Trente années d’action politique, de promesses purement électorales, si osées soient-elles, n’avaient pu réussir à ébranler le scepticisme, ni l’arrogance du patronat français.
Quelques années de propagande confédérale, sur le terrain purement économique, l’ont complètement affolé.
Le patronat sent que sa morgue n’est plus de mise et qu’il ne résistera pas longtemps aux efforts du prolétariat économiquement organisé.
Aussi, à l’heure précise où certain parti tente — sous prétexte de déviations — de détourner le mouvement confédéral de son véritable champ d’action, fortement s’organise le patronat français.
À la suite d’une délibération prise, le 13 décembre 1906, par l’Union des Industries métallurgiques et minières et des industries qui s’y rattachent (Union de syndicats patronaux professionnels, fondée le 5 mars 1901, sous le régime de la loi du 21 mars 1884), des caisses mutuelles contre le chômage forcé ont été créées dans toutes les régions.
Le 16 février 1907, les statuts de la première de ces Sociétés, La Construction Métallique, étaient établis par les soins de Me Grignon, notaire à Paris.
Le 23 février suivant, le même notaire recevait ceux des patrons constructeurs de matériel des chemins de fer.
Le 27 février, le Comité des Forges de France constituait la sienne, en lui donnant pour titre La Forge.
Enfin, le 10 mai, les patrons fondeurs, suivant cet exemple, fondaient également une Société analogue, ayant pour titre La Fonderie.
Toutes ces Sociétés, dites primaires, sont reliées entre elles par un Comité central et ont leur siège 61, boulevard Haussmann, à Paris.
Organisées par régions, ces Sociétés primaires sont, en quelque sorte, des Fédérations régionales patronales.
Leurs statuts, à quelques détails près — insignifiants d’ailleurs — sont identiques.
Pour toutes, le titre premier — très explicite — indique :
« Dénomination. — Siège et durée de la Société. — Circonscription territoriale de ses opérations…»
L’article 1er dit :
« Une Société d’assurances mutuelles contre les conséquences du chômage forcé, résultant des conflits entre employeurs et employés dans les conditions ci-après déterminées, est formée entre les chefs d’industries, particuliers ou Sociétés, adhérant, aux présents statuts et faisant partie du syndicat dénommé : « Chambre syndicale des entrepreneurs de constructions métalliques de France » ou de tout autre syndicat admis par le Conseil d’administration et affilié à l’Union des Industries métallurgiques et minières et des industries qui s’y rattachent. Elle est régie par les dispositions du décret du 22 janvier 1868 et par les présents statuts. »
Suivent les statuts, qu’il serait trop long, pour le moment, d’analyser ici.
Mais, j’insiste sur ce point, les statuts de toutes ces Sociétés sont identiques. Leur durée est de trente années. Dans toutes, les mêmes et les plus irréductibles adversaires du prolétariat s’y coudoient, jusques et y compris M. Georges Rolland, principal actionnaire et président du Conseil d’administration des Aciéries de Longwy.
Par ces quelques renseignements, on constate quel réseau de forces formidables enserre le prolétariat de la métallurgie. Avec quelle organisation merveilleusement soutenue —moralement et pécuniairement — vont se mesurer les militants de toutes les régions.
Jusqu’à ce jour, quand un conflit éclatait, Syndicats et Fédérations luttaient contre un seul patron ; ils n’avaient en face d’eux qu’un seul industriel, plus ou moins riche, ayant souvent des commandes pressées, ce qui l’obligeait fréquemment à céder, sinon à transiger.
Il n’en sera plus de même demain. Dès qu’un conflit éclatera, l’industriel en cause ne cédera que lorsqu’il aura plu au Comité central des assurances contre le chômage forcé d’y consentir.
Si l’industriel manque d’argent pour ses échéances, la caisse d’assurances mutuelles lui en fournira ; s’il a des commandes pressées, les usines des autres régions les exécuteront. C’est ainsi que pendant les grèves de Longwy (1905) les usines métallurgiques du Nord exécutaient les commandes les plus pressées des Aciéries de Longwy, parce qu’affiliées au Comptoir.
Que découlera-t-il de cette situation nouvelle, qui existe également dans toutes les industries ?
Tout d’abord la nécessité pour les travailleurs de s’unir davantage, d’adopter des tactiques nouvelles, d’élargir leur solidarité.
Que seront ces tactiques. L’avenir nous l’apprendra bientôt. Mais il ne faut pas être grand prophète pour prédire que le moindre conflit est appelé à durer des mois et des mois, ou à se généraliser pour toute une région ; qu’il ne pourra même pas se localiser à une industrie, mais entraînera, inévitablement, tous les travailleurs d’une même ville ou d’une même région, à la grève générale de toutes les industries.
Par ces faits se trouve affirmée, par la classe patronale elle-même, l’ampleur et la force de la tactique confédérale.
Cela démontre surabondamment qu’elle existe, qu’on compte avec elle, qu’on craint son action pour l’avenir ; cela signifie à tous, d’autre part, combien est nécessaire la propagande pour la grève générale.
Cela n’empêchera pas cependant certain docteur prophète en socialisme de répéter ce qu’il disait à Nancy entre tant d’autres inexactitudes :
« Votre syndicalisme, celui que vous affirmez contre nous, est d’une espèce toute particulière. Il se distingue de tout ce qui existe à l’étranger par ce fait qu’il ne compte pas de syndiqués du tout, ou si peu !»
Puisqu’il n’y a pas… ou si peu de syndiqués à la C.G.T., pourquoi, diable, tant d’obstination et de calomnie contre ses militants pour les faire dévier hors des luttes économiques ?
Est-ce parce qu’ils sont un danger pour la classe capitaliste et les possesseurs du pouvoir politique de l’avenir ?
A. Merrheim