La Presse Anarchiste

Nouvelles révélations de Castro

Un an après l’ac­ces­sion au pou­voir de Fidel Cas­tro, et en nous basant sur une docu­men­ta­tion dont tout esprit aver­ti devait recon­naître le sérieux et l’hon­nê­te­té, nous avons dénon­cé la dévia­tion de la Révo­lu­tion cubaine sous l’ac­tion conju­guée de celui qui s’est éri­gé en dic­ta­teur et du par­ti com­mu­niste, son allié circonstanciel.

En ce qui concerne la liber­té d’a­bord : éli­mi­na­tion de tous les par­tis poli­tiques, de droite ou de gauche, démo­cra­tiques ou non ; per­sé­cu­tions contre les ten­dances et grou­pe­ments révo­lu­tion­naires qui ne se sou­met­taient pas aux mesures oppres­sives et tota­li­taires ; colo­ni­sa­tion auto­ri­taire des uni­ver­si­tés, de tous les foyers libres de culture, asser­vis­se­ment des syn­di­cats par les com­mu­nistes qui avaient appuyé le régime de Batis­ta et même de deux ministres dans son gou­ver­ne­ment, tan­dis que leurs jour­naux et revues parais­saient libre­ment ; sup­pres­sion directe ou indi­recte de toute presse non offi­cielle ; déten­tion, condam­na­tions, assas­si­nats de pures figures de la révo­lu­tion ; étouf­fe­ment de toute vel­léi­té de pro­tes­ta­tion, ce qui a obli­gé un très grand nombre de com­bat­tants à se réfu­gier aux États-Unis ou autres pays envi­ron­nants, etc. Cas­tro lui-même — et nous avons repro­duit une par­tie de ses dis­cours — a recon­nu ces faits.

Nous avons aus­si signa­lé la dégrin­go­lade de l’é­co­no­mie cubaine. Qui­conque vou­lait se don­ner la peine d’en­re­gis­trer les maté­riaux que des infor­ma­tions mul­tiples met­taient à notre dis­po­si­tion devait se rendre à l’é­vi­dence ; le ration­ne­ment de plus en plus sévère des articles de consom­ma­tion, même en ce que Cuba pro­dui­sait abon­dam­ment, aurait pu convaincre les plus obtus que le « nou­veau régime » de « socia­lisme popu­laire » avait fait bais­ser rapi­de­ment le niveau de vie du peuple cubain. Il est par exemple sym­bo­lique le fait que dans ce pays où, avant la révo­lu­tion dite cas­triste, le trou­peau de bêtes à cornes était presque aus­si nom­breux que le nombre d’ha­bi­tants, on en soit réduit, depuis deux ans, à n’ac­cor­der qu’une livre de viande par habi­tant et par mois. De même pour les œufs et autres articles de consom­ma­tion courante.

Et c’est encore Cas­tro qui vient de faire des révé­la­tions que ses par­ti­sans inter­na­tio­naux, aveugles et sourds, obtus et fana­tiques, qu’ils soient anar­chistes — il y en a —, com­mu­nistes, révo­lu­tion­naires sans éti­quette, socia­listes ou autres, qu’ils soient sin­cères ou ne le soient pas, comme il arrive avec cer­tains char­la­tans de la révo­lu­tion en Amé­rique du Sud, ne pour­ront pas nier. L’in­for­ma­tion a été trans­mise, de La Havane, par radio et par la presse. Dans cette der­nière, nous avons choi­si ce que Le Monde, dont le rédac­teur spé­cia­li­sé a publié d’as­sez nom­breux articles favo­rables à Cas­tro, a repro­duit. Lisez-le, et enre­gis­trez-le bien.

« Pre­nant la parole same­di lors d’une réunion de l’Ins­ti­tut des res­sources hydrau­liques, M. Fidel Cas­tro a décla­ré que l’é­co­no­mie du pays a été entra­vée par la bureau­cra­tie exces­sive, les rap­ports secrets et la cen­tra­li­sa­tion des pou­voirs. Il a sug­gé­ré que les tra­vailleurs cubains s’ins­pirent « de la bonne orga­ni­sa­tion » pra­ti­quée « par les impé­ria­listes ».

Com­men­taire : Tout en disant des véri­tés de poids — nous allons voir celles qui sui­vront —, Cas­tro ment. Ce ne sont pas « les tra­vailleurs » qui ont implan­té le régime et le sys­tème exis­tant à Cuba, mais lui et sa bande, et les com­mu­nistes, ses alliés.

Conti­nuons nos citations :

« Il a affir­mé qu’une meilleure orga­ni­sa­tion et la décen­tra­li­sa­tion des pou­voirs contri­bue­ront à résoudre bien des pro­blèmes, et ajou­té que le gou­ver­ne­ment se pré­oc­cupe actuel­le­ment d’é­li­mi­ner le gas­pillage en éner­gie humaine et la pro­li­fé­ra­tion des rap­ports secrets. »

Com­men­taire : La cen­tra­li­sa­tion et le gas­pillage de l’éner­gie humaine ont été et sont l’œuvre de son régime, du sys­tème éta­tiste cen­tra­li­sé implan­té par lui et ses amis com­mu­nistes, pour avoir en main non seule­ment tout le pou­voir, mais toute la vie, toute la popu­la­tion de Cuba.

Conti­nuons encore :

« M. Fidel Cas­tro a affir­mé connaître de nom­breux cas « d’ins­ti­tuts ayant beau­coup d’employés sans fonc­tions » et « d’or­ga­ni­sa­tions gou­ver­ne­men­tales rem­plies d’employés qui ne font rien ».

Il a ajou­té : « Dans la mesure où les fonc­tion­naires ont leur salaire assu­ré, ils ne s’in­quiètent pas de ser­vir le public. Cela ce n’est ni de la révo­lu­tion, ni du socia­lisme, c’est tout sim­ple­ment du gâchis. »

Com­men­taire : Tous les voya­geurs et les voya­geuses qui se sont pro­me­nés dans Cuba et ont rap­por­té une impres­sion opti­miste, favo­rable ou exal­tante de leur pro­me­nade où, comme d’ha­bi­tude, on ne leur a fait voir que ce qu’on a bien vou­lu, et où ils n’ont vu que ce qu’ils ont bien vou­lu voir, n’ont rien rap­por­té à ce sujet. Si c’est nous qui le disons, nous sommes taxés de contre-révo­lu­tion­naires, sub­jec­tifs ou objec­tifs, quand ce n’est pas d’a­gents de l’im­pé­ria­lisme yan­kee. Mais c’est Fidel Cas­tro. Alors ? D’autre part, cette plé­thore bureau­cra­tique qui para­lyse tout, ou contri­bue à le para­ly­ser, n’est-elle pas aus­si consub­stan­tielle au régime de l’é­ta­ti­sa­tion totalitaire ?

Citons tou­jours :

« Les cama­rades de l’I.N.R.A. devraient se remuer lorsque quel­qu’un leur demande leur aide. Nous devons mettre un terme à cet état de choses. »

Com­men­taire : l’I.N.R.A. (Ins­ti­tut natio­nal de réforme agraire) est l’or­ga­nisme mons­trueux qui a pris en main non seule­ment l’or­ga­ni­sa­tion de l’a­gri­cul­ture, mais encore celle de l’in­dus­trie, de la dis­tri­bu­tion, etc. C’est une créa­tion émi­nem­ment com­mu­niste, mais où Che Gue­va­ra et ses amis ont agi en plein accord avec Fidel Cas­tro. On voit ce qu’elle donne. Mais on va voir mieux encore.

Car Fidel Cas­tro en arrive à un aveu for­mi­dable. Le voi­ci textuellement :

« Les impé­ria­listes avaient une bonne orga­ni­sa­tion, du per­son­nel de qua­li­té assu­mant ses res­pon­sa­bi­li­tés, et cela fonc­tion­nait bien. Nous devons appli­quer des méthodes d’or­ga­ni­sa­tion cor­rectes.»

Que dire de plus ? Une cam­pagne sys­té­ma­tique a été orches­trée à l’é­chelle mon­diale, dont Sartre et Simone de Beau­voir et une armée de déma­gogues et de simples d’es­prit (nous mesu­rons nos mots) ont accu­sé l’«impérialisme étran­ger », le « capi­ta­lisme étran­ger », et natu­rel­le­ment nord-amé­ri­cain, d’être res­pon­sables de la misère — très rela­tive — des pay­sans cubains. Pour­tant le fait est que, d’une part, les « inge­nios » de canne à sucre, pas­saient avec rapi­di­té aux mains des richis­simes Cubains, qui en déte­naient les deux tiers, d’autre part, que l’in­dus­tria­li­sa­tion du pays, qui per­met­tait aux tra­vailleurs des villes d’a­voir un stan­dard de vie sou­vent enviable, même pour beau­coup de tra­vailleurs euro­péens, était l’œuvre de ce capi­tal étran­ger. Sans lui, Cuba en serait encore au niveau où l’a­vait lais­sée les Espa­gnols. C’est à la pré­sence de ce capi­tal, nord-amé­ri­cain, mais aus­si anglais et fran­çais, qu’é­taient attri­bués tous les maux du pays. Aus­si quand Fidel Cas­tro a « natio­na­li­sé » et expro­prié toutes les grandes usines modernes ain­si fon­dées, ceux qui s’emballent faci­le­ment ont applau­di stu­pi­de­ment. Nous n’a­vons pas applau­di parce que pour nous ce qui compte avant tout, c’est le plan humain, non pas le plan natio­na­liste. Si la classe ouvrière, si le peuple de Cuba devaient gagner par cette mesure, nous approu­ve­rions. S’ils devaient y perdre, nous n’ap­prou­ve­rions pas.

Qu’en est-il résul­té ? Fidel Cas­tro, comme du reste l’a fait Khrout­chev à dif­fé­rentes reprises, en est réduit à van­ter l’or­ga­ni­sa­tion capi­ta­liste. « Cela fonc­tion­nait bien », ce qui signi­fie que cela fonc­tionne mal main­te­nant. Rude­ment mal même, pour qu’il soit obli­gé de tenir ce lan­gage. Et qui donc s’en éton­ne­rait, si l’on tient compte de la bureau­cra­ti­sa­tion géné­rale qui para­lyse non seule­ment l’in­dus­trie, mais aus­si l’a­gri­cul­ture, puisque la pro­duc­tion de sucre a atteint cette année 3.500.000 tonnes contre la moyenne de 5.000.000 avant la révolution ?

Mais Fidel Cas­tro est allé plus loin. Il a décla­ré, quant à l’a­ve­nir éco­no­mique du pays, qu’il « fal­lait renon­cer aux rêves d’in­dus­tria­li­sa­tion pous­sée de l’île et que l’a­gri­cul­ture devrait assu­rer les besoins de Cuba pen­dant l’ac­tuelle décen­nie et peut-être durant la pro­chaine ».

Or, rap­pe­lons-nous qu’une des jus­ti­fi­ca­tions appor­tées et col­por­tées dans l’at­ti­tude de Cas­tro, Che Gue­va­ra et autres com­mu­nistes contre le « capi­ta­lisme étran­ger », et par­ti­cu­liè­re­ment nord-amé­ri­cain, était que cet impé­ria­lisme s’op­po­sait à l’in­dus­tria­li­sa­tion de Cuba, et obli­geait l’île à en res­ter au rang de pro­duc­teur agri­cole, à un stade arrié­ré qui la ren­dait dépen­dante des nations capi­ta­listes, par­ti­cu­liè­re­ment des U.S.A. En a‑t-on fait à ce sujet des affir­ma­tions caté­go­riques, en a‑t-on pro­non­cé des condam­na­tions indi­gnées ! Et voi­là que main­te­nant, c’est Cas­tro lui-même qui condamne la nation non seule­ment à renon­cer à une indus­tria­li­sa­tion plus pous­sée, qui fai­sait par­tie de son pro­gramme et du pro­gramme com­mu­niste, mais plus encore à n’être qu’une nation agri­cole, plus spé­cia­li­sée qu’au­pa­ra­vant, et donc moins moderne et plus dépen­dante des autres nations.

Car il envi­sage pour l’a­ve­nir que les récoltes de canne à sucre s’é­lè­ve­ront à 8 ou 9 mil­lions de tonnes, que « l’é­co­no­mie cubaine sera avant tout basée dans les vingt pro­chaines années sur l’ex­ploi­ta­tion de la canne à sucre et du bétail » — formes d’é­co­no­mie rudi­men­taire, car l’é­le­vage du bétail est pra­ti­quée de la façon la plus pri­mi­tive dans toute l’A­mé­rique latine. Quelles pers­pec­tives pour la nation cubaine ! La mono­cul­ture n’est-elle pas un des fléaux des nations sous-déve­lop­pées ? Et du reste, qui lui achè­te­ra son sucre, et à quel prix, sur­tout si l’on sait que les autres nations pro­duc­trices pro­fitent de la ces­sa­tion du com­merce de Cuba avec les U.S.A. pour déve­lop­per leur pro­duc­tion sucrière, et qu’il fau­dra comp­ter, demain, avec des concur­rents et leur pro­duc­tion par­fois décuplée.

Enfin, Cas­tro s’est vu obli­gé de faire appel aux petits pro­prié­taires, décla­rant qu’il ne voyait pas d’ob­jec­tion à leur pré­sence à Cuba même pour l’an­née 1983. Ce qui en dit long sur le ren­de­ment des col­lec­ti­vi­sa­tions d’É­tat, phé­no­mène qui du reste se pro­duit dans tous les pays appe­lés socia­listes, que ce soit en Europe ou en Asie.

Il est des gens qu’on ne convain­cra jamais, car ils ont peur de la véri­té, ils n’ont pas le cou­rage de recon­naître leurs erreurs. Les pro-cas­tristes aveugles sont de ceux-là. Espé­rons que tous ne refu­se­ront pas de voir la lumière. En ce qui nous concerne, nous avons la satis­fac­tion de prou­ver que nous avons vu clair depuis long­temps, mal­gré les impré­ca­tions de cer­tains. Et mal­gré nous aus­si, car nous pré­fé­re­rions avoir à recon­naître que nous nous étions trom­pés, et qu’une révo­lu­tion vrai­ment socia­liste ait triom­phé dans le monde. Alors, loya­le­ment, nous recon­naî­trions notre erreur, et nous nous met­trions au ser­vice de cette révolution.

De cette révo­lu­tion qui n’a de socia­liste que le nom, et qui, par l’o­rien­ta­tion qui lui a été don­née, ne pou­vait que conduire plus de misère et d’op­pres­sion. Car il y a long­temps que nous ne nous lais­sons pas prendre au piège des mots, qui depuis 1917 et une des grandes et ter­ribles réa­li­tés de notre époque.


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