La Presse Anarchiste

Un parti condamné

Le résul­tat des élec­tions muni­ci­pales a mis en fête les pos­si­bi­listes. Un Te Deum géné­ral a été chan­té par toute la fédé­ra­tion des tra­vailleurs socia­listes de France. Je com­prends faci­le­ment cette joie exu­bé­rante de la part des membres de ce néo-par­ti poli­ti­co-éco­no­mi­quo-fumiste, qui vient de mon­trer à quel point tout par­ti doit pous­ser le machia­vé­lisme quand il veut arri­ver au pouvoir.

Certes, nous ne devons plus avoir d’é­gards envers ce par­ti que l’on a encore l’air de ména­ger parce qu’il s’in­ti­tule socia­liste-révo­lu­tion­naire et qui n’est, en réa­li­té, que le refuge des ambi­tieux et des jésuites de la Révo­lu­tion. — Exemple : Paul Brousse, ancien anar­chiste, actuel­le­ment conseiller muni­ci­pal. Je crois avec rai­son qu’il serait naïf de ne pas le mettre au rang de tous les autres par­tis poli­tiques qui ont jus­qu’à pré­sent entra­vé la marche en avant des idées modernes, en entre­te­nant soi­gneu­se­ment l’i­gno­rance populaire.

Les anar­chistes auraient tort de ne pas lut­ter aus­si éner­gi­que­ment que pos­sible contre un par­ti qui, au len­de­main de la Révo­lu­tion, s’il en sor­tait vain­queur, les ferait fusiller par ses gen­darmes du qua­trième état, sous pré­texte que ces anar­chistes ne veulent pas obéir à des géné­raux comme Eudes, à des légis­la­teurs genre Brousse Jof­frin ou Guesde-Lafargue-Deville.

Il faut écar­ter tout espèce d’é­qui­voque en expli­quant aux tra­vailleurs ce que veut le par­ti ouvrier et ce que veulent les anarchistes.

Il faut éclair­cir les idées nou­velles, en faci­li­ter la com­pré­hen­sion. C’est à cette tâche que nous vou­lons nous atte­ler. Cer­tai­ne­ment, les idées anar­chistes sont encore à leur début. On les sent mieux qu’on ne les explique. Mais c’est jus­te­ment parce qu’elles sont trop incom­pré­hen­sibles pour la masse, qu’il faut les étu­dier avec inté­rêt plu­tôt que de les com­battre — pour cette même rai­son — comme MM. les possibilistes.

En un mot, il faut vul­ga­ri­ser ces idées liber­taires qui paraissent stu­pides aux fortes têtes du socia­lisme auto­ri­taire ; car, si le peuple ne les com­prend pas faci­le­ment, la cause en est à ceux qui le mènent ou qui aspirent à le mener.

Mais par­don, je vais me lais­ser entraî­ner et oublier ce qui a fait le sujet de cet article. Je vou­lais prou­ver que le par­ti ouvrier était condam­né à dis­pa­raître, mal­gré le suc­cès rela­tif qu’il vient de rem­por­ter au der­nier scrutin.

Quand le par­ti ouvrier s’est for­mé, ce ne fut pas en orga­ni­sa­tion poli­tique, mais en par­ti de classe, ce qui n’est pas pareil du tout. Il vou­lait alors employer le suf­frage uni­ver­sel non pour obte­nir des réformes — ce qu’il décla­rait impos­sible — mais comme moyen de pro­pa­gande ; en un mot pour pro­fi­ter de la période élec­to­rale, seul moment où les tra­vailleurs semblent sor­tir de leur apathie.

Aujourd’­hui, c’est tout le contraire ; il a chan­gé de tac­tique. Il tache par le suf­frage uni­ver­sel d’ar­ron­dir les coins de la lutte qu’il a entre­prise contre la bour­geoi­sie ou autre­ment dit le troi­sième état. Il est deve­nu un par­ti poli­tique, ses pon­tifes l’af­firment assez sou­vent dans leurs jour­naux. Le par­ti ouvrier aura donc le même, sort que tous les autres par­tis qui ont fait ou font de la poli­tique. L’His­toire du par­le­men­ta­risme depuis 89 nous le prouve suf­fi­sam­ment. Les meneurs pos­si­bi­listes, qui connaissent — je le pense du moins — cette his­toire, peuvent le constater.

Quel est donc le but du par­ti ouvrier ? On ne le sait plus exac­te­ment. Deman­dez-le à M. Jof­frin qui semble nous le dire : « Ce que nous vou­lons, a‑t-il dit l’autre soir, salle Favié, c’est réunir sous le dra­peau socia­liste ceux qui veulent voir une fin à la misère publique. Pour cela, nous adres­sons un appel aux radi­caux-socia­listes sin­cères qui peuvent venir avec nous et par l’ap­point de leurs voix, obte­nir des réformes ; car nous ne sommes pas des vio­lents, nous vou­lons affir­mer nos reven­di­ca­tions par les moyens paci­fiques et légaux. 1Lire le Temps paru le lun­di 23 mai. Nous vous l’a­vouons, com­pa­gnons, nous n’y com­pre­nons plus rien. Ou ces gens-là sont bêtes ou ils sont coquins ; il n’y a pas de milieu. Que pen­ser d’eux quand ils viennent vous dire, tan­tôt que la Révo­lu­tion est inévi­table, tan­tôt qu’elle est évi­table ? Pas grand chose de bon. Que ce sont des indi­vi­dus qui veulent sai­sir le pou­voir par tous les moyens pos­sibles pour le gar­der. — Ce sont des clous qui veulent en chas­ser d’autres.

Mais ils n’y arri­ve­ront peut-être pas et voi­ci pourquoi.

Le par­ti ouvrier, grâce a son jésui­tisme, par­vien­dra à se glis­ser dans les assem­blées élec­tives bour­geoises. Il sera obli­gé de faire quelque chose, et comme il se trou­ve­ra tou­jours en face d’une classe avide de richesses ne pou­vant lâcher des réformes au pro­fit du pro­lé­ta­riat sans dis­pa­raître, le par­ti ouvrier, qui aura vécu de pro­messes, démon­tre­ra logi­que­ment par la force des choses son impuissance.

Alors le peuple, désa­bu­sé, voyant clair, jet­te­ra par­des­sus bord et la bour­geoi­sie et le par­ti ouvrier, en affir­mant par ses actes que la Liber­té est son unique aspi­ra­tion, qu’il n’en­tend pas se reti­rer d’un pétrin pour se jeter dans un autre bien plus profond.

Charles Schæf­fer

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    Lire le Temps paru le lun­di 23 mai.

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