La Presse Anarchiste

Le néo-syndicalisme de P.M. André

Un ancien syn­di­qué, le citoyen P.M. André, pon­ti­fie sur le syn­di­ca­lisme dans un nou­vel organe du socialisme.

C’est un offi­ciant ardent, le citoyen P.M. André, il admi­nistre sa théo­rie et sa cri­tique d’une main auto­ri­sée depuis qu’il l’a mise — sa main — dans celle de son patron, le très humble et très pater­nel M. Noblemaire.

Jadis, en modeste mili­tant, il se conten­tait de « che­mi­ner » dans le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire et de sou­li­gner cer­taines timi­di­tés des hommes pla­cés à la tête du syn­di­cat auquel il appar­te­nait. Gué­rard en sait quelque chose. Mais quand on a ban­que­té avec un homme aus­si impor­tant que l’est M. le direc­teur des che­mins de fer du P.-L.-M. c’est qu’on a pris de la tenue. Un tel contact vous confère des titres pour dire leur fait à ces gens de la Confé­dé­ra­tion que le Réveil du Nord appelle des « gredins ».

Il est, en effet, bien évident que lors­qu’on a su conci­lier son socia­lisme révo­lu­tion­naire et son syn­di­ca­lisme avec son admi­ra­tion pour la phi­lan­thro­pie patro­nale, on est qua­li­fié pour don­ner des leçons de méthode. C’est le cas du mutua­liste P.M. André. Toutes les semaines avec un dévoue­ment et une force de convic­tion admi­rables — oh com­bien— il sert aux syn­di­ca­listes que nous sommes une petite pâtée qui ne manque pas de saveur.

« Assez de tin­ta­marres anar­chistes dans les syn­di­cats ouvriers, écrit-il. Grève géné­rale pana­cée, grève à tout pro­pos et hors de pro­pos, action dite directe, anti­mi­li­ta­risme franc-fileur, sabo­tage imbé­cile, vio­lences de lan­gage, atti­tudes de cham­bar­deurs, sont articles de révo­lu­tion pour théâtre guignol. »

C’est mal por­té dans un ban­quet où pré­side le patron, aurait pu ajou­ter notre néo-pro­fes­seur, et ça trouble la digestion.

Aus­si conseille-t-il la « pru­dence et la patience ». « L’i­déal syn­di­cal est de par­ve­nir à grou­per les tra­vailleurs d’une cor­po­ra­tion dans la pro­por­tion de 100 pour 100, ajoute-t-il. » Et nous, naïfs qui croyions que la pru­dence et la patience — dans l’ef­fort — le recru­te­ment et l’or­ga­ni­sa­tion, n’é­taient que les moyens d’une action constante pour atteindre notre idéal socia­liste ! Mais le « syn­di­ca­liste » P.M. Andréa dénonce notre erreur.

« En consé­quence, toute pro­pa­gande qui, dans le domaine syn­di­cal, limite le nombre des recrues en impo­sant à celles-ci des condi­tions étran­gères aux fins syn­di­cales, doit être évi­tée, ordonne-t-il. »

Bra­vo ! Nous tom­bons, au moins, d’accord sur une for­mule. Mais peut-être n’a-t-elle pas pour son auteur la même signi­fi­ca­tion que pour nous, qui l’avons mise en pra­tique de¬puis long­temps déjà, contre la volon­té même de P.M. André.

À cette dif­fé­rence de signi­fi­ca­tion, il y a une cause essen­tielle, c’est que nos fins syn­di­cales, celles assi­gnées par nos congrès natio­naux cor­po­ra­tifs, sont part notre idéal lui-même qui est la dis­pa­ri­tion du salariat.

Ça c’est un pre­mier point sur lequel, nous ne démor­drons pas, quoiqu’en pense notre pro­fes­seur. Il conser­ve­ra son idéal syn­di­cal de 100 pour 100 et nous, nous ferons tous nos efforts en vue d’at­teindre le nôtre, même avec un pour­cen­tage bien moins élevé.

Et puis, est-ce bien sin­cè­re­ment que cette for­mule nous est ser­vie ? Voyons, expli­quons-nous : nous, syn­di­ca­listes, socia­listes ou non, nous appe­lons dans nos syn­di­cats, tous les exploi­tés, tous ceux de notre classe qui ont quelque inten­tion de résis­ter aux exi­gences patro­nales, tous ceux, en un mot qui trouvent que leur situa­tion de sala­rié n’a rien d’en­viable et qui « veulent faire quelque chose » pour que « ça change ».

Par­ti­sans des « réformes », des amé­lio­ra­tions immé­diates, autant que péné­trés de la néces­si­té de l’ac­tion directe et de la grève géné­rale, — dont, soit dit entre paren­thèses, P.M. André parle « comme un petit péda­gogue qui appren­drait à lire à l’École, nor­male supé­rieure », sui­vant sa propre expres­sion — nous n’im­po­sons aucun cre­do, aucune méthode à ceux qui entrent dans les syn­di­cats. Nous les appe­lons, au contraire, à venir avec nous dis­cu­ter de l’a­gi­ta­tion à faire, de l’ac­tion à enga­ger, de la forme à lui don­ner. Nous n’im­po­sons pas nos moyens, nous les offrons à la cri­tique des syn­di­qués, et s’ils les emploient, n’en déplaise à cer­tains poli­ti­ciens et aux exploi­teurs, c’est qu’ils les jugent efficaces.

Nous ne deman­dons donc à qui­conque fran­chit le seuil de nos syn­di­cats, que de jus­ti­fier de sa qua­li­té de sala­rié. Nous ne lui impo­sons aucune phi­lo­so­phie, aucune dis­ci­pline que celle qu’il doit consen­tir libre­ment et qu’il défi­nit lui-même dans son orga­ni­sa­tion. Nous ne vou­lons l’o­bli­ger à aucuns rap­ports extra-syn­di­caux arec une poli­tique, une phi­lo­so­phie ou un par­ti quel­conque.

Le citoyen P.M. André, en dépit de la net­te­té de sa for­mule qui est nôtre, pour­rait-il en dire autant ?

Les motions des Fédé­ra­tions socia­listes de la Dor­dogne et du Nord, celle du Congrès socia­liste de Stutt­gart, sur laquelle la Sec­tion fran­çaise, à ma grande satis­fac­tion, fit des réserves que le Congrès enre­gis­tra, et qui toutes exigent des rap­ports entre l’or­ga­ni­sa­tion poli­tique socia­liste et l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique, et que P.M. André, vou­drait impo­ser à cette der­nière, répondent à cette question.

Mais ce n’est pas seule­ment par manque de sin­cé­ri­té que pèche notre cen­seur. Dans sa pas­sion de déni­gre­ment contre les mili­tants de la C.G.T., il ne s’a­per­çoit pas qu’il manque de logique.

Ain­si, com­ment peut-il dénon­cer dans deux numé­ros dif­fé­rents du Socia­lisme et nos ten­dances grève-géné­ra­listes et « l’a­gi­ta­tion fata­le­ment indi­vi­dua­liste, pré­co­ni­sée, dit-il, par ce qu’il appelle notre néo-syn­di­ca­lisme ? » Pour ma part, j’ai beau être de la « cou­lée du vieux moule », je n’ar­rive pas à comprendre.

Il est vrai que je ne suis ni méde­cin, ni avo­cat, ni petit patron et que je crois encore à la lutte des classes ain­si qu’a la vieille théo­rie mar­xiste qui dit que ce n’est que par elle-même et par son action de masse que la classe ouvrière s’é­man­ci­pe­ra. Cette for­mule je l’a­voue à P.M. André, c’est mon « cre­do d’u­ni­fié » et c’est en même temps mon cre­do de syndicaliste.

C’est pour­quoi, consi­dé­rant le syn­di­cat comme le conte­nant de cette classe ouvrière, nous le dési­gnons comme l’élé­ment spé­ci­fique et des amé­lio­ra­tions immé­diates au sort ouvrier et de la trans­for­ma­tion révo­lu­tion­naire de la société.

Mais c’est une opi­nion que l’on conserve tant que l’on est syn­di­qué et, qui s’en­vole à la cha­leur com­mu­ni­ca­tive — du direc­teur au diri­gé — des ban­quets mutualistes.

Le théo­ri­cien du néo-syn­di­ca­lisme P.M. André s’en est-il ren­du compte, lui qui est pas­sé par là ?

A. Luquet


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