien­tôt, par menace ou par cor­rup­tion, en grou­pe­ments de mutua­li­té, dont la besogne consiste, comme on sait, à répa­rer les maux cau­sés par nos exploi­teurs et adou­cir leur sys­tème de salaires de famine, avec les gros sous des vic­times elles-mêmes.

Ces trans­for­ma­tions four­millent dans l’his­toire des syn­di­cats, où l’on peut voir les pou­voirs publics se faire les com­plices des patrons.

Jadis, ces petites opé­ra­tions n’é­taient qu’un jeu ; aujourd’­hui, elles sont deve­nues plus dif­fi­ciles à réus­sir, mais on y emploie plus d’ha­bi­le­té et le coup porte encore.

Le Syn­di­cat natio­nal a, lui aus­si, sa Mutuelle cor­rup­trice dans l’Or­phe­li­nat et c’est de là que viennent mes terreurs.

Déjà, des années de tra­vail ont été sacri­fiées à cette odieuse lote­rie, para­ly­sant, pour des avan­tages illu­soires, l’é­lan des reven­di­ca­tions vrai­ment sérieuses : celles qui coû­te­raient à l’État-patron et aux Com­pa­gnies. Et voi­là que l’on nous montre — dans la lune — la pers­pec­tive d’une somme de 500.000 francs (La Tri­bune, du 31 octobre).

Avec quelle science appro­fon­die de la cré­du­li­té humaine est rédi­gée cette note et qui n’en recon­naî­trait la griffe. Et quand on nous montre notre lote­rie comme étant la seule ayant réa­li­sé un léger béné­fice de 98.000 francs, qui donc ne res­sen­ti­rait un légi­time orgueil devant ce résul­tat, peu fait cepen­dant pour conso­ler les admi­nis­tra­teurs de cet orphe­li­nat simi­laire à qui devaient reve­nir 400.000 francs sur le mil­lion escompté.

Donc, le minis­tère où M. Briand, copain de Gué­rard, est pré­sident du Conseil, nous offre géné­reu­se­ment le demi-mil­lion sur les béné­fices futurs d’une lote­rie.

Devant cette pers­pec­tive d’un bel éta­blis­se­ment où, sur le sol algé­rien (pro­ba­ble­ment) seraient hos­pi­ta­li­sés une cen­taine d’or­phe­lins ; devant ce soleil d’or — qui pour­rait bien se chan­ger en un trou dans la lune nos cama­rades vont- ils, hyp­no­ti­sés par la pro­messe de la manne minis­té­rielle, réduire à des mani­fes­ta­tions man­quées, dans la crainte de com­pro­mettre les béné­fices de la dona­tion pro­mise, leur cam­pagne de relè­ve­ment des salaires ?

Je ne puis croire à une telle aber­ra­tion de l’es­prit posi­tif de cama­rades aban­don­nant, comme pour les retraites, la proie pour l’ombre.

Ils doivent com­prendre alors ce qui leur reste à faire : déjouer les manœuvres der­nières de celui qui par­ti­ra, parce qu’il y est obli­gé, mais qui compte bien conser­ver au Syn­di­cat Natio­nal sa néfaste influence.

« Je m’en irai en juillet, a‑t-il dit, dans un récent Congrès ; il me faut le temps de mettre mon suc­ces­seur au cou­rant. »

Le prince abdique, mais il a la pré­ten­tion de fixer son heure et de dési­gner son successeur.

Qui lui impose cette atti­tude ? Quel est le gage pro­mis en cas de réussite ?

Pro­blème angoissant.

La trans­for­ma­tion du Syn­di­cat natio­nal en Fédé­ra­tion qui, si l’on a la sagesse d’é­car­ter les ques­tions per­son­nelles, sera pro­ba­ble­ment le gros mor­ceau du 21e Congrès, per­met­tra-t-elle de dis­si­per tous les mal­en­ten­dus et d’a­me­ner la cohé­sion dont nous aurions tant besoin ? Je l’espère.

Dans tous les cas, il ne fau­drait pas rem­pla­cer la dic­ta­ture par un Conseil des Dix et le seul moyen d’é­vi­ter cet écueil, c’est d’as­su­rer aux groupes L’AUTONOMIE LA PLUS LARGE.

Cama­rades de la pro­vince qui serez délé­gués au 21e Congrès, atten­tion ! et tenez la barre d’une main qui ne tremble pas.

Eugène Poi­te­vin

  • 1
    Le Comi­té de Défense syn­di­ca­liste du Syn­di­cat Natio­nal des Tra­vailleurs des Che­mins de fer a publié récem­ment un mani­feste. Sa coti­sa­tion men­suelle, 0 fr. 50. Le secré­taire est Le Guen­nic, sen­tier des Marais, Meu­don (Seine-et-Oise). Le tré­so­rier, Gaillard, 25, rue de Paris, Bobi­gny (Seine).
  • 2
    Le Congrès avait en effet déci­dé de consul­ter immé­dia­te­ment les groupes, par voie de réfé­ren­dum, sur l’aide à appor­ter aux pos­tiers. Mais au 14, rien n’a­vait été fait, le réfé­ren­dum n’é­tait pas même lancé.
  • 3
    Jour­naux du 15 mai.
  • 4
    Décla­ra­tion rap­pe­lée devant le Conseil par Char­nay, à la suite les voies de fait aux­quelles s’é­tait livré Gué­rard sur sa personne.
  • 5
    Du 7 mai, date de la dis­lo­ca­tion du Congrès, au 14 mai, de la convo­ca­tion des admi­nis­tra­teurs, la ges­tion du S. N. fut tout entière entre les mains du secré­taire du Conseil.
  • 6
    « Ce n’est pas parce que nous avons quelques droits qui ne sont pas d’ailleurs des pri­vi­lèges : retraites pro­blé­ma­tiques et avan­tages acces­soires, que l’on peut nous reti­rer la liber­té. » (Le Matin, 15 mai 1909.)
    Effet ora­toire, dira-t-on ; mais, pas tant que cela ! Aus­si, quel sujet de tris­tesse pour nous, dans ces paroles pro­non­cées par Gué­rard au mee­ting de l’Hip­po­drome ! Plus de dix années de nos meilleurs mili­tants dépen­sées pour des « retraites pro­blé­ma­tiques », alors que les petits trai­te­ments sont res­tés sta­tion­naires. Pour­tant, dès le mois de mars 1899, le syn­di­cat natio­nal avait limi­té son pro­gramme à ces deux réformes : 1° Le relè­ve­ment des petits salaires ; 2° la retraite pour tous et PROPORTIONNELLE.
  • 7
    À la suite de cer­tains inci­dents et à l’ins­ti­ga­tion de Gué­rard lui-même, le Conseil avait tout récem­ment déci­dé que, pour toute délé­ga­tion impor­tante, le secré­taire du Conseil se ferait accom­pa­gner par le bureau. »
  • 8
    Bida­mant, que Gué­rard n’ou­blie jamais d’ap­pe­ler le « sous chef de bureau Bida­mant ». Pauvre « sous-chef » à 139 francs par mois.

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