La Presse Anarchiste

Haute école

Rires

Ça se passe en 1938.
Dans le décor d’une table d’hôte de province.
Quatre types : un homme, 35 ans, sta­ture et com­plexion Croix-de-feu, lisant le quo­ti­dien du P.S.F.; un autre, son beau-père, avec des yeux bleu d’a­cier de loup qui rêve et quelques dents en or, genre géné­ral en retraite d’une armée qui accep­te­rait les recrues de 1 m. 50, che­va­lier de l’ordre que l’on sait ; puis deux gue­nons natio­na­listes, la mère et la fille, du même âge en appa­rence, les che­veux pla­ti­nés l’air putain de caf’ conc’ 1900.
Une boniche, fraîche, gen­tille, ser­vile à sou­hait devant la clien­tèle bien-pen­sante, assure le service.
Tout a coup, on entend, rom­pant le silence, la voix auto­ri­taire, har­gneuse et mépri­sante du Croix-de-feu :
– D’ la moutarde !
Alors Léo, qui déjeune avec moi, me dit :
– Tu com­prends pour­quoi, dans les révo­lu­tions, on les pend ?

— O —

En livrant du char­bon, il dit à la cliente :
–…J’ai eu cinq enfants, mais rien qu’un gar­çon… Ah ! je m’en serais bien pas­sé de celui-là car sa mère est morte en le fai­sant… Et pour­tant je suis content d’a­voir un gars, parce que je suis le der­nier du nom dans la famille…
– Oui, comme ça, votre nom ne dis­pa­raî­tra pas.
– Justement.
– Com­ment vous appelle-vous ?
– Durand.

— O —

Mal­fleu­rat a épou­sé une dac­ty­lo pauvre et qui naguère souf­frait vrai­ment de la faim, mais très jolie. Elle a pro­fi­lé de son sex-appeal pour impo­ser la pré­sence de sa vieille mère que pra­tique, son mari a conver­tie incon­ti­nent en bonne à tout faire. Puis, Mal­fleu­rat à trou­vé le filon : il est deve­nu expert-comp­table pour caram­bouilleurs. Il fait des affaires d’or. Aus­si les deux femmes ont-elles à pré­sent l’air de deux rats lâchés dans un silo.
– On a tel­le­ment connu la misère, autre­fois, avec maman ! dit l’ex-dac­ty­lo… Main­te­nant, on met les bou­chées doubles…

— O —

Quand il était au régi­ment, sous-off’ de droit divin, il disait :
– Ah ! je les fais mar­cher, moi, mes bons-hommes !
– Main­te­nant qu’il est mari de droit divin et a pris chez lui sa belle-mère, il dit :
– Ah ! je les fais mar­cher, moi, mes bonnes femmes !

— O —

Nes­tor Dumo­lâtre est écri­vain et de temps à autre, dans ses confes­sions, il nous confie que sou­vent il se demande qui il est…
Enten­dez par là que la connais­sance exté­rieure et inté­rieure que chaque homme pos­sède de sa per­sonne ne lui suf­fit pas, si est per­sua­dé que cette connais­sance est illu­soire et qu’il doit être autre qu’il n’est. Mais, hélas ! mal­gré tons ses efforts de concen­tra­tion men­tale, il lui est impos­sible de sai­sir le moindre linéa­ment des contours de cet autre qui serait son vrai moi : celui, « réel », qui serait der­rière ne disons pas « lui-même », puis­qu’il ne le veut pas — qui serait der­rière son appa­rence. Il cherche, en somme., son « être en soi », son essence, l’être dont il est le double à ses yeux, son moi incon­nu, pro­fon­dé­ment enfoui dans l’en­ve­loppe qu’on appelle Nes­tor Dumolâtre !
Nous le recon­nais­sons, ce pauvre inquiet. C’est lui qui déjà était en quête de la « chose en soi » dans l’u­ni­vers, de la « réa­li­té », l’oc­culte réa­li­té, l’in­sai­sis­sable réa­li­té qui se cache, assure-t-il, der­rière les phé­no­mènes. De cela aus­si il est sûr, car il en a l’in­tui­tion : les choses ne sont pas ce qu’elles sont, ou plu­tôt ce qu’elles paraissent être : elles sont autres.
Et Dumo­lâtre est ain­si fait que toute sa vie il sera à la pour­suite de ces fantômes.
Au fou ! Au fou !

— O —

Il y a des ans et des ans qu’à toute plainte d’au­trui en. matière sociale, j’en­tends Cré­ti­not répliquer :
– Que rou­lez-vous ! nous vivons dans une période de transition.
La stu­pi­di­té de Cré­ti­not, elle, n’est pas transitoire.

Manuel Deval­dès.


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