Je ne comprend pas cette propension des hommes,à attendre des autres, ce qu’ils devraient faire eux-mêmes.
Henri Martin, (Hist. De France).
Les élections du moment viennent de remettre le suffrage universel à l’ordre du jour.
C’est vraiment assommant de répéter encore aux électeurs, ce que nous leur disons depuis si longtemps. C’est désespérant, vous dis-je, d’être obligé de leur rabâcher toujours la même chose, tout comme aux enfants, quand on leur apprend l’alphabet. Car, au lieu de discuter les questions sérieuses, nous sommes encore obligés de démontrer que tous les hommes peuvent et doivent faire leurs affaires eux-mêmes. Nous ne devrions plus avoir besoin de faire le procès du suffrage universel, condamné et déclaré nuisible au progrès par ceux-là même qui l’ont créé. Je crois qu’il n’y a que les électeurs qui aient foi au suffrage les candidats ne sont pas si bêtes, ils s’en servent comme moyen personnel d’émancipation et voila tout. C’est ce que nous tâcherons de faire comprendre à la grande masse des électeurs toujours jobardisée par des discours-programmes, débités avec aplomb par les Roublards-Candidats.
Cependant les sophismes ne manquent pas à ceux qui veulent prouver que le suffrage universel est juste et qu’il existe, car je crois qu’il n’existe seulement pas.
En voici deux qui vous feront juger les autres :
1° Puisque deux hommes ensemble ne peuvent pas s’entendre, à plus forte raison plusieurs millions ne peuvent pas s’accorder. Par conséquent il faut le suffrage universel afin de pouvoir choisir parmi ces hommes les plus intelligents pour établir l’harmonie.
2° Tout homme qui a une volonté doit voter. Parce que le vote et une manière d’exprimer cette volonté.
Ils vous semblent bêtes, n’est-ce pas, ces arguments. Eh bien, c’est encore ceux-là qui pénètrent le plus profondément dans la masse.
Ce qu’ils doivent rire, les candidats, quand ils se trouvent élus, de la naïveté des électeurs.
Au premier raisonnement, nous pouvons répondre :
Si les hommes ne peuvent pas s’entendre, à plus forte raison, on ne pourra choisir parmi eux des élus s’entendant d’avantage, puisqu’ils seront hommes comme les autres. — Voyer la Chambre des députés ou le Sénat. — Maintenant, pour corroborer ce que nous venons de dire, nous n’avons qu’à prouver que les hommes, plus ils sont instruits moins ils seront capables de s’accorder. — Voyez, les savante, les journalistes et même les socialistes.
La réponse au deuxième sophisme est encore plus facile. Si le citoyen vote, c’est qu’il n’a qu’une volonté, celle de se défaire du souci de ses intérêts, en les confiant à un autre. S’il ne vote pas, au contraire, il montre qu’il est un homme, parce qu’il ne veux plus de tuteurs.
Nous venons de vous dire succinctement, les raisons données par les partisans du vote. Disons maintenant pourquoi la bourgeoisie a créé le suffrage universel.
Avant 48, le peuple n’avait qu’un moyen pour protester contre l’exploitation dont ils à toujours été victime : la révolte. Quand la misère devenait trop pénible, les Jacques allumaient leurs torches. Le gouvernement ne pouvait pas les blâmer. La Bourgeoisie s’en aperçut. Elle comprit que si l’on n’atrophiait pas chez le peuple l’esprit de révolte, elle serait perdue. Elle chercha un moyen et le trouva. Ce fut le suffrage universel. Moyen pratique et pacifique selon elle, pour l’émancipation humaine.
Et voici le langage que tint cette bourgeoisie hypocrite par la voix de ses Ledru-Rollin.
« Peuple, depuis longtemps tu souffres, misérable, dépouillé. Depuis longtemps tu n’as connu que la tyrannie, et pourtant tu mérites la liberté. O peuple grand ! Peuple magnanime, sublime ! O travailleurs, nos frères, vous n’aurez plus besoin d’avoir recours à la force pour vous émanciper. Car, voyez-vous, c’est trop horrible la Révolution, le sang, le carnage. Venez voter pour nous, c’est le seul moyen pour vous de devenir libres. » Voyez d’ici le crocodile et sa victime.
Le peuple pris par le sentiment se laissa tromper. Il déposa sa torche, son fusil, et prit le bulletin de vote.
La Bourgeoisie avait trouvé son élixir de longue vie et les travailleurs une prolongation à leurs souffrances.
Les Politiciens ont eu beau jeu depuis, en agitant la Révolte, comme un spectre hideux, en lui opposant un soi-disant moyen pacifique paraissant bon à tous ceux qui ne l’étudient pas, — et ils sont nombreux ceux là.
Ils ont étouffé l’esprit de Révolte, nécessaire aux esclaves pour prendre leur liberté que se refuseront toujours à donner leurs maîtres.
Mais ce qui nous étonne le plus, c’est de voir des socialistes continuer — inconsciemment, sans doute — l’œuvre d’une race de polichinelles politiques et combattre ceux qui disent au peuple de ne plus se laisser tromper par le vote, mais de s’émanciper en se révoltant.
Car, si nous soutenons l’abstention, c’est parce que nous voyons une vieille société décrépite, crevée, et qu’il ne faut pas compter guérir, mais qu’il faut achever en lui donnant son bouillon d’onze heure : la Révolution sociale.
Charles Schæffer