Les Six récits de l’école des cadres que vient de publier Christian Bourgois contribueront à combler en partie cette lacune. Yang Jiang, l’auteur des Six récits, est une intellectuelle chinoise. Membre de l’Académie des sciences, Yang Jiang était âgée d’une soixantaine d’années lorsqu’elle fut déportée pour deux ans ― ainsi que son mari, sa fille et le mari de sa fille, tous chercheurs ― en « camp de redressement par le travail » (pour parler russe). C’était en 1969, soit deux ans et demi après le début de la révolution culturelle.
Les bureaucrates dits pragmatiques (Deng Xiaoping and C°) ayant depuis supplanté à la direction des affaires ceux de leurs compères qui s’étaient émancipés joyeusement ― tragiquement aussi pour la population ― de toute réalité, Yang Jiang a été réhabilitée et son livre a connu en juillet 1981 le privilège d’être édité officiellement ― mais aussi, faut-il le préciser, en raison du sujet, confidentiellement ― en Chine pop. même.
La présentation des traducteurs rappelle utilement en quelques mots au lecteur français les conditions historiques qui virent la naissance de l’école des cadres et le rôle de celle-ci : la révolution nommée par la plus grandiose anti-phrase culturelle, la haine de la bureaucratie chinoise envers les intellectuels (n’oubliez pas l’un des principes de base de la domination totalitaire, selon les mots d’Orwell, « l’ignorance, c’est la force »), la mise au pas des intellectuels par la déportation en masse aux champs.
Yang Jiang n’insiste pas ― honnis quelques réflexions en termes plus directement politiques qui entrecoupent pourtant nécessairement ses Récits ― sur ces faits. Elle a préféré retracer en six tranches de vie toute l’absurdité de cette période d’exil. Scandale du départ forcé, scandale de la vie autoritairement privée des siens, sans livres, scandale d’une « rééducation » ― un bien inutile travail forcé ― pour une faute qu’on n’a pas commise.
Malheureusement, du fait d’assez nombreux défauts de traduction ― d’autant que le texte chinois est littéraire ―, la version française prête quelquefois à sourire. Ainsi : « Nous lui donnâmes le nom du chien » (p.93), pour nous lui apprîmes le nom du chien ; « nourrir portée sur portée de chiots » (p.94) au lieu de nourrir des chiots portée après portée ; « déboucher des potagers » (p.115) , pour déboucher hors des potagers, etc. Il ne faudrait pas toutefois que la naïveté de la traduction restreigne, peu ou prou, le succès du livre. D’abord, on l’a déjà dit, parce que les faits ne sont pas si connus ; ensuite, parce qu’il s’agit, avec les Six récits, d’un témoignage donné par l’un de ceux-là mêmes qui eurent à subir la « rééducation ».
On savait le destin de tel lettré chinois pendant la révolution culturelle (celui par exemple de Lao She, poussé au suicide). On avait aussi connaissance ne la déportation massive des intellectuels. Restait à connaître du dedans leur sort. Les Six récits de Yang Jiang lèvent un pan du voile.
Egomet
Six récits de l’école des cadres par Yang Jiang, préface de Qian Zhongshu, traduit du chinois par Isabelle Landry et Zhi Sheng, Paris 1983 « bibliothèque asiatique » , Christian Bourgois éd., 136 pages, 50 f.
- 1Rappelons l’existence du livre de Jean-Jacques Michel et Huang He, Avoir 20 ans en Chine… à la campagne, Paris, 1978, éditions du Seuil.