La Presse Anarchiste

Courrier des objecteurs

Nous repro­dui­sons ici des lettres de plu­sieurs paci­fistes est-alle­mands, datant de mai 1983, dans les­quelles ils se soli­da­risent avec deux insou­mis totaux hol­lan­dais en pro­cès à La Haye. Elles montrent bien les idées et l’es­prit du mou­ve­ment paci­fiste est-alle­mand, et sa soli­da­ri­té avec les paci­fistes d’occident.

Uwe Sinning (Iena)

Cher juge de La Haye

Une condam­na­tion des deux objec­teurs de conscience nui­rait plus que tout à la cré­di­bi­li­té de votre propre désir de paix que je ne veux pas vous dénier. Mais cela nous nui­rait à nous aus­si, qui nous bat­tons de l’autre côté pour une paix et un désar­me­ment réels. Nous volons tous vivre, lais­sez-nous construire des ponts entre les gens et entre les peuples ! Parce que je suis par­ti­san de la paix, je refu­se­rai le ser­vie mili­taire dans quelque pays que ce soit. Je vou­drais aus­si dire ce que j’en­tends par guerre : la guerre, c’est quand des gens qui ne se connaissent pas se tuent pour des gens qui se connaissent mais ne se tuent pas !

Je vous en conjure, lais­sez les deux objec­teurs de conscience en liberté !

Lutz Rathenow (Berlin)

Pour les deux citoyens hol­lan­dais qui se trouvent devant les tri­bu­naux pour insou­mis­sion totale au ser­vice mili­taire, je désire faire une déclaration.

L’É­tat vous reproche, par votre insou­mis­sion, d’af­fai­blir mili­tai­re­ment l’Oc­ci­dent cepen­dant que vous ren­for­cez l’Est. En tant que citoyen de RDA, je veux attes­ter que ce reproche ne tient pas. Je peux affir­mer que l’in­sou­mis­sion au ser­vice mili­taire à l’Ouest est pour beau­coup dans le fait qu’un nombre crois­sant de citoyens de RDA refusent le ser­vice mili­taire. Je le sais d’a­mis qui vou­draient signer des trai­tés de paix indi­vi­duels avec des réser­vistes des pays de l’O­TAN. Ain­si ils démon­tre­raient leur volon­té de ne tirer sur quel­qu’un dans aucune cir­cons­tance… Ce n’est à la véri­té pas faire de pro­pa­gande que de dire que les gens d’i­ci voient dans les mis­siles amé­ri­cains qu’on pré­voit d’ins­tal­ler la grande menace pour la paix actuel­le­ment. Nous com­pre­nons que nos amis hol­lan­dais consi­dèrent dans ces condi­tions leur insou­mis­sion comme une mani­fes­ta­tion par­ti­cu­liè­re­ment indis­pen­sable de pro­tes­ta­tion contre l’en­trée dans cette nou­velle étape de la course aux arme­ments. Je me sens soli­daire de tous ceux qui ne font pas que par­ler de droits de l’homme, mais qui sont prêts à aller en pri­son pour ce droit qu’a l’homme de n’être pas un exé­cu­teur d’ordres. Tous ceux qui veulent la paix doivent faire obs­tacle à la course aux armements.

Stephan Liebezeit (Dresde)

Chers amis !

J’es­père que je n’in­ter­viens pas trop tard. Je n’ai appris votre situa­tion qu’hier.

Moi-même, j’é­tais en pri­son à par­tir de novembre 80 pen­dant 22 mois en RDA, après que j’aie refu­sé le ser­vice mili­taire de 18 mois. Dans ces condi­tions, je consi­dère comme abso­lu­ment impor­tant et néces­saire de me soli­da­ri­ser avec vous ! Je vous sou­haite com­pré­hen­sion et sym­pa­thie dans votre pays pour votre-notre affaire ! Dans ce sens ce serait un suc­cès si vous ne deviez pas aller en pri­son comme moi.

Michael Blumhagen (Iena, expulsé à Berlin-Ouest)

Chers amis, chère assis­tance, cher juge !

Il y a onze mois presque jour pour jour, il y a un an à peine donc, j’ai été arrê­té dans mon vil­lage près de Iena, en RDA, par cinq poli­ciers. Mes voi­sins m’ont vu avec des menottes et les poli­ciers avec des revol­vers. Que s’é­tait-il pas­sé ? Je m’é­tais per­mis de ne pas don­ner suite à une convo­ca­tion pour des exer­cices de réserve de l’«armée popu­laire ». J’a­vais déjà refu­sé le ser­vice mili­taire de l’ar­mée, et donc de l’É­tat dans lequel je vivais.(…)

Mais une telle déci­sion n’est pas per­mise par les lois en vigueur en RDA. Le sol­dat asser­men­té doit se com­por­ter le reste de sa vie, jus­qu’à 65 ans, men­ta­le­ment au moins, comme s’il avait un fusil au pied et il doit être prêt à répondre à une convo­ca­tion pour des exer­cices mili­taires. En juin 82, je devais subir les consé­quences de ma déci­sion et j’al­lais en pri­son. Même si je m’y retrou­vais tout seul, avec ce que j’a­vais fait, je n’é­tait pas iso­lé. Chaque année, sur­tout au prin­temps et en automne, de nom­breux jeunes sont condam­nés à la pri­son en RDA, parce qu’ils refusent d’ac­com­plir un ser­vice mili­taire ou para­mi­li­taire. Le nombre de ceux qui sont actuel­le­ment en pri­son pour ce motif est esti­mé à une cen­taine. Et il y en a de plus en plus.(…) Ce sont ceux qui refusent avec consé­quence de voir dans des incon­nus d’un autre pays des « enne­mis ». Ce sont ceux qui sont prêts à suivre le che­min de l’op­po­si­tion la plus dure pour obte­nir la res­pon­sa­bi­li­té de leurs propres affaires. Oppo­sés aux phrases sur les « guerres justes et dés­in­té­res­sées », ils ne veulent plus être des petits pions dans un jeu qui n’en est plus un depuis long­temps, et dont per­sonne ne com­prend plus vrai­ment les règles. Une grande aide pour nous, en par­ti­cu­lier dans notre argu­men­ta­tion envers les diri­geants, était et est le fait que dans presque tous les pays de l’Ouest et dans le votre par exemple, il y a de plus en plus de gens qui pensent ain­si.(…) Je sais que pen­dant ma déten­tion des objec­teurs de conscience danois, ouest-alle­mands et aus­si hol­lan­dais sont inter­ve­nus en ma faveur auprès du gou­ver­ne­ment de mon pays. Je me réjouis d’au­tant plus d’a­voir aujourd’­hui la pos­si­bi­li­té d’être aux côtés de mes deux amis hol­lan­dais. Et je peux appor­ter aus­si les prises de posi­tion et les com­men­taires de jeunes gens qui vivent encore dans le pays d’où je viens. Je sais que je parle aus­si pour de nom­breux autres qui n’ont pas été aver­tis en temps utile du pro­cès d’au­jourd’­hui pour pou­voir s’ex­pri­mer là-dessus.

Ce que Paul Ver­te­gaal et Her­bert Bit­ter font dans leur pays en Hol­lande n’af­fai­blit pas un côté pour ren­for­cer l’autre. En com­pen­sa­tion du vide qu’ils sont déci­dés à créer par leur absence sur les ter­rains d’exer­cice et les champs de bataille, existe le vide de Ingo Güter, Paul Amon et Uwe Kel­ler dans le dis­po­si­tif de bataille de l’autre côté. Notre but doit être qu’un jour tous les gens qui pensent et qui com­prennent brillent par leur absence sur les champs de bataille.

Alors les quelques géné­raux qui ne peuvent abso­lu­ment pas les aban­don­ner devront créer leur équi­libre des forces par eux-mêmes !

Tages­zei­tung (quo­ti­dien alle­mand) 11/​05/​83


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