La Presse Anarchiste

Heurs et malheurs du mouvement étudiant chinois en France

Les cen­taines de mil­liers de Péki­nois qui ont para­ly­sé la capi­tale chi­noise pen­dant plu­sieurs semaines, en mai et juin der­niers, avant d’être impi­toya­ble­ment répri­més par les chars de l’ar­mée, ont béné­fi­cié d’un mou­ve­ment de sou­tien consi­dé­rable de toutes les com­mu­nau­tés chi­noises dis­sé­mi­nées de par le monde. Cette soli­da­ri­té a été volon­taire, rapide et efficace.

On com­prend aisé­ment que la popu­la­tion de Hong Kong, inquiète pour son ave­nir (Hong Kong ne dépen­dra plus de la tutelle de la Grande-Bre­tagne, mais sera rat­ta­chée à la Chine, dès 1997), ait appuyé sans équi­voque les reven­di­ca­tions des étu­diants du conti­nent en faveur des liber­tés démo­cra­tiques et du res­pect des droits de l’homme. L’am­pleur des mani­fes­ta­tions dans la colo­nie bri­tan­nique, qui ont ras­sem­blé, à plu­sieurs reprises, près d’un mil­lion de per­sonnes (un sixième de la popu­la­tion), a néan­moins pris de court tous les obser­va­teurs. De mémoire de Chi­nois, on n’a­vait jamais vu autant de monde dans les rues de Hong Kong.

L’aide des Chi­nois d’outre-mer [<i<Huaqiao] d’A­mé­rique et d’Eu­rope a encore davan­tage sur­pris. Beau­coup d’entre eux, en effet, n’ont jamais vécu en Chine et ne gardent que des rap­ports ténus avec quelques parents loin­tains. Mais, par-delà les réseaux de rela­tions fami­liales, quand il en sub­siste encore, un sen­ti­ment natio­na­liste a joué, comme au plus fort des mou­ve­ments insur­rec­tion­nels du pas­sé. Le concours qu’ils ont appor­té à la cause étu­diante a été sur­tout d’ordre pécu­niaire : les socié­tés, banques et com­mer­çants des chi­na­towns de New York, San Fran­cis­co, Londres et Paris ont ouvert leurs tiroirs-caisses pour encou­ra­ger d’a­bord la résis­tance des jeunes et évi­ter que la Chine ne se cla­que­mure à nou­veau pour long­temps, ensuite pour venir en aide aux vic­times de la répression.

Mais le sou­tien le plus direct et le plus actif aux contes­ta­taires de la place Tian’an­men est incon­tes­ta­ble­ment venu des dizaines de mil­liers d’é­tu­diants qui se trouvent sur­tout aux États-Unis (où ils sont près de qua­rante mille), mais aus­si en Europe, au Japon, en Aus­tra­lie, depuis le début des années 80. Par­tout, ils ont mani­fes­té pour s’as­so­cier à la contes­ta­tion et exi­ger la démis­sion de Deng Xiao­ping, qui avait pour­tant, iro­nie de l’His­toire, vou­lu et encou­ra­gé la poli­tique de réforme qui leur a per­mis d’al­ler étu­dier à l’é­tran­ger. Cela ne sau­rait sur­prendre car le mou­ve­ment d’a­vril-juin 1989 a bien été un mou­ve­ment essen­tiel­le­ment étudiant.

Qui sont donc ces étu­diants, à Pékin comme à New York ou à Paris, qui ont enfin réus­si à ébran­ler for­te­ment la confiance que pou­vaient avoir les popu­la­tions cita­dines dans leur régime ? On a sou­vent par­lé, à leur sujet, de « bof-géné­ra­tion» ; on les disait apo­li­tiques, nihi­listes de sur­croît, uni­que­ment pré­oc­cu­pés de leur propre des­tin. Mais voi­là, les pers­pec­tives d’a­ve­nir s’an­non­çant sans doute de plus en plus sombres, ils ont pro­tes­té en masse, pour la seconde fois depuis 1986, sans pro­gramme pré­cis (dont ils ne veulent sur­tout pas), en se conten­tant de dénon­cer la cor­rup­tion et de récla­mer sim­ple­ment pour la Chine science et démo­cra­tie, comme l’a­vaient fait soixante-dix ans aupa­ra­vant les mani­fes­tants de l’in­sur­rec­tion du 4 mai 1919.

Ces étu­diants sont très dif­fé­rents, à n’en pas dou­ter, de la géné­ra­tion qui avait ani­mé le pre­mier Prin­temps de Pékin de 1979 dont les lea­ders, Wei Jing­sheng, Wang Xizhe, Xu Wen­li, Liu Qing, qui crou­pissent tou­jours en pri­son, étaient plu­tôt enclins à pro­duire patiem­ment de longues ana­lyses sur la nature du sys­tème socia­liste avant de reven­di­quer les liber­tés démo­cra­tiques 1Sur le pre­mier Prin­temps de Pékin de 1979, cf. V. Sidane, le Prin­temps de Pékin, Gal­li­mard (Archives), 1980 ; Huang S., A. Pino, L. Epstein, Un bol de nids d’hi­ron­delles ne fait pas le prin­temps de Pékin</i<, Chris­tian Bour­gois, 1980 ; V. Sidane et W. Zafa­nol­li, Deux pro­cès poli­tiques à Pékin, Fran­çois Mas­pe­ro, 1981 ; Liu Qing, J’ac­cuse devant le tri­bu­nal de la socié­té, Robert Laf­font, 1982.. Ils y font d’ailleurs rare­ment réfé­rence et, à quelques excep­tions près, ils n’ont pas deman­dé fran­che­ment la libé­ra­tion de leurs aînés 2Cf. l’in­ter­view dans le Monde du 25 mai 1989 des trois lea­ders étu­diants pari­siens.. Des motifs uni­que­ment tac­tiques ne sau­raient rendre compte d’un tel dés­in­té­rêt pour le moins curieux. La thèse de la pro­pa­gande offi­cielle (dans un rap­port interne de la muni­ci­pa­li­té de Pékin) qui veut que le « com­plot contre le Par­ti » ait été notam­ment sus­ci­té par Ren Wan­ding, un des rares lea­ders de l’op­po­si­tion démo­cra­tique de 1979 qui avait été libé­ré il y a quelques années avant d’être à nou­veau incar­cé­ré en juin der­nier, est gro­tesque. La filia­tion entre les deux mou­ve­ments est cer­taine, mais l’in­fluence du pre­mier sur le second, indi­recte, n’a sans doute pas été déterminante.

Les ani­ma­teurs du pre­mier Prin­temps de Pékin de 1979 avaient alors une tren­taine d’an­nées : Wei Jing­sheng est né en 1950, Ren Wan­ding en 1944, Liu Qing en 1947. Enfants de cadres du Par­ti, ils avaient été envoyés dans les cam­pagnes pour se faire « réédu­quer » pen­dant la Révo­lu­tion cultu­relle ; ils y avaient été frap­pés par la misère pay­sanne et avaient per­du toute illu­sion sur les bien­faits du régime. De retour dans les villes, à la fin de l’ère maoïste, ils étaient allés gros­sir les rangs de la classe ouvrière et étaient rapi­de­ment entrés en conflit avec le Pouvoir.

Les pro­mo­teurs du mou­ve­ment de mai-juin 1989 ont une ving­taine d’an­nées et n’ont pas connu les luttes poli­tiques de la Révo­lu­tion cultu­relle. Beau­coup d’entre eux n’é­taient même pas nés en 1966 quand elle fut déclen­chée. C’est le cas notam­ment des lea­ders péki­nois les plus connus : Wu’er Kaixi, 21 ans ; Wang Dan, 20 ans ; Jia Guangxi, 18 ans ; Xu Zhu­liang, 22 ans ; Wang Zheng, 21 ans ; etc. Ils sont étu­diants et appar­tiennent donc à une caté­go­rie pri­vi­lé­giée. Ils viennent de milieux d’in­tel­lec­tuels qui valo­risent, auprès de leurs enfants, les études supé­rieures, ou de cadres de l’ad­mi­nis­tra­tion d’É­tat ou du Parti.

D’au­cuns les appellent les « yup­pies chi­nois » 3Cf. l’ar­ticle de J.Israël, sino­logue à l’U­ni­ver­si­té de Vir­gi­nie, dans News­week, 29 mai 1989.. Le terme est impropre. Ils ne sont pas encore enga­gés dans la vie pro­fes­sion­nelle et leur ave­nir est sur­tout terne. Certes, ils ne seront ni ouvriers ni pay­sans, mais la majo­ri­té d’entre eux, y com­pris ceux qui mènent leurs études à l’é­tran­ger, fini­ront fonc­tion­naires et seront en butte à une bureau­cra­tie pesante et sté­rile qui freine toute ini­tia­tive. D’où leur nou­velle mobi­li­sa­tion, après la répé­ti­tion géné­rale de l’hi­ver 1986 – 1987, contre la cor­rup­tion ram­pante qui gan­grène toute la socié­té et pour les liber­tés démo­cra­tiques fondamentales.

Les mani­fes­ta­tions d’au­jourd’­hui sont en effet dans la droite ligne de celles de 1986 que le Pou­voir avait sanc­tion­nées en des­ti­tuant Hu Yao­bang de son poste de secré­taire géné­ral du Par­ti com­mu­niste, en excluant Fang Liz­hi (le Sakha­rov chi­nois) et l’é­cri­vain Liu Binyan du Par­ti et en mutant les meneurs en usine et dans l’ar­mée, notam­ment dans ce fameux 38e régi­ment basé à Bao­ding dont on dit qu’il aurait refu­sé de mater à Pékin la révolte étu­diante. Le mou­ve­ment a d’ailleurs débu­té par un hom­mage ren­du à Hu Yao­bang, décé­dé en avril, qui aurait plus ou moins pro­té­gé l’a­gi­ta­tion de 1986 4Sur le mou­ve­ment étu­diant de l’hi­ver 1986 – 1987, cf. J.-C. Tour­ne­bise et L Mac­Do­nald, le Dra­gon et la sou­ris, Chris­tian Bour­gois, 1987..

Mais les étu­diants de Pékin, en 1989, ont tiré les ensei­gne­ments de l’é­chec de décembre 1986-jan­vier 1987. Sous une allure plai­sam­ment anar­chique et débon­naire, le mou­ve­ment, du moins à ses débuts, a été par­fai­te­ment orga­ni­sé et pen­sé stra­té­gi­que­ment pour pou­voir recueillir l’as­sen­ti­ment du plus grand nombre et don­ner à tous l’oc­ca­sion d’ex­pri­mer son mécon­ten­te­ment. Seuls des mots d’ordre géné­raux et mobi­li­sa­teurs ont d’a­bord été avan­cés : éli­mi­na­tion de la cor­rup­tion, libé­ra­li­sa­tion du régime. L’ab­sence d’une quel­conque pla­te­forme poli­tique ou de reven­di­ca­tions plus pré­cises a été vou­lue. Plus tard, après l’ins­tau­ra­tion de la loi mar­tiale, le 20 mai, les étu­diants ajou­te­ront un slo­gan plus anti gou­ver­ne­men­tal, mais qui ne risque tou­jours pas de déplaire au plus grand nombre : « Li Peng et Deng Xiao­ping, démission ! ».

À Paris, les étu­diants chi­nois qui sou­tiennent la révolte de leurs cama­rades de Pékin veillent aus­si scru­pu­leu­se­ment à réper­cu­ter fidè­le­ment les seules demandes qui sont faites à Tian’an­men. Rien d’é­ton­nant, dans ces condi­tions, à ce que la très pru­dente Union des Étu­diants Chi­nois en France (UECF), liée à l’am­bas­sade de Chine à Paris et qui a son local au sein même du centre cultu­rel qui dépend de l’Am­bas­sade, ait déci­dé, au début, de cana­li­ser le mou­ve­ment pro­pre­ment pari­sien. Elle orga­nise alors plu­sieurs séances de dis­cus­sion et, sous la pres­sion de contes­ta­taires plus viru­lents et sous la hou­lette de son secré­taire géné­ral, Ji Ning, elle appelle fina­le­ment au grand ras­sem­ble­ment de tous les Chi­nois, au Tro­ca­dé­ro, le 21 mai 1989 5Ils seront ain­si plus d’un mil­lier, sur un total de près de trois mille étu­diants chi­nois dis­per­sés dans trente villes de France, à défi­ler du Tro­ca­dé­ro à l’am­bas­sade de Chine. Cinq d’entre eux y seront reçus à l’is­sue du défi­lé.. Elle envoie le même jour une « Décla­ra­tion » au Comi­té cen­tral du Par­ti com­mu­niste chi­nois et à l’As­sem­blée natio­nale popu­laire, dans laquelle : 1) elle pro­teste contre l’ins­tau­ra­tion de la loi mar­tiale à Pékin et réclame sa levée immé­diate ; 2) elle demande la démis­sion immé­diate de Li Peng de son poste de Pre­mier ministre et celle de Deng Xiao­ping de toutes ses fonc­tions offi­cielles ; 3) elle appelle l’As­sem­blée natio­nale popu­laire à for­mer un nou­veau gou­ver­ne­ment. Trois jours plus tard, le 24 mai, l’UECF rejoint les per­son­na­li­tés intel­lec­tuelles et les sino­logues qui mani­festent devant l’am­bas­sade de Chine, à Paris.

Le mas­sacre per­pé­tré dans la nuit du 3 au 4 juin sur la place Tian’an­men va encore radi­ca­li­ser l’UECF qui par­ti­cipe à un nou­veau défi­lé, le 4 juin, tou­jours au Tro­ca­dé­ro, puis qui s’as­so­cie à l’im­po­sant cor­tège qu’or­ga­nisent plu­sieurs par­tis de gauche et syn­di­cats fran­çais, le 7 juin, de l’O­pé­ra à l’Am­bas­sade de Chine. Aupa­ra­vant, le 6 juin, elle rend public un nou­veau com­mu­ni­qué, très ferme, qui dénonce « les crimes de la clique fas­ciste de Deng Xiao­ping, Yang Shang­kun [le Pré­sident de la Répu­blique) et Li Peng contre le peuple chi­nois », qui appelle toute la popu­la­tion chi­noise à « ren­ver­ser la domi­na­tion de cette clique fas­ciste », qui exhorte « les offi­ciers et sol­dats de l’ar­mée chi­noise qui n’ont pas encore per­du leur bon sens … à tirer sur la poi­gnée de dic­ta­teurs », etc.

Ce mani­feste peu indul­gent à l’é­gard des nou­veaux des­potes ne satis­fe­ra pas pour autant ceux qui se sentent de plus en plus mal à l’aise au sein de l’UECF, qui n’a tou­jours pas rom­pu avec les bureau­crates en poste à l’am­bas­sade de Paris et dont le siège reste situé dans les locaux du ser­vice cultu­rel de ladite ambas­sade. Dès le len­de­main du mas­sacre, les étu­diants radi­caux créent une nou­velle orga­ni­sa­tion, la « Coor­di­na­tion pour la démo­cra­tie en Chine » (CDC). Ses prin­ci­paux ani­ma­teurs sont Jin Yiz­hong et Chen Liming, que les médias fran­çais ont abon­dam­ment inter­viewés au plus fort des évé­ne­ments, Li Zhongxun, etc. Quelques jours plus tard, des élé­ments plus modé­rés se ras­semblent au sein de l’«Association pour les vic­times de la répres­sion en Chine » (AVRC). Celle-ci regrou­pe­ra notam­ment l’é­cri­vain Ya Ding, Chen Lichuan, Wei Huanz­hong, etc.

Les rap­ports entre ces grou­pus­cules (ils comptent cha­cun, au maxi­mum, une dizaine de mili­tants actifs) sont loin d’être idyl­liques. Les diver­gences pro­pre­ment idéo­lo­giques sont insi­gni­fiantes, d’au­tant plus qu’au­cun de ces orga­nismes ne met vrai­ment l’ac­cent sur la réflexion et l’a­na­lyse poli­tiques que peut ins­pi­rer l’é­vo­lu­tion tra­gique de la situa­tion en Chine même. Mais les concep­tions orga­ni­sa­tion­nelles et les sen­si­bi­li­tés des uns et des autres appa­raissent vite incon­ci­liables. Leurs acti­vi­tés vont donc se diver­si­fier, en s’in­té­grant notam­ment dans des ini­tia­tives pro­po­sées par plu­sieurs asso­cia­tions fran­çaises qui ont aus­si vu le jour aux len­de­mains du mas­sacre du 4 juin. Par­fois, cepen­dant, lors de grandes occa­sions, une uni­té, éphé­mère, se réalise.

Au cours de l’é­té, des restruc­tu­ra­tions inter­viennent et de nom­breuses actions d’en­ver­gure sont entre­prises, per­met­tant ain­si de conti­nuer à mobi­li­ser effi­ca­ce­ment l’o­pi­nion fran­çaise sur les pro­blèmes chinois.

Le 12 juin, I’UECF, en liai­son avec le groupe fran­çais AD 89, met en vente le fameux badge blanc sur fond rouge, repré­sen­tant la sta­tue de la démo­cra­tie qui avait été éri­gée sur la place Tian’an­men le 29 mai. C’est là la der­nière inter­ven­tion de l’U­nion offi­cielle des étu­diants chi­nois de France ; celle-ci va désor­mais évi­ter de s’op­po­ser à la nor­ma­li­sa­tion en cours à Pékin. Le 24 juin, la CDC appelle à un ras­sem­ble­ment à la Bas­tille, sui­vi d’un défi­lé. Le comi­té fran­çais Tian’an­men-Chine, la LICRA, SOS-Racisme et l’U­NEF-ID s’as­so­cient à la mani­fes­ta­tion. Le 28 juin, les deux orga­ni­sa­tions étu­diantes AVRC et CDC sont pré­sentes au concert de sou­tien à la popu­la­tion chi­noise, orga­ni­sé au Zénith, sous l’é­gide de France-Liber­té, par le groupe fran­çais Solidarité-Chine.

Quelques jours aupa­ra­vant, le 20 juin, la CDC était inter­ve­nue auprès du comi­té d’in­tel­lec­tuels fran­çais Paris-Pékin (à l’o­ri­gine du ras­sem­ble­ment du 24 mai devant l’am­bas­sade de Chine) pour deman­der la créa­tion, à Paris, d’une Mai­son chi­noise de la démo­cra­tie où pour­raient se réunir les étu­diants chi­nois mili­tant pour que « la pen­sée libre qui, depuis qua­rante ans, est étouf­fée en Chine, puisse s’ex­pri­mer effi­ca­ce­ment ». Pierre Ber­gé, PDG d’Yves Saint-Laurent, répond favo­ra­ble­ment à la demande et met à leur dis­po­si­tion un local com­mer­cial désaf­fec­té, situé 21, rue de Tournon.

La Mai­son chi­noise de la démo­cra­tie est ouverte en grande pompe le 12 juillet à 17 heures en pré­sence de hié­rarques aus­si bien de la majo­ri­té que de l’op­po­si­tion : L. Jos­pin, J. Lang, C. Evin, Mme Fabius-Cas­tro, J. Chi­rac, J. Tou­bon, S. Weill, G. Lon­guet, C. Mal­hu­ret, etc. Les lea­ders les plus en vue du mou­ve­ment démo­cra­tique récem­ment réfu­giés en France sont aus­si de la céré­mo­nie : Wu’er Kaixi, Yan Jia­qi, Li Lu.

Le même jour, quelques heures plus tôt, est inau­gu­rée à La Vil­lette, une copie conforme de la sta­tue de la démo­cra­tie que les chars de l’ar­mée chi­noise ont détruite le 5 juin sur la place Tian’an­men. Cette ini­tia­tive a été éga­le­ment prise par la CDC, en liai­son avec le comi­té fran­çais Tian’an­men-Liber­té. J. Lang, Wu’er Kaixi, Yan Jia­qi, Li Lu, assistent à l’inauguration.

Le 14 juillet, les deux asso­cia­tions étu­diantes chi­noises CDC et AVRC par­ti­cipent de manière uni­taire au défi­lé du 14 juillet de Goude. L’UECF, pres­sen­tie, refuse d’ap­por­ter son concours. L’o­pé­ra­tion est réus­sie : les étu­diants, graves et solen­nels, créent une forte impres­sion auprès de la foule pré­sente et des télé­spec­ta­teurs qui suivent les fes­ti­vi­tés en direct. Le 18 juillet, la Mai­son chi­noise de la démo­cra­tie (MCD), qui s’est déjà dotée d’un conseil d’ad­mi­nis­tra­tion fran­çais, pré­si­dé par P. Ber­gé et com­po­sé de per­son­na­li­tés intel­lec­tuelles (G.-M. Bena­mou, C. et J. Broyelle, C. Girard, A. Glucks­mann, M. Hal­ter, G. Hert­zog, B.-H. Lévy, Y. Mon­tand, J.-F. Revel, P. Sol­lers, O. Todd, etc.) forme un conseil de direc­tion de quinze per­sonnes, ani­mé exclu­si­ve­ment par les étu­diants chi­nois. Toutes les ten­dances y sont repré­sen­tées puisque ce nou­veau conseil com­prend des étu­diants de la CDC, de l’A­VRC et des étu­diants indé­pen­dants de toute orga­ni­sa­tion qui étaient aupa­ra­vant dans l’UECF. La CDC, tou­te­fois, garde le contrôle du conseil.

Pen­dant les mois de juillet à sep­tembre, la MDC déborde d’ac­ti­vi­tés. Elle devient effec­ti­ve­ment un lieu de ren­contres de tous les étu­diants chi­nois en France. Elle gère effi­ca­ce­ment l’aide pour ceux qui sont à la recherche de loge­ments et de tra­vail, orga­nise des forums de dis­cus­sions avec les lea­ders du mou­ve­ment de Tian’an­men de pas­sage à Paris ou autour de bandes vidéo sur la répres­sion en Chine, des expo­si­tions de pho­tos dans les locaux de la Mai­son ou devant la mai­rie du XVIe arron­dis­se­ment (le 12 sep­tembre), etc.

Les deux asso­cia­tions qui com­posent la Mai­son chi­noise de la démo­cra­tie (CDC et AVRC) arrangent aus­si, en liai­son avec la Fédé­ra­tion pour la démo­cra­tie en Chine, l’im­por­tante com­mé­mo­ra­tion des cent jours du mas­sacre du 4 juin, qui se déroule sur l’es­pla­nade des Droits-de-l’homme, place du Tro­ca­dé­ro. Enfin, la CDC et l’A­VRC par­ti­cipent acti­ve­ment au congrès de la FDC qui se tient du 22 au 24 sep­tembre à la Sor­bonne et à Evry. Li Zhongxun, nou­veau pré­sident de la CDC depuis quelques jours, est élu membre du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de la FDC, où il repré­sente les étu­diants chi­nois en France. Chen Lichuan, de l’A­VRC, est éga­le­ment recru­té comme assis­tant admi­nis­tra­tif par le secré­ta­riat de la FDC. Tou­te­fois, la CDC et sur­tout l’A­VRC inter­viennent doré­na­vant sépa­ré­ment, en dehors du cadre de la MDC.

En effet, le dyna­misme débri­dé des ani­ma­teurs de la MDC cache un cer­tain malaise. La Mai­son, qui se devait d’être diri­gée par un col­lec­tif d’é­tu­diants appar­te­nant à dif­fé­rents cou­rants du mou­ve­ment démo­cra­tique, est gou­ver­née en fait de manière sec­taire par une équipe des plus réduites issue de la CDC à laquelle se sont jointes des per­sonnes dou­teuses qui n’ont rien à voir avec le mou­ve­ment étu­diant en France et qui n’ont de cesse de ficher sys­té­ma­ti­que­ment tous les Chi­nois qui passent par là. Elle est, de plus, pas­sa­ble­ment mani­pu­lée par des groupes-fran­çais d’ex­trême-droite (Ins­ti­tut Schil­ler) et d’ex­trême gauche (MPTT) et elle sert d’exu­toire par où s’é­panche l’a­gi­ta­tion qu’ils entre­tiennent en permanence.

Cette situa­tion ne tarde pas à inquié­ter le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion fran­çais qui exige du conseil de direc­tion chi­nois sta­tu­tai­re­ment mis en place le 18 juillet qu’il se réunisse au com­plet pour expul­ser les acti­vistes fran­çais et chi­nois de tous bords qui infiltrent la MDC et pour nom­mer un pré­sident qui devra for­mer un bureau bipar­tite CDC-AVRC com­po­sé exclu­si­ve­ment d’é­tu­diants chi­nois en France. La réunion de réor­ga­ni­sa­tion a lieu le 30 sep­tembre : Wei Huanz­hong, de l’A­VRC, est élu pré­sident et éta­blit un comi­té per­ma­nent de six per­sonnes dont trois appar­tiennent à la CDC et trois à l’A­VRC. Le Conseil décide en outre de coopé­rer étroi­te­ment avec la FDC et d’or­ga­ni­ser des confé­rences-débats men­suelles sus­cep­tibles de mobi­li­ser à nou­veau la com­mu­nau­té étu­diante chi­noise en France, qui a quelque peu déser­té la MDC au mois de sep­tembre. La pre­mière de ces confé­rences, cen­trée sur la célèbre série télé­vi­sée « Élé­gie au Fleuve », a lieu le 21 octobre, en pré­sence de Su Xiao­kang, réa­li­sa­teur de l’émission.

Le bilan des acti­vi­tés du mou­ve­ment étu­diant chi­nois en France, de juin à octobre 1989, reste rela­ti­ve­ment impres­sion­nant. Nul doute que ses ani­ma­teurs ont su remar­qua­ble­ment pro­fi­ter des dif­fé­rentes occa­sions qui se sont offertes au fur et à mesure du déve­lop­pe­ment des évé­ne­ments. Ils ont fait preuve d’une par­faite tac­tique et d’une bonne maî­trise des médias, ce qui leur a per­mis de sen­si­bi­li­ser les per­son­na­li­tés poli­tiques et intel­lec­tuelles et l’o­pi­nion fran­çaises. Les nom­breuses acti­vi­tés qu’ils ont mon­tées avec un sens réel de l’or­ga­ni­sa­tion ont pu pal­lier un moment la dés­union des divers groupes qui les ont ini­tiées. Mais ces éton­nantes apti­tudes prag­ma­tiques — qui s’ap­pa­rentent incon­tes­ta­ble­ment aux dis­po­si­tions qu’ont mon­trées les lea­ders du mou­ve­ment à Tian’an­men — n’ont pas été relayées par une réflexion politique.

À Paris, comme à Pékin, le mou­ve­ment pro­pre­ment étu­diant n’a pro­duit aucun texte tant soit peu théo­rique sur les évé­ne­ments. D’au­cuns pensent que cette absence déli­bé­rée d’a­na­lyse et de pro­gramme a favo­ri­sé la mobi­li­sa­tion. Sans doute. Les seuls pro­jets poli­tiques aus­tères et bour­sou­flés qui avaient fleu­ri lors du pre­mier Prin­temps de Pékin de 1979 avaient peut-être décou­ra­gé beau­coup de sym­pa­thi­sants éven­tuels. Rien de tel, cette fois-ci, ce qui peut expli­quer la force du mou­ve­ment de 1989.

Mais cette confiance exces­sive dans l’ac­tion et sur­tout dans les seules opé­ra­tions gran­de­ment média­ti­sées, assor­tie de l’im­puis­sance à éla­bo­rer des docu­ments de réflexion, pour­rait main­te­nant han­di­ca­per le mou­ve­ment. Il est temps désor­mais que les asso­cia­tions étu­diantes chi­noises en France cessent de se restruc­tu­rer pério­di­que­ment et qu’elles soient moins tri­bu­taires, dans leurs réac­tions, des effets publi­ci­taires qui res­tent, quels qu’ils soient, tou­jours éphé­mères. Ses res­pon­sables l’ont main­te­nant com­pris et ils sou­haitent consa­crer doré­na­vant leurs efforts à fon­der enfin une publi­ca­tion régu­lière qui sera mieux à même de main­te­nir et de déve­lop­per l’im­por­tant sou­tien dont le mou­ve­ment étu­diant chi­nois en France a béné­fi­cié jus­qu’à présent.

Alain Pey­raube

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    Sur le pre­mier Prin­temps de Pékin de 1979, cf. V. Sidane, le Prin­temps de Pékin, Gal­li­mard (Archives), 1980 ; Huang S., A. Pino, L. Epstein, Un bol de nids d’hi­ron­delles ne fait pas le prin­temps de Pékin</i<, Chris­tian Bour­gois, 1980 ; V. Sidane et W. Zafa­nol­li, Deux pro­cès poli­tiques à Pékin, Fran­çois Mas­pe­ro, 1981 ; Liu Qing, J’ac­cuse devant le tri­bu­nal de la socié­té, Robert Laf­font, 1982.
  • 2
    Cf. l’in­ter­view dans le Monde du 25 mai 1989 des trois lea­ders étu­diants parisiens.
  • 3
    Cf. l’ar­ticle de J.Israël, sino­logue à l’U­ni­ver­si­té de Vir­gi­nie, dans News­week, 29 mai 1989.
  • 4
    Sur le mou­ve­ment étu­diant de l’hi­ver 1986 – 1987, cf. J.-C. Tour­ne­bise et L Mac­Do­nald, le Dra­gon et la sou­ris, Chris­tian Bour­gois, 1987.
  • 5
    Ils seront ain­si plus d’un mil­lier, sur un total de près de trois mille étu­diants chi­nois dis­per­sés dans trente villes de France, à défi­ler du Tro­ca­dé­ro à l’am­bas­sade de Chine. Cinq d’entre eux y seront reçus à l’is­sue du défilé.

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