La Presse Anarchiste

Le point d’interrogation de M. Propter

I. – Définition révolutionnaire

On dis­tin­guait naguère dans la faune poli­tique trois grandes varié­tés d’hommes : les réac­tion­naires, qui pré­ten­daient rame­ner la socié­té à des formes aban­don­nées, les conser­va­teurs, qui trou­vaient excel­lente la forme actuelle de socié­té et la vou­laient voir per­du­rer ; enfin les révo­lu­tion­naires qui, mécon­tents de la forme pré­sente, y dési­raient sub­sti­tuer une orga­ni­sa­tion nouvelle.

Le confu­sion­nisme a chan­gé tout cela en appa­rence, sinon en réa­li­té. Il serait facile de mon­trer que cer­tains « révo­lu­tion­naires » sont ridi­cu­le­ment atta­chés à des tra­di­tions désuètes et à des pré­ju­gés déca­dents. Ceux qu’on traite de « réac­tion­naires » pro­testent et se mani­festent par­fois plus har­dis et plus entre­pre­nants que bien des réfor­ma­teurs en paroles. Enfin, il n’y a plus de « conser­va­teurs » : cha­cun veut avan­cer ou recu­ler, plus per­sonne ne consent à demeu­rer sur place. Les plus amorphes, les plus inertes par nature, mettent un point d’honneur à feindre le dynamisme.

Si nous avons, quant à nous, don­né maintes fois des marques de sym­pa­thie aux « révo­lu­tion­naires », c’est, qu’on veuille bien le croire, parce que nous avions nos rai­sons. En réa­li­té, ce n’est point que nous soyons des fana­tiques de la révo­lu­tion, ni des pro­fes­sion­nels de l’émeute. Loin de là ! Nous avons fré­quen­té des révo­lu­tion­naires qui n’étaient point d’agréables gens, et les périodes révo­lu­tion­naires ne sont pas amu­santes à vivre.

Pas­sion­nés pour le bon­heur de l’humanité, les révo­lu­tion­naires sèment, en de mul­tiples occa­sions, le mal­heur et la ruine autour d’eux ; on les voit com­mettre par­fois des abus redou­tables, et s’exterminer entre eux dans le silence crain­tif des pays ter­ro­ri­sés ; exal­tés par l’idée qui les anime, ils s’imaginent recon­naître en tout ce qui bouge un infer­nal ramas­sis de traîtres et de sus­pects ; et le temps qu’ils ont le pou­voir, tout tremble, c’est un moment noir à pas­ser ! L’histoire a sou­ventes fois connu ces sortes de gens et ces sortes d’heures.

Mal­gré cela, nous n’avons pu renier les aspi­ra­tions révo­lu­tion­naires que nous sen­tions vivaces en nous. Que les hommes qui ont vou­lu chan­ger la socié­té aient été cruels, vin­di­ca­tifs, injustes, ne suf­fit pas à démon­trer péremp­toi­re­ment que la socié­té ne doit pas être modi­fiée. Les tares de la socié­té ne sont pas effa­cées, et elle-même n’est pas absoute, par la condam­na­tion légi­time des excès de ses réformateurs.

Lorsqu’on jette un coup d’œil sur la socié­té humaine en géné­ral, avec ses guerres de plus en plus fré­quentes et de plus en plus meur­trières, ses pro­duc­teurs dépouillés et ses pro­fi­teurs enri­chis ; ses échelles de salaires et de reve­nus qui sacri­fient les cadres aux maîtres et les ouvriers aux cadres ; ici sa théo­cra­tie, là son féo­da­lisme, ailleurs sa tech­no­cra­tie et par­tout son pro­lé­ta­riat ; l’inique dis­tri­bu­tion des biens dont ceux qui en jouissent le mieux sont ceux qui en créent le moins ; enfin ses sys­tèmes moné­taires qui confèrent à toute chose une valeur fic­tive et abou­tissent à ce résul­tat que, faute de quelques bouts de papier pour l’acquérir, toute mar­chan­dise est rare chez le consom­ma­teur même quand elle regorge en maga­sin ; — au pre­mier regard il est aisé de consta­ter qu’il y a là une foule d’anomalies, qu’il faut chan­ger ce qui choque la rai­son et le sens de la jus­tice, qu’il y a mieux à faire enfin ; et consta­ter cela, conclure ain­si, c’est être révolutionnaire.

Qui­conque estime que les contra­dic­tions et les ini­qui­tés sociales sont remé­diables, et qu’il y faut remé­dier, est déjà en puis­sance un révo­lu­tion­naire. Nous sommes donc révo­lu­tion­naires, en ce sens que nous croyons sou­hai­table et pos­sible de sub­sti­tuer à la forme actuelle de socié­té dont nous venons de faire une très brève cri­tique, aisée à com­plé­ter et par­faire, une autre forme de socié­té dont les tares que nous condam­nons soient exclues. Sou­hai­table, c’est cer­tain ; pos­sible, voi­là de quoi l’on dis­cute encore.

II. – La solution serait vite trouvée si l’on voulait s’en donner la peine

Nous affir­mons pour­tant que cela est pos­sible. À la ques­tion : « Pos­sé­dons-nous, connais­sons-nous, en l’état actuel des sciences sociales, les moyens de sup­pri­mer ces graves imper­fec­tions qui per­pé­tuent l’inégalité, l’indigence et la guerre ? » Nous répon­dons sans hési­ter : OUI.

Ici, nous nous abs­tien­drons de mettre en confron­ta­tion les dif­fé­rents sys­tèmes qui se par­tagent de brû­lants adeptes. Tel n’est pas notre but. Une si vaste ambi­tion nous mène­rait trop loin. Nous nous bor­ne­rons à dire ceci : depuis le temps qu’on écrit sur la ques­tion, avec la somme de docu­ments et de pro­po­si­tions qui s’est amon­ce­lée, si l’on vou­lait réca­pi­tu­ler tout cela sans pas­sion et y mettre un peu d’ordre et de clar­té avec un peu de bonne foi et de cou­rage, on déga­ge­rait vite les prin­cipes et les grandes lignes d’un état social nou­veau d’où seraient absentes les ter­ribles infir­mi­tés de la socié­té contem­po­raine avec son contraste de riches et de pauvres, et son alter­nance de mau­vaises paix et de tristes guerres. Pour pro­fondes qu’elles soient, les trans­for­ma­tions poli­tiques (au sens véri­table du mot) que nous sou­hai­tons de voir s’accomplir, le sont moins que les trans­for­ma­tions scien­ti­fiques qui se sont pro­duites depuis un siècle.

Mal­heu­reu­se­ment, rien ne se passe dans le domaine poli­tique comme dans le reste de l’activité humaine. C’est sans secousses appré­ciables que l’homme est pas­sé de la dili­gence au che­min de fer, de la lampe à huile à l’ampoule élec­trique et de la thé­riaque d’Andromaque à la péni­cil­line. En revanche, la moindre modi­fi­ca­tion à ses ins­ti­tu­tions sociales, à ses lois et à ses mœurs, ne s’accomplit qu’avec l’accompagnement de vio­lences hor­ribles, de révo­lu­tions où péris­sent des mil­lions d’innocents accu­sés des crimes les plus noirs, et dans le déchaî­ne­ment des pas­sions exal­tées qui font par­fois redou­ter ces chan­ge­ments poli­tiques, par ceux-là mêmes qui les dési­rent le plus et en recon­naissent la nécessité.

Quoi qu’il en soit, nous pen­sons que l’humanité pos­sède les plans d’une socié­té plus équi­table et pur­gée de ses tares actuelles. Ce n’est pas un rêve extra­va­gant. Des formes absurdes de socié­tés ont été viables, il n’y a aucun motif pour que des formes ration­nelles ne le soient pas. L’empire inca était une pure uto­pie : faire un état cen­tra­li­sé au suprême degré sans avoir inven­té la roue ni appris à tra­vailler le fer, avoir une éco­no­mie diri­gée en l’absence de toute écri­ture, tout cela semble une gageure, et pour­tant cela exis­tait. Pour­quoi donc, au niveau de connais­sance atteint de nos jours, en tous les domaines, ne pour­rait-on, sans pré­somp­tion, envi­sa­ger une socié­té viable, à par­tir des don­nées qui se déga­ge­raient de l’examen de tout ce qui a été pro­po­sé de meilleur, depuis Prou­dhon jusqu’à Jacques Duboin, de Kro­pot­kine au récent article de Lyg publié dans cette même revue ?

Oui, l’humanité pos­sède les plans d’une socié­té sans guerre, sans misère et sans inéga­li­té ; elle en a les coor­don­nées et les épures ; quelques mises au point suf­fi­raient à en dres­ser l’ébauche, et les tech­ni­ciens ne man­que­raient pas plus que les artisans.

III. – La force d’inertie du statu quo

Sup­po­sons réa­li­sée, sinon dans ses moindres détails, du moins dans ses grandes lignes, l’esquisse de cette socié­té meilleure, dont Job, médi­tant sur les maux humains, ne pou­vait rêver, mais qu’il est aujourd’hui per­mis d’espérer pour un ave­nir certes dif­fi­cile à pré­ci­ser encore.

L’expérience que la vie nous a don­née nous porte à croire que, si rai­son­nable que soit la pro­po­si­tion des nova­teurs, elle ne ral­lie­ra qu’une mino­ri­té de sym­pa­thi­sants. Elle aura contre elle les pro­fi­teurs des anciennes injus­tices (très nom­breux, car les déshé­ri­tés abso­lus sont rares, et les petits pro­fi­teurs tiennent tel­le­ment à leurs petits pro­fits qu’ils font volon­tiers cause com­mune avec les gros); elle aura contre elle les scep­tiques, les rou­ti­niers, et le poids mort de ceux qui se laissent mener indifféremment.

En outre, cette rai­son­nable esquisse d’une socié­té meilleure, qu’un tra­vail conscien­cieux pour­rait des­si­ner dès main­te­nant, sera com­bat­tue par ceux qui, tout en étant d’accord sur la néces­si­té de chan­ger le mode social, pré­fé­re­ront un autre plan, et il est à pré­voir que les plans seront mul­tiples. Mais en admet­tant que les nova­teurs, ayant confron­té leurs divers pro­jets, s’accordent pour en adop­ter un qui satis­fasse les uns et les autres, de quels moyens dis­po­se­ront-ils pour en arri­ver à l’application, et pour modi­fier réel­le­ment la socié­té, autre­ment que sur le papier ?

Ils n’auront guère à choi­sir qu’entre la pro­pa­gande et la contrainte, entre la per­sua­sion et la force. Toutes deux pré­sentent, on le sait, des incon­vé­nients graves et des insuf­fi­sances notoires.

IV. – Persuasion par la propagande

Qui croit-on gagner, par la per­sua­sion, à la pro­po­si­tion d’une trans­for­ma­tion sociale ration­nelle ? Ni les indif­fé­rents, ni les pes­si­mistes, ni les para­sites, ni les bla­sés, ni les rou­ti­niers ne se lais­se­ront enthou­sias­mer ou convaincre spon­ta­né­ment, et moins encore ceux qui tirent avan­tage des imper­fec­tions du monde de maintenant.

L’attention des masses est aujourd’hui sol­li­ci­tée, cap­tée, rete­nue par des pro­pa­gandes magis­trales avec les­quelles il est dif­fi­cile de riva­li­ser ; quand un mee­ting abon­dan­ciste ou liber­taire réunit quelques cen­taines d’auditeurs, c’est un triomphe ines­pé­ré ; mais les foules se déplacent de cent kilo­mètres en camion pour entendre M. Jacques Duclos, et des mil­liers de fidèles accourent, quel­que­fois d’au delà des mers, aux grands pèle­ri­nages reli­gieux. Ceux qui sont per­sua­dés que la vie par­faite est dans l’au-delà, ceux qui sont convain­cus qu’elle se construit dans le com­mu­nisme auto­ri­taire, bref, pour nous, occi­den­taux, les deux grands par­tis qui se par­tagent les consciences, le spi­ri­tua­liste qui prêche l’imitation de Jésus-Christ, et le maté­ria­liste qui prône l’imitation de la Rus­sie, tous ceux-là n’adopteront point le sys­tème nou­veau de socié­té idéale, puisqu’ils sont sûrs de l’avoir déjà trou­vé. Ils ont, et se dis­putent, l’audience de la presque tota­li­té du peuple, les indif­fé­rents mis à part. Les chaires et les tri­bunes sont donc déjà très occu­pées ; ce n’est que par sur­prise que Gar­ry Davis put jouir quelques ins­tants du micro­phone de l’O.N.U.

Il arri­ve­rait ce qui est arri­vé cent fois : il naî­trait un nou­veau jour­nal, ou une nou­velle revue, qui recueille­rait les abon­ne­ments des cama­rades mille fois tapés et depuis trente ans convain­cus ; un ou deux ora­teurs iraient par le pays faire leurs petits Sébas­tien Faure, et, après le mee­ting, on pas­se­rait la moi­tié de la nuit à bavar­der avec le copain qu’on remet­trait dans le train le len­de­main matin avant de retour­ner tra­vailler pour une socié­té qui n’aurait pas chan­gé d’un poil. Les rou­ti­niers res­tent dans leur tra­di­tion, les imbé­ciles dans leur indif­fé­rence et les coquins dans leur hos­ti­li­té, avec l’appui sem­pi­ter­nel que leur apportent les médiocres.

S’il est aisé de faire recon­naître à tous que la socié­té est mal faite (qui donc n’a quelque grief contre une, au moins, de ses ins­ti­tu­tions?), par contre, il est dif­fi­cile de faire admettre à beau­coup qu’il faille en chan­ger la struc­ture, et presque impos­sible de faire pas­ser à l’action ceux qui n’en sont pas satis­faits ; enfin, le jour où l’on y par­vient, cette action ne réa­lise jamais le but qu’elle eût dû se fixer, et, déviée, n’aboutit qu’à un résul­tat néga­tif et à un avor­te­ment pur et simple.

V. – Conversion par la force

II y a, évi­dem­ment, les moyens de contrainte et de force. Il est super­flu de nous étendre sur les rai­sons pour les­quelles ils nous sont anti­pa­thiques. Ils devraient n’être pas néces­saires. En réa­li­té, ils appa­raissent comme presque inévi­tables, à qui­conque n’a pas d’illusions sur la psy­cho­lo­gie de l’être humain.

Chaque fois qu’une forme sociale s’est sub­sti­tuée à une autre, la résis­tance de cette der­nière a pro­vo­qué des phé­no­mènes de vio­lence de la part de celle-là. En outre, bien que ce soit un acte d’autorité tout à fait abu­sif que d’imposer un régime à des gens qui n’en veulent pas, il convient de faire remar­quer que cer­tains ne s’inclinent que devant le fait accom­pli. La conver­sion des Saxons au chris­tia­nisme aurait été beau­coup plus longue si les sou­dards de Char­le­magne ne s’en étaient mêlés. Il existe une foule d’êtres amorphes dis­po­sés à consen­tir à n’importe quoi, pour­vu que cela soit déjà une réa­li­té. Cha­cun de nous pour­rait citer mille per­sonnes, autour de soi, qui ne veulent pas du géné­ral de Gaulle comme dic­ta­teur, ni du com­mu­nisme comme régime poli­tique, tant que l’un et l’autre demeurent dans le domaine des éven­tua­li­tés et des pro­po­si­tions, mais qui sont prêtes à accla­mer demain l’un ou l’autre, si les évé­ne­ments donnent le pou­voir à ce régime ou à ce dic­ta­teur. Ces mille per­sonnes accep­te­raient aus­si pas­si­ve­ment les ins­ti­tu­tions d’une socié­té anar­chiste ; ces per­sonnes les condamnent tant qu’elles n’existent qu’en théo­rie ; le jour où elles fonc­tion­ne­raient après s’être ins­tau­rées par la force révo­lu­tion­naire, ces mêmes per­sonnes s’y ral­lie­raient immédiatement.

Cette dis­po­si­tion d’une large par­tie de la masse à n’accepter une forme sociale qu’une fois qu’elle est réa­li­sée, et à la com­battre tant qu’elle n’est que pro­po­sée, jus­ti­fie la ten­ta­tion des nova­teurs de triom­pher par l’autorité et la contrainte des obs­tacles qui les empêchent de trans­for­mer la société.

Pour ces diverses rai­sons, il est donc à peu près inévi­table que toute trans­for­ma­tion sociale s’accompagne de coer­ci­tion. Ce n’est pas drôle ; nous tom­bons alors dans ces périodes funestes que j’évoquais plus haut, périodes de sus­pi­cion, d’arbitraire, d’insécurité, voire de ter­reur, où les méfaits des pas­sions et des fai­blesses humaines voilent, éclipsent, ensan­glantent et souillent l’idée pure et le but lumineux.

La force ! En la voyant se déchaî­ner, fût-ce au pro­fit d’une révo­lu­tion juste, fût-ce au nom d’une trans­for­ma­tion heu­reuse du sort com­mun, qui donc croi­ra que ses inten­tions sont loyales et cou­ra­geuses, qu’elle aspire, cette fois, à ins­tau­rer un ordre équi­table pour tous ? La force res­semble étran­ge­ment à la force. On l’a vue s’imposer pour asseoir des dic­ta­tures, pour réta­blir des pri­vi­lèges, pour usur­per des trônes, pour oppri­mer des peuples. Qui donc sup­po­se­ra qu’à l’encontre de tant de pré­cé­dents, elle vien­dra, cette fois, ren­ver­ser les domi­na­tions dolo­sives, sup­pri­mer les inéga­li­tés, libé­rer ceux qui sont dans les chaînes de l’obéissance et de la pau­vre­té ? Qui donc, l’ayant vue faire tant de mal, se per­sua­de­ra que, cette fois, ce qu’elle fait, elle le fait pour le bien ?

Et puis, cette force, com­ment la conqué­rir ? Au XIIIe siècle, et au XIXe, quelques piques, ou quelques fusils, clan­des­ti­ne­ment dis­tri­bués aux ouvriers ou aux pay­sans, les met­taient à éga­li­té avec la troupe. De nos jours, l’infériorité pro­lé­ta­rienne serait si mani­feste qu’une telle méthode s’avérerait déri­soire. Les théo­ri­ciens, ou les pro­fes­sion­nels, de la révo­lu­tion, ne recon­naissent plus qu’un moyen : se ser­vir de l’armée elle-même, pour faire triom­pher un mou­ve­ment. Or, depuis long­temps, le pro­jet de conqué­rir l’armée par le noyau­tage et la pro­pa­gande, ancien bobard socia­liste, a ter­mi­né sa car­rière de mythe. Un seul concept sub­siste : pour avoir l’armée qui obéit, il faut pou­voir lui com­man­der ; et pour com­man­der à l’armée, il faut pos­sé­der le gouvernement.

Qui­conque a adop­té ce point de vue doit en accep­ter les consé­quences : par­ti­ci­pa­tion à l’électoralisme, subor­di­na­tion de toute atti­tude à l’éventualité poli­tique, affir­ma­tion de la notion d’État ; et à par­tir de ce moment, la plus grande par­tie du pro­gramme révo­lu­tion­naire est aban­don­née, car l’État ne peut sup­pri­mer les domi­na­tions pri­vées que pour s’y sub­sti­tuer, les « trus­ter » à son avan­tage, les natio­na­li­ser à son pro­fit – c’est-à-dire au pro­fit de nou­velles classes d’exploiteurs rele­vant direc­te­ment de lui ; l’État peut abattre le capi­ta­lisme des consor­tiums et des banques pour le rem­pla­cer par celui de ses minis­tères et de ses bureaux ; en revanche, il doit, s’il veut régner (et tout État cherche, non à se dis­soudre pro­gres­si­ve­ment, mais à domi­ner sans cesse davan­tage), favo­ri­ser une classe sur laquelle il s’appuie au détri­ment de la masse tou­jours sacri­fiée. En résu­mé, une telle aven­ture, presque néces­sai­re­ment, abou­tit à l’échec du pro­gramme révo­lu­tion­naire ini­tial, qui n’est pas de trans­for­mer le capi­ta­lisme ou de dépla­cer les pri­vi­lèges sociaux, mais de faire ces­ser les inéga­li­tés et la misère, et de sup­pri­mer le prolétariat.

VI. – Raisons d’espérer pourtant

La méthode de per­sua­sion échoue­ra-t-elle tou­jours ? Si nous en avions la cer­ti­tude, nous ces­se­rions dès aujourd’hui de par­ler autour de nous, d’écrire autour de nous, de pro­pa­ger nos convic­tions. Non ! la per­sua­sion, si elle ne fait pas de miracles, n’ est pas non plus inactive.

Tout au début de novembre, j’entendais à la radio un expo­sé d’une haute per­son­na­li­té sur l’éducation sexuelle ; d’un ton très natu­rel, l’orateur expli­quait qu’une enquête avait été menée sur l’opportunité d’enseigner l’éducation sexuelle à l’école, que le rap­port était posi­tif et favo­rable, que les moyens de pas­ser à l’application étaient à l’étude au minis­tère, qu’enfin l’hypothèque allait être levée, grâce à ce nou­vel ensei­gne­ment et à une péda­go­gie appro­priée, sur le pré­ju­gé péri­mé et néfaste atta­ché à cette déli­cate matière.

J’étais à la fois sur­pris et heu­reux. Il y a vingt, il y a dix ans, 99 pour cent des par­ti­sans de l’éducation sexuelle étaient des anar­chistes. Ce n’était pas, de notre part, une façon de nous sin­gu­la­ri­ser ; nous avons tou­jours appuyé les idées d’avant-garde sans accor­der à cela une impor­tance extra­or­di­naire. Mais que l’éducation sexuelle soit aujourd’hui prise au sérieux au point qu’on en dis­cute à la radio et qu’on l’étudie dans les minis­tères, auto­rise bien les modestes mili­tants de nos milieux à éprou­ver quelque satisfaction.

Qu’importe si demain, lorsque l’éducation sexuelle à l’école sera deve­nue un fait accom­pli, le monde oublie que nos pauvres revues, impri­mées grâce aux sous­crip­tions des copains, ont été les pre­miers véhi­cules de l’idée main­te­nant triom­phante ! Qu’importe si l’on dresse des sta­tues au ministre qui l’aura réa­li­sée, alors que les noms de Jean Mares­tan et d’Eugène Hum­bert ne seront plus pro­non­cés que par quelques ini­tiés et par quelques incon­nus ! L’essentiel, c’est que la per­sua­sion ait fait son œuvre.

Eh bien ! soyez heu­reux, mes cama­rades, et soyez fiers : elle fait son œuvre mal­gré tout. On peut railler nos revues confi­den­tielles, nos feuilles de chou irré­gu­lières, nos bul­le­tins qui res­tent des mois sans paraître lorsque les copains sont fau­chés. N’empêche que les opi­nions que nous émet­tons che­minent, parce qu’elles n’empruntent rien au men­songe ambiant, à l’obscurantisme offi­ciel, à la tra­di­tion conser­va­trice, et ne se sou­cient que de bon sens, de rai­son et de vérité.

Nos opi­nions sur l’éducation sexuelle, nos opi­nions sur l’abondance et le pau­pé­risme, nos opi­nions sur la paix et le refus de faire la guerre, pro­gressent et pro­gres­se­ront insen­si­ble­ment et irré­sis­ti­ble­ment. Quand elles triom­phe­ront, le monde les trou­ve­ra toutes natu­relles, et croi­ra les avoir tou­jours par­ta­gées : ça ne fait rien ! Le monde se sou­vien­dra vague­ment de les avoir lues jadis dans quelque gazette oubliée, et croi­ra que c’était dans Le Figa­ro, dans La Croix ou dans L’Illustration… Ça ne fait rien !

Ça ne fait rien, parce que… qu’est-ce que ça peut nous faire ? En avons-nous atten­du quelque récom­pense, espé­ré quelque dis­tinc­tion ? Que Tru­man et Sta­line léga­lisent l’objection de conscience et qu’on leur flanque la Légion d’honneur, ça nous ferait bigre­ment plai­sir ! Et qu’on oublie que les pre­miers objec­teurs qui exis­tèrent, c’est nous, nous nous en fichons pas mal !

Il n’est donc pas vrai que toute ten­ta­tive de per­sua­sion soit vaine.

Quant aux vio­lences révo­lu­tion­naires, qu’en dire qui n’ait été dit déjà ? Pour pou­voir les légi­ti­mer et y consen­tir, il fau­drait que la vio­lence ne soit pas aveugle et qu’elle soit féconde. Dans la mesure où cette double condi­tion est rem­plie, notre sévé­ri­té à son égard se nuance d’indulgence, et nous en arri­vons à admettre que si la fin ne doit pas jus­ti­fier les moyens, du moins il serait exces­sif qu’au choix des moyens la fin fût conti­nuel­le­ment sacri­fiée. Mais la vio­lence est rare­ment féconde et presque tou­jours aveugle. Celui qui la prêche en théo­rie fera triste figure demain si elle s’abat sur lui… en réa­li­té ! Certes, je le sais, rien n’est abso­lu ; moi-même, je suis rem­pli de sym­pa­thie pour les clan­des­tins espa­gnols qui, chez Fran­co, pro­vo­qués par la ter­reur gou­ver­ne­men­tale que nous exé­crons comme eux, y répondent par des atten­tats où ils risquent leur vie ; les vio­lences qu’ils exercent sont entiè­re­ment excu­sées par celles qu’ils subissent. Cepen­dant, cette excuse locale et épi­so­dique n’équivaut pas à une légi­ti­ma­tion per­ma­nente, ni à une valeur uni­ver­selle. C’est un para­doxe que de vou­loir faire sur­gir de la vio­lence un monde apai­sé d’où la vio­lence sera exclue.

VII. – Ceux qui nous intéressent

Ceci dit, la sub­sti­tu­tion d’un état social gué­ri des tares actuelles à l’état social d’à‑présent nous appa­rais­sant comme réel­le­ment sou­hai­table et comme théo­ri­que­ment pos­sible, ce serait une naï­ve­té de croire que cette sub­sti­tu­tion va s’accomplir d’un moment à l’autre.

En effet, l’évolution due à la dif­fu­sion des idées est déses­pé­ré­ment lente, et la trans­for­ma­tion sou­daine de la socié­té par voie de convul­sion tra­gique s’avère pro­blé­ma­tique et dou­teuse. Il faut donc savoir attendre, au sein d’un monde dont nous savons curables les dou­lou­reuses infir­mi­tés, et à qui nous sommes impuis­sants à faire adop­ter les remèdes qui l’en affranchiraient.

Il y a plu­sieurs façons d’attendre. Celle de Joseph Prud­homme et celle de Paul Rous­sencq. Toute ma sym­pa­thie va à celui-ci, tout mon mépris à celui-là. Mais je ne sau­rais conseiller à per­sonne d’imiter un modèle inac­ces­sible et dra­ma­tique, il y a une limite à garder.

Lais­sons de côte l’embourgeoisé qui admet que la socié­té a ses maux, et choi­sit de n’y jamais pen­ser pour être sûr de dor­mir tran­quille, et se joint aux pri­vi­lé­giés afin de par­ta­ger leurs faveurs, et se tient à l’écart des reven­di­ca­teurs dont les malé­dic­tions lui sont désa­gréables. Nous n’appartenons pas à son espèce, nous n’avons rien à faire avec lui.

Ceux qui nous inté­ressent, ce sont ceux qui n’ont pas étouf­fé la révolte inté­rieure que les injus­tices sociales ont sou­le­vées en eux à l’époque où ils ont, pour la pre­mière fois, jeté les yeux sur la condi­tion humaine avant que la vie les eût clas­sés et leur eût impo­sé des responsabilités.

Ceux qui nous inté­ressent, ce sont ceux qui ne regardent pas la socié­té comme suf­fi­sam­ment confor­table le jour où ils ont une salle à man­ger et leur femme un man­teau de four­rure, alors que des cen­taines de mil­liers d’ouvriers vivent avec 10.000 francs par mois, alors que le tra­vailleur est obli­gé, à sa sor­tie de l’atelier, d’aller recom­men­cer sa jour­née au jar­din s’il pré­tend man­ger à sa faim, alors que nos villes se com­posent de maga­sins où les mar­chan­dises regorgent et de mai­sons par­ti­cu­lières rem­plies d’« éco­no­mi­que­ment faibles ».

Ceux qui nous inté­ressent, ce sont ceux qui estiment qu’au niveau de pro­duc­tion, au degré d’abondance où les hommes sont par­ve­nus, la sup­pres­sion de la condi­tion pro­lé­ta­rienne doit aller de pair, ins­tan­ta­né­ment, avec celle de l’exploitation capi­ta­liste, et que le socia­lisme doit leur appor­ter plus – et non pas moins – de com­mo­di­tés et d’avantages, plus – et non pas moins – de liber­té indi­vi­duelle et de maté­rielle aisance, en leur deman­dant, plus de res­pon­sa­bi­li­té peut-être, mais à coup sûr moins de tra­vail, que la socié­té bourgeoise.

Ceux qui nous inté­ressent, ce sont ceux qui condamnent les excès du monde pré­sent, ses inéga­li­tés dans ce qu’il réclame des hommes et dans ce qu’il leur pro­cure, et les illu­sions d’un monde futur où, jus­ti­fiés par d’autres pré­textes, main­te­nus au nom d’autres sophismes, per­du­re­raient les mêmes excès et les mêmes inégalités.

Tous ceux-là attendent, et nous atten­dons avec eux, et il se peut que des régimes passent et se suc­cèdent, dont cer­tains emprun­te­raient peut-être notre ter­mi­no­lo­gie et nos argu­ments, sans qu’eux et nous ces­sions de faire autre chose que d’attendre, dans l’impossibilité et dans le déses­poir de don­ner notre adhé­sion à des formes de socié­té qui n’auraient fait ces­ser l’exploitation de l’homme par l’homme que dans leurs affir­ma­tions, non dans les faits.

Car, de même que la répu­blique a main­te­nu toutes les inéga­li­tés sociales en ins­cri­vant le mot « Éga­li­té » dans sa devise, de même nous nous méfions à l’avance de formes de socié­tés à carac­tère éta­tique qui, tout en se tar­guant d’avoir éman­ci­pé le tra­vail et affran­chi l’homme, les cour­be­raient sous une loi d’airain plus impla­cable que celles des vieux asservissements.

VIII. – « On ne peut pas guérir ceux qui refusent de se soigner »

Cette pers­pec­tive d’attendre ain­si peut-être toute une vie, peut-être des géné­ra­tions, et peut-être même jusqu’à la consom­ma­tion des siècles, incite l’homme qui réflé­chit, après qu’il a don­né sa pré­fé­rence et son adhé­sion à un plan de réforme sociale, à se construire une phi­lo­so­phie indi­vi­duelle qui vau­dra pour lui tant que ce plan à échéance loin­taine – et non seule­ment loin­taine, mais pro­blé­ma­tique – ne sera pas réa­li­sé, et à confor­mer son atti­tude dans la mesure où c’est pos­sible à cette norme de conduite, qui peut être hau­te­ment morale.

Fait pour vivre en socié­té, il ne se retranche pas des êtres de son espèce, ce qui serait un com­por­te­ment anti­so­cial rele­vant de la patho­lo­gie. Je sais bien que le végé­ta­rien s’applaudit d’être indé­pen­dant du bou­cher et de l’éleveur ; l’homme qui ne va pas au ciné­ma l’est des acteurs et des mar­chands de films ; en pous­sant les choses un peu loin, on dira que l’homme chaste, ou l’homme qui se mas­turbe, est indé­pen­dant des femmes, c’est-à-dire de la moi­tié du genre humain. Je ne crois pas qu’il soit pos­sible, ni sou­hai­table, de voir se géné­ra­li­ser ces atti­tudes, mais pas­sons. Je pose en pos­tu­lat que l’homme est fait pour vivre en socié­té ; mais si la socié­té où il vit offre des ano­ma­lies dont il souffre, il est nor­mal qu’il aspire a les sup­pri­mer ; et s’il n’y par­vient pas, soit que les par­ti­sans de ces ano­ma­lies dis­posent de trop de puis­sance, soit que les autres vic­times s’en accom­modent avec rési­gna­tion, s’en réjouissent avec aveu­gle­ment ou soient inha­biles à les faire ces­ser, cet homme qui a pas­sé par les stades de la médi­ta­tion, puis de l’expérience, puis de la ten­ta­tive, puis de l’échec, en gar­de­ra une impres­sion pro­fonde qui déter­mi­ne­ra en lui, par l’enseignement acquis, une évo­lu­tion de sa per­son­na­li­té morale.

Il ne rai­son­ne­ra plus tout à fait de la même façon. Sans ces­ser de juger le pro­blème des masses, il consi­dé­re­ra de plus près celui de la per­sonne humaine, et le sien propre, celui de son atti­tude en face de la socié­té, en face des ano­ma­lies qu’il dénonce et ne peut chan­ger, et en face des innom­brables vic­times – comme lui – de ces ano­ma­lies qui, au contraire de lui, s’abstiennent de les dénon­cer et semblent les regar­der comme salu­taires et bien­fai­santes. Effrayé du nombre de gens qui tra­vaillent à la péren­ni­té des maux sociaux dont ils souffrent – telle la hié­rar­chie des salaires, dont tout le monde pâtit et dont presque tout le monde, en régime socia­liste comme en régime capi­ta­liste, est par­ti­san – il en vien­dra à se dire ce que se dit M. Prop­ter dans le roman d’Aldous Hux­ley, inti­tu­lé Jou­vence :

« On ne peut rien faire d’efficace pour quelqu’un s’il ne veut pas ou ne peut pas col­la­bo­rer en fai­sant ce qui convient. Par exemple, il FAUT secou­rir les gens qui sont fau­chés par le palu­disme. Mais dans la pra­tique, on ne peut pas les secou­rir s’ils refusent de mettre des mous­ti­quaires à leur fenêtre et s’ils veulent à toute force se pro­me­ner au cré­pus­cule à proxi­mi­té d’une eau stag­nante. Il en est exac­te­ment de même des mala­dies de l’État. Il faut secou­rir les gens s’ils se trouvent en face de la mort, ou de la ruine, ou de l’esclavage, s’ils sont sous la menace d’une révo­lu­tion sou­daine ou d’une lente dégé­né­res­cence. Il faut les secou­rir. Mais le fait n’en demeure pas moins qu’on ne peut rien pour eux s’ils per­sistent dans la ligne de conduite qui a été à l’origine de leurs mal­heurs. Par exemple, on ne peut pas pré­ser­ver les gens des hor­reurs de la guerre s’ils ne veulent pas renon­cer aux plai­sirs du natio­na­lisme. On ne peut pas les sau­ver des crises et des dépres­sions éco­no­miques, tant qu’ils conti­nuent à écha­fau­der tout leur sys­tème de pen­sée sur l’argent, et à consi­dé­rer l’argent comme le bien suprême. On ne peut pas empê­cher la révo­lu­tion et l’esclavage s’ils sont achar­nés à iden­ti­fier le pro­grès avec l’accroissement de la cen­tra­li­sa­tion, et la pros­pé­ri­té avec l’intensification de la pro­duc­tion en série. On ne peut pas les pré­ser­ver de la folie et du sui­cide col­lec­tifs s’ils per­sistent à rendre les hon­neurs divins à des idéaux qui sont sim­ple­ment des pro­jec­tions de leurs propres personnalités. »

Et M. Prop­ter continue :

« Les habi­tants de tous les pays civi­li­sés sont mena­cés ; tous dési­rent pas­sion­né­ment être sau­vés du désastre mena­çant ; l’écrasante majo­ri­té d’entre eux refusent de modi­fier les habi­tudes de pen­sée, de sen­ti­ment et d’action qui sont direc­te­ment res­pon­sables de leur piteuse situa­tion actuelle. On ne peut pas les secou­rir, parce qu’ils refusent de col­la­bo­rer avec tout indi­vi­du qui, pour les aider, pro­pose un pro­ces­sus d’action ration­nel et réa­liste. Dans ces condi­tions, que doit faire celui qui vou­drait les secourir ? »

Ce point d’interrogation est l’un des plus for­mi­dables que la per­plexi­té des hommes tour­mentes et médi­ta­tifs voie se pro­fi­ler sur leur hori­zon téné­breux. Bien qu’il pose le pro­blème du salut col­lec­tif du genre humain, il ne peut rece­voir que des réponses indi­vi­duelles. Cha­cun donne sa réponse selon son tem­pé­ra­ment. « Il faut faire quelque chose », répond éva­si­ve­ment l’interlocuteur de M. Prop­ter. Et M. Prop­ter accen­tue son scepticisme…

M. Prop­ter a évi­dem­ment rai­son. Dans les reven­di­ca­tions des dockers en grève, qui lut­taient pour l’amélioration de leurs condi­tions d’existence, figu­rait récem­ment celle-ci : « hié­rar­chie des salaires ». Voi­là des ouvriers qui se plai­gnaient à bon droit d’être trop pauvres, mais qui récla­maient tout de même que, par­mi eux, il y eût trois, quatre, ou dix caté­go­ries de sala­riés payés sur des bases dif­fé­rentes. Quand on sait que, sans l’égalité éco­no­mique, il y aura tou­jours des « plus pauvres » exploi­tés par des « moins pauvres », on ne peut que conclure que les dockers pro­po­saient, pour gué­rir de leur pau­vre­té, le moyen même qui la pro­voque. Une autre fois, nous avons vu des anciens com­bat­tants, au cours d’une mani­fes­ta­tion en faveur de la paix, se bagar­rer avec la police pour obte­nir le droit de défi­ler dra­peaux aux vents, médailles sur la poi­trine, et d’aller rani­mer la « Flamme» ; pure folie, quand on sait que la paix ne se réa­li­se­ra que si l’on aban­donne les médailles, que si l’on renie les dra­peaux, que si l’on renonce aux défi­lés, et quand on sait que c’est là le pre­mier sacri­fice qu’elle exige. Qui donc croit méri­ter la paix sans quelque sacrifice ?

À la ques­tion de M. Prop­ter, cha­cun répond selon son ins­pi­ra­tion, selon son carac­tère, selon sa foi, son dyna­misme ou son cœur. M. Prop­ter lui-même se répond d’une façon qui lui est toute per­son­nelle. Les uns répondent en écri­vant, d’autres en par­lant, d’autres se contentent de pen­ser et se taisent. Tous attendent.

Tous, inac­tifs ou infa­ti­gables, attendent, ceux-ci muets, ceux-là toni­truants ; les uns sont dans une tour d’ivoire ou une thé­baïde, les autres dans les mee­tings pleins de tumulte et de pas­sion ; il y en a qui sont des saints et qui pleurent en pri­son, d’autres qui sont des illé­gaux et qui vont per­dus dans la foule. L’humanité leur jette par­fois des pierres qui, hélas ! les atteignent, en récom­pense des pen­sées qu’ils lui ont jetées et qui, elles, ont man­qué leur but.

Pierre-Valen­tin Berthier


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