Les deux textes qui suivent montrent de quelle façon la liaison entre les mouvements pacifistes indépendants de l’Ouest et de l’Est commence à se faire. Après les allemands de l’Est et les Russes, les Tchécoslovaques initient un mouvement pacifiste non officiel, réprimé bien entendu. Les occidentaux ont réagi de plusieurs manières. Le CODENE français a refusé d’aller à l’Assemblée officielle pour la Paix de Prague du 21 au 26 juin derniers, et les textes qui suivent en expliquent les raisons ; les allemands de l’Ouest (ou plutôt certains d’entre eux) après avoir été empêchés par la police de rencontrer des pacifistes tchécoslovaques, ont quitté spectaculairement cette Assemblée.
Czechoslovak National Preparatory Comitee
Novotneho lavka 5
110 00 Prague I
Czechoslovakia
Mesdames et Messieurs les organisateurs
Vous nous avez adressé, en mars dernier, une invitation à participer à l’Assemblée mondiale pour la Paix et la vie, contre la guerre nucléaire, qui doit se tenir à Prague du 21 au 26 juin prochain.
Avant de donner une réponse à votre invitation, nous avons besoin de quelques éclaircissements de votre part.
Nous sommes un Comité d’organisations qui luttent, dans notre pays, la France, contre toute politique qui accroît les dangers de guerre nucléaire, et donc contre la politique de notre propre gouvernement. Nous voudrions savoir si votre Comité préparatoire a invité à l’assemblée mondiale de Prague tous les mouvements qui luttent contre les dangers de guerre nucléaire, même quand cela les amène à s’opposer à la politique de leur propre gouvernement. Nous pensons notamment à la Charte 77 en Tchécoslovaquie et au groupe indépendant de Moscou.
Les racines de la guerre ne sont pas, à notre avis, seulement dans les armes et dans les stratégies militaires. Elles sont aussi dans la méfiance entre les peuples, les injustices, les atteintes aux droits élémentaires de tout homme : droit d’exprimer ses opinions, droit de se déplacer librement. Il nous semble que ces questions ne sont pas prévues dans les documents préparatoires de votre Assemblée. Nous craignons que, dans ces conditions, la « paix » dont il sera question ne soit pas tout à fait celle que nous envisageons et pour laquelle nous luttons. Vous serez sans doute d’accord avec nous pour admettre que la paix sans la liberté n’est pas la vraie paix.
Sur ces deux points (invitation des mouvements comme la Charte 77 et manière de définir la « paix ») nous aimerions de votre part une réponse rapide.
Veuillez agréer nos meilleures salutations
pour le Secrétariat du CODENE : Jacques Berthelet
§§§
Communiqué
Prague, Paris, 20 juin 1983
Des signataires de la Charte 77 viennent d’être informés par des représentants du CODENE (Comité pour le Désarmement Nucléaire en Europe) que cette organisation a répondu à l’invitation des organisateurs de l’assemblée pour la paix de Prague par une lettre dans laquelle elle exprime les conditions de sa participation. Les représentants de la Charte 77 remercient le CODENE d’avoir, dans cette lettre, posé comme condition que le comité préparatoire invite à l’Assemblée de Prague tous les groupes qui agissent pour la paix, même indépendamment de leurs propres gouvernements, et en particulier la Charte 77.
Les représentants du CODENE et de la Charte 77 sont d’accord sur le fait que les dangers de guerre ne résident pas seulement dans les armes et les stratégies militaires, mais aussi dans la méfiance entre les peuples, l’injustice et les violations des droits élémentaires de tout homme, comme le droit d’exprimer ses opinions et de se déplacer librement. Ainsi les représentants de la Charte 77 n’ont pas obtenu l’autorisation de se rendre à Berlin-Ouest, en mai dernier, pour la deuxième conférence européenne sur le désarmement nucléaire.
Le CODENE déplore que, pendant que se tient l’Assemblée de Prague, des citoyens tchécoslovaques qui luttent pour les droits de l’homme et pour un dialogue de paix restent en prison : Petr Uhl, Ladislav Lis, Jaromir Savrda, Vladimir Liberda, Rudolf Battek, Jiri Gruntorad, Jan Litomisky et d’autres.
Les deux parties constatent que la manière dont a été organisée l’Assemblée de Prague a rendu impossible la participation de toutes les forces de paix : la Charte 77, parce qu’elle ne l’a pas pu, et le CODENE parce que, en conséquence, il ne l’a pas voulu.
Au moment où les dangers de guerre s’accroissent en Europe, notamment à cause de l’implantation des SS-20 et des Pershings, les opinions publiques doivent faire pression, par dessus les frontières, pour sortir de la politique des blocs. Pour cela, il faut que les mouvements de paix indépendants grandissent et se renforcent, à l’est comme à l’ouest. Ainsi grandira l’espoir de réaliser la paix dans la justice et la liberté, non seulement en Europe, mais pour le monde entier.
Jan Kozlik, Porte-parole de la Charte 77
Anna Marvanova, Porte-parole de la Charte 77
Jacques Berthelet, CODENE
Le Comité pour le Désarmement Nucléaire en Europe (CODENE) rassemble diverses organisations qui, au contraire du « Mouvement pour la Paix », s’oppose aussi bien aux missiles américains qu’aux SS-20 soviétiques et à la force de frappe française. Il a participé récemment aux Conventions de Bruxelles et de Berlin et à diverses actions en France (Plateau d’Albion, Satory ce printemps, Larzac cet été). CODENE, 23 rue Notre Dame de Lorette, 75009 Paris, France.