Depuis quelques temps un homme d’esprit s’était révélé, un homme d’esprit doublé d’un moraliste.
Les journaux, à l’exception de Paris-Soir n’en n’ont pas causé, la chose pourtant vaut qu’on en parle, dussent Messieurs Vautel et Prax arguer de leur monopole d’humour parisien et d’esprit français.
Tel commerçant recevait une lettre assurant qu’il n’avait pas jouissance exclusive des charmes de son épouse.
Peu après, comme justement la présumée coupable venait de sortir pour des emplettes, un gamin apportait un billet : « Pour constater votre infortune conjugale allez de suite, tout près d’ici, à telle adresse, faites vite ».
Notre Barthollo, abandonnant ses épices ou sa cotonnade, se ruait aussitôt vers l’hôtel prochain, où se consommait l’adultère.
D’adultère point.
Mais à son retour le brave patenté, n’ayant fermé sa porte qu’au bec de cane, constatait l’effraction de son tiroir-caisse et la disparition de ses meilleurs « articles ».
Sans préjudice, bien entendu, des éclats d’une scène familiale.
Ce petit drame eut un succès prodigieux et se jouerait encore, si des coïncidences malheureuses n’avaient révélé le nom du metteur en scène.
Dommage, car cette façon d’estamper la propriété en narguant la jalousie conjugale était jolie autant qu’ingénieuse.
Au reçu d’une lettre anonyme, braves gens, demandez-vous lequel est préférable de venger son honneur outragé ou de « veiller au gain ».
Et que c’est peu élégant d’être ainsi jaloux, le vaillant prince héritier (?) d’Italie se montre discret fiancé et sera sans doute aussi discret époux, Mussolini d’ailleurs aura droit de jambage, gardera-t-il sa chemise noire à cette occasion ? Je ne sais moins ce qui est plus certain c’est qu’il n’est pas près d’aller en Belgique ni en France : il donnera plutôt procuration au roi.
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Pour parler de choses plus sérieuses causons d’«Ombres blanches » : c’est un film étonnant et qui donne à penser je ne parlerai ni des documents photographiques non plus que de l’idée générale : le rôle joué par les blancs colonisateurs et l’exploitation, jusqu’à la mort, d’une race par une autre : illustration des récits d’André Gide et de maints explorateurs.
Une série d’images anime la vie des pécheurs de perles océaniens et montre les dangers perpétuels auxquels ils sont livrés : accidents organiques : cogestions, hémorragies pulmonaires, menace latente de la jungle sous-marine et enfin la tuberculose, qui les décime, comme leurs frères des pêcheries d’éponges méditerranéennes, et tuera ceux qu’auront épargné les ruptures d’artères ou les mâchoires des requins.
Parallèlement, au son d’un orchestre indigène, les blancs boivent, dansent et jouent. Entre un poker et un shimmy ils font des « affaires » : comprenez qu’ils s’occupent à rationaliser l’alcoolisation et le travail des pêcheurs auxquels ils enlèvent à des taux plus ou moins dérisoires les rares perles assez belles pour être dignes d’aller un soir orner la viande de luxe orgueil des millionnaires.
Les perles ainsi ne font que changer d’huîtres !
Ce n’est pas tout.. cependant : lorsqu’on songe que, pour satisfaire leur vanité, ces gens payent, des millions de francs, les lourds colliers qui concrétisent tant de souffrances et d’agonies humaines et qu’ils sont respectés, admirés, honorés, quelle attitude, pour être logique, faudra-t-il avoir à l’égard de celui qui, non plus par vanité mais au nom de son droit à la vie et face aux légitimes nécessités économiques et sexuelles, mettra la main sur le collier de cette femme, fut-ce par la violence et du-t-il la laisser refroidir dans son sang coagulé ?
— Mais vous faites l’apologie du meurtre !
— Ha ! là ! là ! l’apologie du meurtre ! Parlons-en ou plutôt, non, j’ai quelque chose de mieux à vous offrir. Tenez : voici qui sent la chair fraîche :
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Buffalo, 15 novembre :
Sept bandits masqués ont fait irruption dans une salle à manger où dix-huit personnes appartenant à la haute société célébraient les fiançailles de M. Courtland Vanclief et de Miss Eleanor Cameron.
Les bandits, après s’être emparés de deux des invités qui croyaient à une plaisanterie, les assommèrent, firent ranger tous les convives ainsi que les domestiques le long des murs et le chef de la bande rafla tous les bijoux, les objets précieux et l’argent qu’il put trouver. Puis les bandits s’enfuirent avec leur butin, évalué à dix millions de francs, dont un collier appartenant à la mère de la fiancée et estimé à lui seul sept millions.
C’est le troisième attentat dirigé contre la haute société, qui se produit en une seule semaine.
L’oncle de la fiancée a offert une récompense de 125 000 dollars pour la capture des bandits vivants ou une récompense double à qui ramènera leurs cadavres.
Tous les chasseurs d’hommes amateurs et professionnels à cette bonne nouvelle, ont du vérifier leurs barillets ou leurs chargeurs : six millions deux cents cinquante francs pour assassiner sept personnes : près d’un million par tête ! Ces sept cadavres consoleront un peu de la perte de son collier cette pauvre Madame Cameron et le généreux « oncle de la fiancée » en l’occurrence, s’est montré galant homme…
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« Et pourtant, comme dit Goethe, ce sont de braves gens » !
Encore des braves gens ceux-là qui, le onze courant, faisaient l’apologie du crime : en jaquette, uniforme ou soutane ils regardaient dévotement brûler de l’alcool éthylique : là-dessous une charogne anonyme achève de se décomposer :
Leur victime !
Et, graves augures, s’ils ne riaient pas c’est qu’ils songeaient avec mépris, avec dégoût : « où le père a passé, passera bien l’enfant » !
Cependant à Jouy-en-Josas gros scandale : dans la nuit une main avait tracé en travers du monument aux morts en lettres ronges : À BAS LA GUERRE.
« L’Œuvre » appelle cela du vandalisme : allons, si les Vandales eux-mêmes sont touchés par la grâce de Locarno…
N’importe c’était impressionnant cette commémoration : Sonneries des cloches, discours, coups de canons, banquets… et puis ce beau soleil ! Vraiment tout le monde était joyeux. Il n’y eut qu’une protestation, inaperçue d’ailleurs, la voici :
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Morte de misère
On a envoyé à l’Institut médico-légal le cadavre de Mme Mélanie Leroux, âgée de 50 ans, sans profession ni domicile, trouvée morte de misère sous le pavillon n°12 des Halles centrales.
N’importe, voici le menu des adorateurs de la flamme Melon d’Alicante
Homard soufflé New-Burg
Coq au vin rouge
Truffes sous la cendre
Becfigue en chaud-froid
Salade russe
etc…
etc…
Le Montrachet et le Romanée-Conti ont arrosé ce menu… et qu’on ose aller dire après cela qu’on meurt de misère ! Mais le gouvernement devrait éviter ces tirs d’honneur : il peut avoir besoin de cette poudre quelque jour contre l’ennemi de dehors ou du dedans sans parler des dangereuses associations d’idées que ces explosions font naître, peut-être, dans certains esprits…
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Hum ! disons plutôt, pour finir sur un lieu commun, que l’alcool est redoutable, l’alcool tue et pas seulement ceux qui le consomment mais les marchands eux-mêmes. Une statistique de la ligue antiprohibitionniste nous apprend que le nombre des victimes, tuées par les agents de la police prohibitionniste américaine, est de mille ! Perplexité : quel fléau est le plus redoutable : l’alcool ou la police ?
Le créateur de la « Sûreté Générale » s’en est allé sans eau bénite, mais tous les agents de l’autorité ont fait acte de présence : le « premier flic de France » a été enfoui par les gardes. mobiles et les gendarmes.
Si la balle de Cottin l’avait jadis mieux touché il serait depuis longtemps putréfié et n’aurait pas souffert de ces douloureuses coliques qui l’ont enlevé à notre affection : regrettons-le pour lui comme pour nous.
Nos vaillants journalistes n’ont pas fini de tresser des guirlandes au sinistre « père la victoire » qu’ils s’indignent bruyamment : douze braves jurés, à Versailles, acquittèrent le père de famille qui, nouveau Brutus, tua son fils à coup de bâton « pour avoir fait l’école buissonnière », hé bien, ces bonnes gens ont cette fois fait preuve d’une faiblesse que rien ne justifie.
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Oyez plutôt :
Deux petits garçons se demandèrent un jour au nom de quel mystérieux verdict ils travaillaient durement pour un maigre salaire avec, en perspective, l’usine à perpétuité, l’abêtissement progressif, lent et sûr du labeur quotidien, ponctué des distractions alcooliques et populaires.
Chaque jour devant la vitrine du patron ils voyaient défiler d’autres petits garçons, délicats, soignés, gantés, joyeux de vivre destinés qu’ils étaient au bonheur et à l’indépendance.
Où donc ces deux petits garçons auraient-ils rêvé que dans une organisation où l’argent est nécessaire à l’indépendance et au bonheur matériel, il y avait une injustice et qu’ils en étaient les victimes ?
Qui donc leur avait dit que dans une villa isolée vivait une vieille, égoïste et avare, veillant jalousement un magot inutile à sa décrépitude. Et, qui leur avait dit que leur jeunesse les rendait dignes du bonheur ?
Je ne sais.
Mais il est certain qu’ils s’en montrèrent dignes et donnèrent à tous les agenouillés une leçon de virilité.
Comme Ravachol tua le vieil ermite, ils tuèrent la vieille rentière qui leur barrait le chemin de la vie.
Là-bas au bagne et à la maison de correction où vous a envoyé pour vingt ans un « verdict de pitié », mûrissez lentement jeunes conquérants, pour des revanches éclatantes.
Pour finir, une suggestion : on se rappelle que Rigaudin fut trouvé déchaussé et sans col : en tenue de témoin, de plus, le lendemain de sa disparition, avant qu’à Lille on ait découvert la malle, deux séides de la P. J. vinrent perquisitionner chez lui : « nous avons peur qu’il ne se soit suicidé : il a des idées noires ».
Vous vous souvenez ?
Hé bien ! en admettant que Rigaudin ne porta pas des traces de poucettes, ce qui est malheureusement invérifiable, il portait des traces de violence d’un caractère tel, qu’elles permettent d’identifier les assassins : c’est leur coup classique.
Pour les interroger, si on leur mettait un peu les poucettes à leur tour ?
Le chien