La Presse Anarchiste

Évocations futures

L’âge expé­ri­men­tal était pas­sé ; le règne du savoir avait fait ses preuves, la science seule domi­nait le monde.

Ain­si, après des siècles de conquête métho­dique, l’homme, deve­nu son propre Dieu, gou­ver­nait la terre comme une esclave et diri­geait les élé­ments du ciel eux-mêmes, au gré de son caprice. Certes, il avait fal­lu beau­coup lut­ter, la nature s’é­tait rebel­lée bien sou­vent ; et des fléaux impré­vus avaient mena­cé l’es­pèce ; mais ceux qui gou­ver­naient le monde du fond des labo­ra­toires avaient tout surmonté.

Après avoir fait des machines à l’i­mage de ses organes, l’homme avait réglé ses organes comme ses machines. Avec un soin magni­fique il avait cor­ri­gé la nature fan­tasque puis y avait sup­pléé. Sa propre exis­tence sem­blait un chef-d’œuvre d’hor­lo­ge­rie où tout est étu­dié, ordon­né, prévu. 

En ce temps-là, il n’y avait plus de patries, plus de par­tis, plus de croyances ; rien que des faits. Point de ville : les conti­nents étaient d’im­menses jar­dins clas­sés par lati­tude et appro­priés au cli­mat et à la chi­mie du sol. Les indi­vi­dus qui les peu­plaient étaient judi­cieu­se­ment répar­tis et les apti­tudes de cha­cun cana­li­sées aux seules fins d’un usage uti­li­taire. Les plantes et les ani­maux qui avaient sur­vé­cu demeu­raient le jouet d’un dilet­tan­tisme savant qui en fai­sait à son gré des phé­no­mènes mons­trueux. L’on pou­vait défi­nir la vie : un dépla­ce­ment d’a­zote et de phosphate ! 

Ne pou­vant atteindre à l’ex­tase des para­dis mys­tiques, l’homme avait tiré de son cer­veau assez de vou­loir, de méthode, de ratio­na­lisme pour éta­blir ce régime d’au­to­ma­tique ordon­nance et d’in­té­gral ser­vi­lisme qui était sa créa­tion et son orgueil.

Que deman­der davan­tage, les nerfs calmes, les chairs pleines, sans dési­rs, sans effort et sans souf­france, cha­cun n’a­vait qu’à se lais­ser conduire tout le long du voyage ; c’é­tait d’un aban­don incon­nu autrefois. 

Et cepen­dant, en ce temps-là, quel­qu’un pleu­rait sur la vie… L’hu­ma­ni­té était sans joie… le monde avait per­du son âme ! 

Ban­ville d’Hostel


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