La Presse Anarchiste

L’Individualisme : Fédération ou autorité

Que la loi me soit imposée par un seul, par une caste, par une majorité, je n’en suis pas moins opprimé ; c’est une ques­tion de nom­bre, voilà tout ; l’op­pres­sion n’est pas moins grande si un seul impose la loi à tous, que si tous imposent la loi à un seul. Tant qu’il y aura un seul opposant, il y aura tyran­nie, oppression.
Domenfarie.

Si la Révo­lu­tion qui va s’ac­com­plir est anar­chique la forme sociale qui en sera la résul­tante ne pour­ra être que com­plexe de là, la néces­sité de la lib­erté fédéra­tive à moins de retomber dans l’ornière com­mu­niste et autoritaire.

Le rêve de tous les grands despotes : Alexan­dre, César, Charle­magne, Charles-Quint, Napoléon, a été de créer un État Européen et même uni­versel, les autres, aux aspi­ra­tions plus lib­er­taires, ou bien, moins capa­bles que les pre­miers, se con­tentèrent d’un gou­verne­ment nation­al régi soit par un indi­vidu, soit par une minorité, soit par une majorité.

Eh bien, tous ces États sont vicieux et autori­taires au même degré, quelle que soit l’é­ti­quette dont ils s’af­fublent. Je prends la France comme exem­ple, puisqu’elle est sous le joug du Suf­frage Uni­versel, — le joug libéral par excel­lence. — Sans entr­er dans les détails sec­ondaires qui nous prou­veraient que le Suf­frage Uni­versel n’ex­iste réelle­ment pas — les deux tiers des indi­vidus s’ab­s­tenant — j’abor­de franche­ment la question :

La République est main­tenue — je le sup­pose — par 20000000 d’électeurs mais en est-elle plus légitime pour cela ? Non ; car les 16000000 d’hommes qui for­ment la minorité n’en veu­lent pas. En bonne jus­tice, cette minorité doit-elle être lésée au prof­it de la majorité?… Voilà le règne de la cen­tral­i­sa­tion, et pour­tant, si je voulais m’é­ten­dre sur cette ques­tion, je démon­tr­erai que, par­mi cette majorité répub­li­caine, il y en a qui désir­eraient une république social­iste, d’autres con­ser­va­trice, ou bien rad­i­cale, et toutes ces aspi­ra­tions sont étouf­fées dans leur développe­ment au prof­it d’une majorité fic­tive. Elles sont cepen­dant con­clu­antes les leçons que nous don­nent l’His­toire ! Est-ce que Galilée n’avait pas rai­son con­tre l’U­nivers, et il était seul ? Est-ce que Proud­hon n’avait pas seul rai­son con­tre toute la meute des politi­ciens de 48 ? Est-ce que l’in­fime minorité d’a­n­ar­chistes n’a pas l’avenir qui démon­tr­era que ses idées sont justes et réal­is­ables?… Et tant d’autres. N’avons nous pas tou­jours vu le grand nom­bre réfrac­taire à tout pro­grès tan­dis que le petit nom­bre se com­po­sait de penseurs, d’in­ven­teurs, de savants et d’artistes.

Mais je m’ar­rête, cama­rades anar­chistes, je sais que vous rejeter le par­lemen­tarisme et la cen­tral­i­sa­tion en théorie ; mais, étant com­mu­nistes, vous l’ac­cepter en pra­tique. C’est donc avec vous que je vais dis­cuter main­tenant, vous ayant, je le crois, démon­tré que la cen­tral­i­sa­tion actuelle était inéluctable­ment despo­tique, je vais essay­er de vous faire voir que dans une société com­mu­niste absolue elle aurait les mêmes résultats.

En effet, j’ai dis­cuté avec beau­coup de cama­rades et la plu­part m’ont affir­mé qu’au lende­main de la Révo­lu­tion, il faudrait impos­er le com­mu­nisme a tous, comme tous les sec­taires, ils étaient con­va­in­cus qu’eux seuls pou­vaient don­ner au peu­ple et le bon­heur et la lib­erté ; eh bien, là est l’écueil autori­taire du com­mu­nisme et, sachez-le bien, cet écueil, c’est l’É­tat, dis­trib­u­teur de bon­heur a ses dirigés.

Entre le Com­mu­nisme qui veut que tous soient com­mu­nistes et le Répub­li­can­isme qui exi­gent que tous soient cour­bés sous la férule répub­li­caine il n’y a, — au point de vue lib­er­taire, s’en­tend — que la dif­férence des noms. Et du reste sans État le com­mu­nisme est impossible :

Sup­posons la Révo­lu­tion ter­minée, com­ment les com­mu­nistes imposeront-ils leur organ­i­sa­tion sociale aux col­lec­tivistes, marx­istes et pos­si­bilistes, aux blan­quistes et aux indi­vid­u­al­istes ? Par la force ? Impos­si­ble, tous les autres révo­lu­tion­naires se ligueraient pour main­tenir l’au­tonomie de leurs groupe­ments. Admet­tons même que les social­istes se soumet­tent momen­tané­ment au ter­ror­isme, ce ter­ror­isme dur­era-t-il ? S’il cesse les social­istes relèveront la tête et c’en est fait du Com­mu­nisme. S’il se main­tient il ne pour­ra le faire qu’avec un État ayant des armées et une police à sa dis­po­si­tion, que devient alors la liberté ?

Le com­mu­nisme imposé à une nation comme la France est impos­si­ble sans dic­tature, que serait-ce si l’on voulait le ren­dre européen et universel?…

II

Si l’homme esclave a le droit de pren­dre sa lib­erté par la révolte, l’homme libre ne peut et ne doit pas con­train­dre à la lib­erté l’esclave qui n’en veut pas : c’est la jus­tice anar­chiste — la jus­tice naturelle.

Toute Société — si despo­tique quelle ait été — a eu sa rai­son d’être. L’homme, comme toutes les formes de la matière organique et inor­ganique, est per­fectible, il n’a donc pas tou­jours été ce qu’il est aujour­d’hui. Il y a dix mille ans, il est prob­a­ble que peu d’hommes pos­sé­daient le « sens » qui s’est révélé depuis quelques siè­cles : le « sens lib­er­taire » et si, à cette époque, un penseur — en avance de quelques mille ans sur son siè­cle — eût voulu ce que nous voulons à présent, il eût été un fou dan­gereux ; car, de même qu’un mal­heureux qui ne pos­sède pas le sens de la vue, les hommes prim­i­tifs ne pos­sé­daient, qu’à de rares excep­tions, le « sens lib­er­taire» ; il leur fal­lait donc des maîtres pour les conduire.

Et s’il exis­tait après la Révo­lu­tion — ce que je ne crois pas — un mis­érable, frap­pé d’un mon­strueux cas d’atavisme, qui veuille se faire l’esclave d’un autre, voudriez-vous l’en empêcher ?

Empêchez donc l’aveu­gle d’avoir un guide car ce guide, c’est un maître !

Et puis, est-ce bien à vous de crier au lib­er­ti­cide ? vous qui ne pos­sédez pas le sens lib­er­taire assez dévelop­pé pour accepter la lib­erté avec toutes ses con­séquences qui envelop­pent toutes les lib­ertés sans restriction.

Si j’ai dis­cuté ce fait qui ne se pro­duira prob­a­ble­ment pas. c’est peur ren­dre plus frap­pante l’idée de laiss­er toutes les organ­i­sa­tions social­istes ou autres libres de for­mer des groupes, des fédéra­tions comme elles l’entendront.

Il le faut, com­pagnons, d’abord parce que c’est la jus­tice et que cette jus­tice relève de la Morale indi­vid­u­al­iste qui a pour base : l’Égoïsme.

Il le faut parce que les indi­vidus se sépareront après quelque temps des fédéra­tions peu ou prou autoritaires.

Il le faut parce que le salut de la Révo­lu­tion — qui ne sera pas l’œu­vre d’une école mais de l’Évo­lu­tion — en dépend et que des luttes au nom de l’Hu­man­ité, la perdraient tan­dis que le respect des intérêts indi­vidu­els la sauvera.

Il le faut surtout parce qu’un principe doit être accep­té entière­ment sous peine de se laiss­er engluer par les chi­caner­ies avo­cas­sières, tou­jours fatales aux révolutions.

G. Deherme

(A suiv­re.)