La Presse Anarchiste

La grève des maçons parisiens (26 août-10 septembre 1909)

L’or­ga­ni­sa­tion ouvrière de la Maçon­ne­rie du dépar­te­ment de la Seine vient encore de faire par­ler d’elle ; beau­coup trop même pour un résul­tat comme le contrat de tra­vail col­lec­tif qui n’est qu’une phase de son évo­lu­tion syn­di­cale déter­mi­née plus par les cir­cons­tances favo­rables du mar­ché du tra­vail, mises à pro­fit, que par une action de masse consciente, ou par une com­bi­nai­son de l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie, la par­tie agis­sante de la Chambre syn­di­cale des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie de la rue de Lutèce.Retracer à grands traits le che­min par­cou­ru et les luttes sou­te­nues par l’or­ga­ni­sa­tion ouvrière depuis 1906 aide­ra à com­prendre la genèse du récent mou­ve­ment de grève, incom­pris dans son ensemble comme dans ses détails aus­si bien par les argus de la presse libre que par ceux de la presse bourgeoise.

Le Congrès de Bourges, par sa réso­lu­tion en faveur de la conquête des huit heures au 1er mai 1906, contri­bua pour une grande part à réveiller la pen­sée des maçons. D’autre part, l’ex­ploi­ta­tion des maçons-plâ­triers était arri­vée à cette époque à son extrême limite ; le sum­mum de pro­duc­tion était exi­gé et atteint ; les salaires recon­nus par la série des archi­tectes et la ville, dans les tra­vaux à la jour­née, n’é­taient plus res­pec­tés. La révolte cou­vait ; elle ne deman­dait qu’à se mani­fes­ter C’est ce qui eut lieu le 1er mai 1906. Les qua­rante-deux jours de grève qui sui­virent en sont un témoignage.

Les entre­pre­neurs, ani­més d’une farouche intran­si­geance, — à ce moment-là ils étaient tous d’ac­cord, — ne vou­lurent rien accor­der. C’est alors que les jeunes gens, grâce à une édu­ca­tion récol­tée dans les groupes liber­taires et dans les jeu­nesses syn­di­ca­listes, firent oeuvre véri­ta­ble­ment révo­lu­tion­naire. Ils intro­dui­sirent les méthodes de non-pro­duc­tion sur le chan­tier, de sabo­tage du maté­riel et se ser­virent vingt fois, cent fois d’une cou­tume éta­blie qui veut que le com­pa­gnon aille à
la place de grève, au compte du patron, cher­cher un gar­çon ou aide, chaque fois qu’il en est dépour­vu. Ces méthodes furent bien­tôt géné­ra­li­sées et les résul­tats ne se firent pas attendre ; aug­men­ta­tions de salaires et repos heb­do­ma­daire s’ob­tinrent assez rapidement.

Mais le patro­nat de la maçon­ne­rie s’or­ga­ni­sait pour la résis­tance. Il com­men­ça par res­treindre le plus pos­sible l’embauche ; il dres­sa des fiches sur les mili­tants afin de les boy­cot­ter. Fina­le­ment, se croyant assez fort, après un sem­blant de pour­par­lers avec les ouvriers, il décla­ra le lock-out. Le fruit des études faites à Ber­lin sur le lock-out du bâti­ment qui venait de s’y pro­duire, com­men­çait à mûrir. Des mar­chés avaient été conclus avec les four­nis­seurs pour que les entre­pre­neurs dési­reux de faire tra­vailler ne pussent s’a­li­men­ter de maté­riaux ; au moyen de cer­taines banques on pou­vait cou­per le cré­dit aux récal­ci­trants et sou­te­nir ceux qui se plie­raient à la volon­té des meneurs de la rue de Lutèce.

Les pré­pa­ra­tifs de guerre avaient été ron­de­ment et sérieu­se­ment menés. Cepen­dant, toutes les com­bi­nai­sons de M. Vil­le­min, grand syn­di­ca­liste patro­nal, vinrent tré­bu­cher contre cette pierre : la concur­rence. Le lock-out ne put durer offi­ciel­le­ment. Il conti­nua offi­cieu­se­ment, il est vrai. Des mili­tants ouvriers en grand nombre, subirent trois et quatre mois de chômage.

C’est alors que l’« Union », socié­té de jaunes, fut fon­dée. On eût pu croire les sta­tuts de cette Union éla­bo­rés par des patrons phi­lan­thropes ; mais les ouvriers étaient trop aver­tis pour se lais­ser prendre à ce piège gros­sier. Néan­moins le chô­mage sys­té­ma­ti­que­ment orga­ni­sé, le sou­tien trou­vé par les tâche­rons dans la majo­ra­tion des mar­chés accor­dée par les entre­pre­neurs, firent que bon nombre d’ou­vriers ne purent tra­vailler que dans ces conditions.

L’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle des Entre­pre­neurs de maçon­ne­rie, 12, rue Saint-Mer­ri, sui­vait son plan, tra­cé dans son règle­ment inté­rieur et connu seule­ment des par­ti­ci­pants. Des indis­cré­tions cepen­dant nous le firent connaître : pas­ser des mar­chés avec les four­nis­seurs ; ache­ter des car­rières à plâtre, meu­lières, pierre, chaux, etc., etc., pour empê­cher, dans la mesure du pos­sible, les fluc­tua­tions des prix des maté­riaux ; lut­ter contre les rabais d’ad­ju­di­ca­tion ; res­treindre les frais de devis ; créer des chan­tiers de pierre en com­mun avec moyens de trans­port à pied-d’oeuvre par camions auto­mo­biles, etc., etc. ; et enfin mettre du côté des asso­ciés la main-d’œuvre.

La concur­rence, encore, fit que bon nombre d’en­tre­pre­neurs prirent peur de l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle et s’en reti­rèrent de crainte d’être absor­bés par cette machi­na­tion Vil­le­min et Des­pa­gnat. Le ton tran­chant du grand meneur patro­nal lors des dis­cus­sions en réunion, contri­bua aus­si à en faire esqui­ver un nombre assez respectable.

Nous arri­vons au moment où l’a­bon­dance des tra­vaux oblige l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle à mettre de son côté la main-d’oeuvre. Elle n’a pu y réus­sir par ses oeuvres de jau­nisse et de pres­sion ; la voi­ci obli­gée de cher­cher à com­po­ser avec les syn­di­cats rouges de la maçonnerie.

Du mois d’a­vril au mois d’août de cette année, une série de pour­par­lers sont enga­gés avec la Chambre syn­di­cale ouvrière des tailleurs de pierre et rava­leurs, en vue d’é­ta­blir un contrat de tra­vail. Le tra­vail presse ; les cama­rades tailleurs de pierre et rava­leurs en pro­fitent pour mettre à l’in­dex les bâti­ments où sont employés quelques tâche­rons et pour décla­rer inac­cep­table le contrat débattu.

De son côté la Chambre syn­di­cale de la maçon­ne­rie ne ces­sait point de lut­ter contre le tâche­ron­nat, tant par la pro­pa­gande que par l’ac­tion. L’hi­ver der­nier, elle avait envoyé un ulti­ma­tum au patro­nat, lui deman­dant de se pas­ser des tâche­rons ; elle essuya un refus et n’eut pas la force d’ac­com­plir le geste néces­saire qui décou­lait de ce refus, cela mal­gré la grève décla­rée par les bri­que­teurs pour la même reven­di­ca­tion. C’est alors que les mili­tants voyant les tâche­rons aug­men­ter en nombre, mal­gré leurs efforts ; les col­lec­ti­vi­tés ouvrières de sous-trai­tants, for­mées sous le patro­nage de l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle, pros­pé­rer ; l’or­ga­ni­sa­tion péri­cli­ter de par son impuis­sance contre le tâche­ron­nat, redou­blèrent d’ar­deur : des délé­ga­tions volon­taires — trop peu nom­breuses, hélas ! — par­cou­rurent les chan­tiers de tâche et essayèrent de débau­cher les cama­rades ; néan­moins, en deux jours la moi­tié des chan­tiers de tâche furent déser­tés. Mais ce n’é­tait pas une solu­tion ; les prix supé­rieurs payés par les tâche­rons flat­taient trop l’é­goïsme des indi­vi­dus. Il fal­lait sor­tir de la situa­tion. Une perche fut ten­due par M. Des­pa­gnat, vice-pré­sident des entre­pre­neurs, qui fut ren­con­tré par une de ces délé­ga­tions volon­taires. À pro­pos d’un com­mu­ni­qué paru dans l’Hu­ma­ni­té, il nous écrivait :

Paris, le 21 août 1909.

Mon­sieur Schmitz, secré­taire de la
Chambre syn­di­cale de la Maçonnerie,

Vou­lez-vous me per­mettre de rele­ver quelques inexac­ti­tudes qui se sont glis­sées dans votre « com­mu­ni­qué » paru dans l’Hu­ma­ni­té de ce jour.

1° Je ne suis pas pré­sident de la Chambre syn­di­cale des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie, et tout ce que je vous ai dit l’a été en mon nom personnel.

2° Je suis par­ti­san du contrat de tra­vail et de la sup­pres­sion du tra­vail à la tâche pour les tra­vaux de plâtre. Mais je pré­tends que cette sup­pres­sion ne pour­ra s’ef­fec­tuer qu’au­tant que les ouvriers consen­ti­raient à accep­ter l’é­qui­va­lence du tra­vail et du salaire, et s’en­ga­ge­ront à four­nir une quan­ti­té de tra­vail déter­mi­né pour un salaire déterminé.

Les Trade-Unions anglaises, les Syn­di­cats alle­mands, danois, etc., n’ont pas hési­té à accep­ter cette équi­va­lence. Pour­quoi les Syn­di­cats fran­çais ne veulent-ils pas l’accepter ?

Ils semblent vou­loir com­pli­quer à plai­sir une situa­tion pénible dont il serait extrê­me­ment facile de sor­tir, si cha­cune des par­ties vou­lait y mettre un peu de bonne volonté.

Je mets mes actes d’ac­cord avec mes paroles et je vous mets au défi de citer un nom de tâche­ron de plâtres qui ait exé­cu­té pour mon compte à Paris, des tra­vaux depuis dix ans.

J’ai, il est vrai cette année, confié des tra­vaux à une Socié­té ouvrière, mais je ne l’ai fait qu’a­près que cette Socié­té m’a eu jus­ti­fié qu’elle était consti­tuée léga­le­ment, en confor­mi­té avec la loi de 1807, qu’elle pos­sé­dait un capi­tal et que les béné­fices étaient répar­tis entre tous les asso­ciés et par parts et par por­tions égales. En un mot, qu’elle n’é­tait ni un tâchon­ne­rat dégui­sé ni une col­lec­ti­vi­té de fait.

J’ai cru de mon devoir d’en­cou­ra­ger une ten­ta­tive aus­si inté­res­sante et je ne me serais jamais figu­ré que les ouvriers pou­vaient y voir un inconvénient.

Vou­lez-vous me faire savoir que vous avez été tou­ché par ma com­mu­ni­ca­tion et rece­vez, Mon­sieur, l’as­su­rance de ma consi­dé­ra­tion distinguée.

DESPAGNAT.

C’é­tait bien la perche ten­due. Il fut déci­dé de répondre à cette lettre par la suivante :

Paris, le 22 août 1909.
Mon­sieur Despagnat,
entre­pre­neur de maçonnerie,

En réponse à votre hono­rée du 21 août, rele­vant quelques « inexac­ti­tudes » parues dans l’Hu­ma­ni­té et l’ex­po­sé de diverses concep­tions que vous reven­di­quez personnellement ;

J’ose pen­ser que vous n’at­ta­chez pas une extrême impor­tance à la rec­ti­fi­ca­tion de ces « inexactitudes ».

Je vous affirme être enchan­té de vous savoir par­ti­san de la sup­pres­sion du tra­vail à la tâche, reven­di­ca­tion qui nous est chère et que nous espé­rons voir abou­tir bientôt.

Quant aux ouvriers, ils ne cherchent pas à com­pli­quer la situa­tion à plai­sir, mais sont tou­jours prêts à dis­cu­ter avec MM. les employeurs des ques­tions aux­quelles ils s’in­té­ressent mutuel­le­ment. Je crois être là l’in­ter­prète des ouvriers de ma cor­po­ra­tion, comme je suis assu­ré que la fonc­tion que vous occu­pez près de MM. les entre­pre­neurs vous fait en vos concep­tions l’in­ter­prète de la majo­ri­té de ces messieurs.

Si mon assu­rance n’est pas pré­somp­tueuse, je vous man­de­rai de m’ex­po­ser offi­ciel­le­ment ces concep­tions avant notre assem­blée géné­rale de mer­cre­di, ce qui nous ferait un thème de discussion.

Veuillez, Mon­sieur Des­pa­gnat, rece­voir mes res­pec­tueuses salutations.

Schmitz.

M. Des­pa­gnat répon­dait de suite :

Paris, le 23 août, 1909.
M. Schmitz, secré­taire de la Chambre
syn­di­cale de la maçon­ne­rie, de la pierre, etc.

J’ai l’hon­neur de vous accu­ser récep­tion de votre lettre en date du 22 août 1909.

Je m’empresse de vous infor­mer que j’ai trans­mis immé­dia­te­ment vos desi­de­ra­ta à M. Vil­le­min, pré­sident de la Chambre syn­di­cale, qui ne man­que­ra pas de vous expo­ser offi­ciel­le­ment des concep­tions d’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail qui nous sont du reste communes.

Veuillez agréer, Mon­sieur, l’as­su­rance de ma consi­dé­ra­tion distinguée.

E. DESPAGNAT.

Au reçu de cette lettre, les mili­tants de la maçon­ne­rie déci­dèrent de tout pré­pa­rer pour que fût décla­rée une grève géné­rale de la cor­po­ra­tion. Ain­si, les adhé­rents de l’or­ga­ni­sa­tion ouvrière met­taient d’ac­cord leurs actes avec les réso­lu­tions qu’ils avaient prises anté­rieu­re­ment contre le tâche­ron­nat. Ain­si, en outre, les entre­pre­neurs, qui déjà flé­chis­saient, allaient se trou­ver obli­gés de se pas­ser de leurs tâcherons.

La Chambre syn­di­cale tenait le 25 août, dans la grande salle du Tivo­li-Vaux-Hall, son assem­blée géné­rale. Il y fut don­né connais­sance de la lettre sui­vante de M. Vil­le­min, accom­pa­gnée du pro­jet de contrat patronal :

Paris, le 24 août 1909.
Mon­sieur le secrétaire,

Mon col­lègue M. Des­pa­gnat me com­mu­nique la lettre qu’il vous a adres­sée le 21 août cou­rant et votre réponse du 22 du même mois.

Je n’hé­site pas. à vous dire que non seule­ment nous sommes d’ac­cord, mon col­lègue et moi, sur les prin­cipes qu’il vous a déve­lop­pés dans sa lettre, mais que ces prin­cipes ont été votés par la der­nière assem­blée géné­rale de la Chambre syndicale.

En résu­mé, je puis vous répé­ter que nous sommes par­ti­sans d’un essai loyal du contrat de tra­vail, pré­voyant le tra­vail à la jour­née pour les tra­vaux de plâtre, sous la condi­tion, tou­te­fois, que les ouvriers consentent à accep­ter l’é­qui­va­lence du tra­vail au salaire, c’est-à-dire qu’à un salaire don­né cor­res­ponde un tra­vail déterminé.

Nous esti­mons, en effet, que les ouvriers n’ob­tien­dront la sup­pres­sion du tâche­ron­nat sous la forme actuelle que s’ils res­pectent ces prin­cipes qui, du reste, sont com­mu­né­ment admis par les Syn­di­cats ouvriers de tous les pays où ces sortes de contrats sont en vigueur.

Si vous croyez, confor­mé­ment au deuxième para­graphe de votre lettre, que des pour­par­lers puissent s’ou­vrir à ce sujet, nous sommes tou­jours à votre disposition.

À titre de docu­ment, je vous adresse avec la pré­sente un pro­jet de contrat du tra­vail dont les grandes lignes ont été adop­tées par la Chambre Syn­di­cale et qui pour­rait ser­vir de base pour la discussion.

L’ordre du jour sui­vant clô­tu­ra les dis­cus­sions ; il com­por­tait le vote de la grève :

Les adhé­rents de la Chambre syn­di­cale de la maçon­ne­rie, réunis au Tivo­li-Vaux-Hall, prennent acte de la lettre de M. Vil­le­min, pré­sident de la Chambre syn­di­cale des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie, dans laquelle ceux-ci déclarent être par­ti­sans de la sup­pres­sion du tra­vail à la tâche et d’un essai loyal du contrat collectif.

Les cama­rades, aver­tis de l’ex­pé­rience du pas­sé, leur per­met­tant de n’ac­cor­der qu’une confiance rela­tive en la bonne foi de MM. les entre­pre­neurs, puisque bon nombre de ceux-ci, depuis long­temps pré­ve­nus des reven­di­ca­tions légi­times des ouvriers n’ont rien fait pour y don­ner satis­fac­tion, que contraints et forcés ;

Consi­dé­rant qu’une solu­tion satis­fai­sante peut être rapide, étant don­né le bon vou­loir des entre­pre­neurs et des ouvriers :

Consi­dé­rant que rien ne s’op­pose à la rési­lia­tion des mar­chés entre entre­pre­neurs et tâcherons.

Les cama­rades décident de décla­rer la grève et d’at­tendre qu’un contrat accep­table inter­vienne entre entre­pre­neurs et ouvriers.

Par excep­tion, les cama­rades employés dans les tra­vaux de stuc, les cama­rades démo­lis­seurs ne feront grève que si leur appoint est jugé néces­saire ulté­rieu­re­ment ; ces cama­rades s’en­gagent à ver­ser 1 franc par com­pa­gnon et 0 fr. 50 par gar­çon et par jour pour sou­te­nir le mou­ve­ment de grève ; l’embauche des ouvriers de ces spé­cia­li­tés est sus­pen­due à la date d’aujourd’hui.

Les ouvriers se sont enga­gés à se rendre aujourd’­hui, à l’heure habi­tuelle, sur les chan­tiers, à ramas­ser leurs outils et à entraî­ner les hési­tants : à 10 heures du matin, ils se réuni­ront dans leurs sec­tions res­pec­tives pour y rece­voir leurs cartes de grève.

Pour que cette grève eût des chances d’exer­cer une pres­sion suf­fi­sante sur le patro­nat il fal­lait qu’elle fût véri­ta­ble­ment géné­rale. Il fal­lait s’ef­for­cer de dres­ser contre les entre­pre­neurs de maçon­ne­rie le bloc, des ouvriers de toutes spé­cia­li­tés employés à leur compte : les bri­que­teurs répon­dirent vite à l’ap­pel, oubliant l’i­so­le­ment dans lequel on avait lais­sé leur grève de l’hi­ver der­nier et se jetant har­di­ment dans la mêlée ; il fut conve­nu que les tailleurs de pierre et rava­leurs res­te­raient sur les chan­tiers pour en chas­ser les « renards » ; d’ailleurs, l’i­dée de grève géné­rale les lais­sait froids.

Déci­der la grève géné­rale en réponse aux avances des entre­pre­neurs de la rue de Lutèce ne fut pas du goût de ces mes­sieurs, cela se com­prend sans peine. Inter­viewé, M. Vil­le­min répon­dit en se ser­vant des expres­sions qu’il avait déjà employées à Bor­deaux, au Congrès natio­nal des entrepreneurs :

« Les maçons du syn­di­cat de la Bourse du Tra­vail sont des apaches, des ban­dits avec les­quels il est impos­sible d’a­voir un accord ; les évé­ne­ments vont le prou­ver ; mais qu’im­porte, nous aurons le beau rôle. »

En réponse au contrat des entre­pre­neurs qui devait ser­vir de base de dis­cus­sion, la Chambre syn­di­cale ouvrière de la maçon­ne­rie en éla­bo­ra un autre, en s’ins­pi­rant des dis­cus­sions déjà sou­te­nues par les tailleurs de pierre et de modèles de contrats publiés dans un volume1A. Picart exa­mi­ne­ra, dans un pro­chain numé­ro, ce volume, résul­tat de l’en­quête pour­sui­vie en Alle­magne par les entre­pre­neurs. (Note de la Rédact.) édi­té par l’As­so­cia­tion professionnelle.

La Chambre syn­di­cale des entre­pre­neurs de la rue de Lutèce tint son assem­blée géné­rale le 28 août. Le contrat pré­sen­té par les ouvriers était connu par cette assem­blée mais par la voie de la presse, les ouvriers n’ayant pas cru devoir le lui envoyer. Cette assem­blée don­na pleins pou­voirs à une délé­ga­tion pour trai­ter en son nom avec les délé­ga­tions ouvrières.

Des inci­dents, inhé­rents à toute grève, firent que pas mal de cama­rades se trou­vèrent cof­frés. Cepen­dant l’on put remar­quer que le droit de grève se trou­vait moins vio­len­té par les hordes poli­cières que sous le règne du pre­mier des flics. Les cama­rades qui avaient fait la grève de 1906, par­ti­ci­pé à toutes les mani­fes­ta­tions dans la rue, y com­pris celle de Vil­le­neuve-Saint-Georges, en étaient quelque peu éton­nés. Ils se disaient : Les élec­tions approchent ; dans la cir­cons­crip­tion du ministre du tra­vail, il y a pas mal de maçons ; il tient sa loi sur la sup­pres­sion du mar­chan­dage. On ne cher­chait pas ailleurs les causes d’un peu moins de bru­ta­li­té de la part des flics.

La grève était effec­tive ; de l’a­veu même des patrons, 16.000 ouvriers bat­taient le pavé… et les chan­tiers, à la recherche des renards. Le 6 sep­tembre, les délé­ga­tions ouvrières et patro­nales se ren­con­trèrent rue de Lutèce. Les pour­par­lers furent labo­rieux. Ils durèrent treize heures sans désem­pa­rer, sauf une heure pour se res­tau­rer. Par deux fois, ils faillirent être rom­pus. Les ouvriers vou­laient la dis­pa­ri­tion immé­diate des tâche­rons, selon leur man­dat, et la dis­pa­ri­tion des col­lec­ti­vi­tés de sous-trai­tants. Fina­le­ment, l’on s’ac­cor­da sur les grandes lignes du contrat que nous repro­dui­sons in exten­so un peu plus loin.

Le mou­ve­ment de grève avait été spon­ta­né et de suite avait revê­tu de l’am­pleur, mais cela tenait beau­coup à ce que les cama­rades étaient per­sua­dés qu’il ne pou­vait être de longue durée. Ah ! si les délé­gués ouvriers avaient sen­ti der­rière eux une masse capable de sup­por­ter, comme en 1906, qua­rante-deux jours de grève, les pour­par­lers auraient cer­tai­ne­ment été rom­pus. On ne se serait pas satis­fait à si bon compte. Mais on ne lutte pas impu­né­ment, de toutes ses forces, trois années de suite. Les Ménages, ceux des mili­tants en par­ti­cu­lier, s’en res­sentent. C’est la rai­son pour laquelle les délé­gués tran­si­gèrent. Et comme il fal­lait que cette lutte enta­mée pour la sup­pres­sion du tâche­ron­nat eût des com­bat­tants ardents, à cette reven­di­ca­tion fut jointe une demande d’aug­men­ta­tion de salaires.

Obli­gés d’ac­cep­ter l’é­qui­va­lence du tra­vail au salaire, non par équipe comme ils le pro­po­saient, mais par indi­vi­du et pour huit jours de tra­vail, les délé­gués ouvriers étaient fon­dés à récla­mer une aug­men­ta­tion de salaires. D’a­bord parce que ces prix étaient déjà payés par un grand nombre de mai­sons, puis parce que de l’a­veu même des patrons cer­taines spé­cia­li­tés d’ou­vriers étaient sacri­fiées ; enfin parce que la somme de pro­duc­ti­vi­té était consen­tie en garantie.

Par tac­tique, les entre­pre­neurs allé­guèrent ne pas être aver­tis de cette demande d’aug­men­ta­tion de salaires. Cepen­dant ils en étaient infor­més par le pro­jet de contrat pré­sen­té par les ouvriers, qu’ils avaient connu par voie de presse lors de l’as­sem­blée géné­rale qui leur avait don­né pleins pou­voirs pour trai­ter. Donc, sauf pour les maçons-plâ­triers, dont l’aug­men­ta­tion fut posée seule­ment au cours des débats, les entre­pre­neurs ne pou­vaient exci­per de leur igno­rance pour s’en réfé­rer à une nou­velle assem­blée. Ils escomp­taient qu’en gagnant du temps, les ouvriers se las­se­raient de faire la grève ou que les archi­tectes inté­res­sés à la fin du conflit inter­vien­draient sous la forme d’une aug­men­ta­tion des prix por­tés à la série éla­bo­rée par eux.

En résu­mé les patrons, plus que les ouvriers, avaient besoin du contrat de tra­vail, en rai­son du grand nombre de tra­vaux en pers­pec­tive, et pour mettre la main-d’oeuvre de leur côté au détri­ment des entre­pre­neurs de la Chambre syn­di­cale indépendante.

Le gou­ver­ne­ment, lui, tenait à ce que l’ac­cord se fît entre patrons et ouvriers, la sup­pres­sion du mar­chan­dage et le contrat col­lec­tif étant au pro­gramme minis­té­riel. Aus­si, des offres de ser­vice furent-elles faites à la Chambre syn­di­cale de la maçon­ne­rie pour lui four­nir les docu­ments propres à l’é­clai­rer dans l’é­la­bo­ra­tion du pro­jet de contrat de tra­vail, et pour l’é­lar­gis­se­ment des cama­rades arrê­tés arbi­trai­re­ment par une police habi­tuée à tra­quer les gré­vistes plus féro­ce­ment que les apaches.

Quand le Ministre du Tra­vail sut que l’ac­cord était conclu sur la ques­tion du tâche­ron­nat et que seule la ques­tion des salaires res­tait encore pen­dante, esti­mant sans doute que cette der­nière ques­tion était secon­daire, devant le mou­ve­ment de grève pre­nant de l’am­pleur en ban­lieue, les forces de police furent tri­plées, des sol­dats firent leur appa­ri­tion. C’é­tait dire aux ouvriers : Accor­dez-vous avec les patrons ; les salaires on s’en f.…

Mais quand l’on apprit que les ouvriers étaient déci­dés à ren­trer sur les chan­tiers sans condi­tions, plu­tôt que de signer un accord for­cé et qu’a­lors le maté­riel des entre­pre­neurs pour­rait en souf­frir et la grève sur le tas se conti­nuer, comme au len­de­main de 1906, l’in­ter­ven­tion des archi­tectes s’imposa.

On com­prend faci­le­ment que les archi­tectes ayant éla­bo­ré et mis au monde une série de prix quelques jours aupa­ra­vant, ne pou­vaient désa­vouer leur oeuvre. Ils esti­maient pro­ba­ble­ment que ces prix étaient suf­fi­sam­ment éle­vés pour que les entre­pre­neurs, tout en payant les salaires deman­dés par les ouvriers, puissent encore réa­li­ser d’ap­pré­ciables béné­fices. En tout cas, ils esti­mèrent que puis­qu’il y avait une pilule à ava­ler, il valait mieux que ce soient les entre­pre­neurs qui l’avalent.

Les archi­tectes se réunirent et se mon­trèrent posés à conclure dans le sens indi­qué. Cela ne leur coû­tait pas plus cher qu’aux entre­pre­neurs, puisque les ouvriers s’en­ga­geaient à four­nir un ren­de­ment de tra­vail cor­res­pon­dant aux salaires deman­dés et que des inter­mé­diaires se trou­vaient supprimés.

Les consi­dé­rants de leur sen­tence média­trice indiquent net­te­ment aux entre­pre­neurs et aux ouvriers ce qu’ils entendent pour rame­ner le calme dans les chantiers.

La Socié­té d’ar­chi­tectes, consi­dé­rant, d’une part, qu’une aug­men­ta­tion de salaires peut pro­duire, si elle n’est pas limi­tée, une dimi­nu­tion du tra­vail et entraî­ner le chômage ;

Consi­dé­rant, d’autre part, qu’un contrat de tra­vail vient d’être signé entre la Chambre syn­di­cale patro­nale de la rue de Lutèce et la Chambre syn­di­cale ouvrière de la maçonnerie ;

Que ce contrat est valable jus­qu’au 31 décembre 1910.

Qu’il est de nature à créer une sta­bi­li­té des mar­chés qui n’exis­tait pas encore, et qu’il en résulte un avan­tage notable pour les tra­vaux du bâtiment.

Consi­dé­rant que, dans ce contrat, les ouvriers se sont enga­gés à don­ner un ren­de­ment de tra­vail cor­res­pon­dant aux salaires payés.

Consi­dé­rant, en outre, qu’il résulte des décla­ra­tions des par­ties qu’un cer­tain nombre d’ou­vriers sont actuel­le­ment payés au tarif récla­mé par la Chambre syn­di­cale ouvrière ;

Sur la ques­tion du délai d’ap­pli­ca­tion du tarif des salaires :

Consi­dé­rant que l’in­té­rêt majeur des pro­prié­taires, des entre­pre­neurs et des ouvriers exige une prompte solu­tion du conflit actuel :

Émettent l’a­vis dans ces conditions :

1° Qu’il y aurait lieu d’ac­cor­der aux ouvriers les aug­men­ta­tions deman­dées, savoir : Maçons, 0 fr. 95 ; limou­si­nants 0 fr. 85 ; gar­çons maçons, 0 fr. 70 ; gar­çons limou­si­nants 0 fr. 65 ; poseurs, 1 fr. ; pin­ceurs, 0 fr. 90 ; bar­deurs, 0 fr 80 ; tailleurs de pierre, 1 fr. ; rava­leurs, 1 fr. 30 ; scieurs de pierre tendre, 1 fr. ; piqueurs de moel­lons, 1 fr. ; bri­que­teurs, 1 fr. ; aides-bri­que­teurs, 0 fr. 70 ; tour­neurs de treuils de bri­que­teurs et de maçons, 0 fr. 75 ; gar­diens de nuit, 4 fr. ;

2° D’ap­pli­quer ce tarif dès la reprise du travail :

Pour la Socié­té cen­trale des archi­tectes fran­çais : M. ROZET.
Pour la Socié­té des archi­tectes diplô­més par le gou­ver­ne­ment : M. LOUIS BONNIER.
Pour la Socié­té natio­nale des archi­tectes fran­çais : M. CHRISTIE.
Pour la Socié­té des diplô­més de l’É­cole spé­ciale d’ar­chi­tec­ture : M. GEORGES GUET.

Quatre cents entre­pre­neurs de la Chambre syn­di­cale de la rue de Lutèce ont accep­té le contrat de tra­vail. Cin­quante entre­pre­neurs de la Chambre syn­di­cale indé­pen­dante, dont le siège est à la Bourse du com­merce, ont accep­té le taux des salaires, mais ont décla­ré devant les archi­tectes ne pas vou­loir du contrat, dont voi­ci le texte :

Entre la Chambre syn­di­cale des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie de la Ville de Paris et du dépar­te­ment de la Seine, 1 rue de Lutèce, d’une part ;

Et la Chambre syn­di­cale ouvrière de la maçon­ne­rie de la pierre et des par­ties simi­laires du dépar­te­ment de la Seine d’autre part ; le pré­sent contrat a été conclu :

ARTICLE PREMIER. ― Domaine d’application du contrat.

Ce contrat est Valable pour tous les chan­tiers situés dans Paris.

Un accord ulté­rieur et un ave­nant au contrat seront éta­blis pour le sur­plus du dépar­te­ment de la Seine.

ARTICLE 2. — Durée du travail.

Les heures de tra­vail sont fixées comme suit :

10 heures pen­dant les mois de Mars à Octobre inclusivement.

9 heures pen­dant les mois de Novembre et Février ;

8 heures pen­dant les mois de Décembre et Janvier ;

En cas de pénu­rie de tra­vaux ou de chô­mage anor­mal, une réduc­tion des heures de tra­vail jour­na­lier ci-des­sus fixées pour­ra avoir lieu après déci­sion de la Com­mis­sion mixte pré­vue à l’ar­ticle 8 ci-des­sous, laquelle sera convo­quée par la par­tie la plus diligente.

De même la Com­mis­sion mixte déter­mi­ne­ra la date où il y aurait lieu de reve­nir à la jour­née de tra­vail telle qu’elle a été fixée ci-dessus.

ARTICLE 3. — Détermination des jours de repos

Pen­dant la période qui s’é­cou­le­ra du jour de la signa­ture du contrat au 31 décembre 1910, les repos heb­do­ma­daires pré­vus par la loi du 13 juillet 1906, et les jours fériés seront appli­qués confor­mé­ment au tableau ci-annexé.

En cas de tra­vaux urgents pour répa­ra­tions ou ins­tal­la­tions de théâtres, usines et tra­vaux sem­blables, en cas de tra­vaux dont l’exé­cu­tion immé­diate est néces­saire pour orga­ni­ser des mesures de sau­ve­tage pour pré­ve­nir des acci­dents immi­nents ou répa­rer des acci­dents sur­ve­nus au maté­riel, aux ins­tal­la­tions ou aux bâti­ments de l’é­ta­blis­se­ment, le repos heb­do­ma­daire sera sus­pen­du pour le per­son­nel néces­saire à l’exé­cu­tion de ces tra­vaux (Art. 4 de la loi du 13 juillet 1906).

Pour les années sui­vantes, et dans le cas de renou­vel­le­ment du contrat, par tacite recon­duc­tion, les repos heb­do­ma­daires seront pré­vus d’a­près un tableau éta­bli par la com­mis­sion mixte dans le cou­rant du pre­mier trimestre.

ART. 4. — Salaires.

Les salaires par heure seront fixés d’un com­mun accord de la façon suivante :

Maçon 0,95
Pin­ceur 0,90
Limou­si­nant 0,85
Bar­deur 0,80
Gar­çon maçon 0,70
Tour­neur de treuil 0,75
Gar­çon limou­si­nant 0,65
Garde de nuit (par nuit) 4
Poseur 1

Les ouvriers s’en­gagent à four­nir un ren­de­ment de tra­vail pro­por­tion­nel au salaire et tel qu’il sera déter­mi­né dans un tableau annexé au pré­sent contrat et dres­sé par la com­mis­sion mixte.

Ce tableau sera éta­bli d’a­près les bases de la série éla­bo­rée par la Socié­té cen­trale des archi­tectes fran­çais et la Socié­té des archi­tectes diplô­més par le gou­ver­ne­ment, adop­tée par le sous-secré­ta­riat d’É­tat des Beaux-Arts pour le règle­ment des tra­vaux des bâti­ments civils et palais nationaux.

Le contrôle du ren­de­ment se fera sur une durée de huit jours de travail.

Lorsque l’ou­vrier habi­tant et tra­vaillant à Paris sera envoyé par son patron pour tra­vailler dans les com­munes de la péri­phé­rie, il lui sera tenu compte des frais de trans­port hors bar­rière aller et retour et du temps qui lui sera néces­saire pour se rendre sur le chan­tier à par­tir du point d’ar­rêt le plus rap­pro­ché des moyens de trans­port en com­mun. (Voir éven­tuel­le­ment la ques­tion de temps pour se rendre au travail.)

Pour les tra­vaux exé­cu­tés dans les loca­li­tés du dépar­te­ment de la Seine, et qui obli­ge­raient l’ou­vrier à cou­cher hors de son domi­cile, ain­si que pour les tra­vaux exé­cu­tés dans les dépar­te­ments autres que celui de la Seine, il est dû des frais de dépla­ce­ment fixés à deux francs par jour.

Pour les villes d’eaux, sta­tions bal­néaires, mari­times ou autres, un tableau annexé au pré­sent contrat et déter­mi­né par la Com­mis­sion mixte, pré­voi­ra le taux des frais de déplacement.

Les prix pour tra­vaux exé­cu­tés à l’é­tran­ger seront lais­sés au libre accord entre le patron et l’ouvrier.

Un délai-congé de trois jours sera d’u­sage pour tout ouvrier en dépla­ce­ment hors du dépar­te­ment de la Seine.

Les heures sup­plé­men­taires de tra­vail, c’est-à-dire les deux heures qui sui­vront la fin de la jour­née de tra­vail don­ne­ront lieu à une aug­men­ta­tion de salaire de 25% par heure.

Les heures de nuit, c’est-à-dire celles com­men­çant deux heures après la fin de la jour­née de tra­vail, don­ne­ront lieu à une aug­men­ta­tion de salaire de 100% par heure.

Les entre­pre­neurs de maçon­ne­rie s’in­ter­disent d’employer des ouvriers quels qu’ils soient, adhé­rents ou non au pré­sent contrat, dans des condi­tions autres ou à des salaires dif­fé­rents de ceux pré­vus ci-des­sus, sauf pour les excep­tions pré­vues à l’ar­ticle 9.

De leur côté, les ouvriers s’in­ter­disent de signer des contrats dif­fé­rents avec d’autres orga­ni­sa­tions, de tra­vailler chez des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie quels qu’ils soient, adhé­rents ou non au pré­sent contrat, dans des condi­tions autres ou à des salaires dif­fé­rents de ceux pré­vus ci-des­sus, sauf pour les excep­tions pré­vues à l’ar­ticle 9.

Des inci­dents, ne peuvent être sou­le­vés du fait de l’emploi simul­ta­né d’ou­vriers syn­di­qués ou non syn­di­qués, aucune mesure concer­nant l’af­fi­lia­tion aux syn­di­cats ne peut être prise contre les ouvriers.

ART. 5. ― Mode d’exécution du travail.

Limou­si­ne­rie. — Les tra­vaux de plâtre seront exé­cu­tés la journée.

Bar­dage. ― La tâche banale est main­te­nue dans les mai­sons où elle existe.

En ce qui concerne les tra­vaux exé­cu­tés par les tâche­rons et les socié­tés ouvrières, il est enten­du que tous les tra­vaux trai­tés ou en cours d’exé­cu­tion à la date du 28 août 1909, et dont la liste figure ci-après, seront pour­sui­vis jus­qu’à leur com­plet achèvement.

Les entre­pre­neurs s’en­gagent à n’en point trai­ter ni exé­cu­ter d’autres pen­dant la durée du pré­sent contrat.

Au cas où des mar­chés auraient été pas­sés après cette date, le bureau de la Chambre syn­di­cale s’en­gage à faire tous ses efforts pour arri­ver à leur rési­lia­tion par tous les moyens mis à sa dis­po­si­tion par la loi.

Dans le cas où il ne pour­rait l’ob­te­nir, le bureau devra en avi­ser la Com­mis­sion mixte et, en tous cas, il ne pour­ra en résul­ter aucune accu­sa­tion de déloyau­té ni la rup­ture des pré­sentes conventions.

Les entre­pre­neurs signa­taires du pré­sent contrat qui emploie­ront, pour des tra­vaux ulté­rieurs en dehors de ceux pré­vus au para­graphe 2 du pré­sent article, le mode de tra­vail par socié­tés ouvrières léga­le­ment consti­tuées, ne vio­le­ront pas le contrat à la condi­tion que le tra­vail soit exé­cu­té uni­que­ment par des ouvriers asso­ciés, res­tant enten­du que ces tra­vaux ne pour­ront être confiés pen­dant la durée du pré­sent contrat qu’aux socié­tés exis­tantes à la date du 28 août 1909 et dont le nombre des com­pa­gnons asso­ciés ne pour­ra excé­der 20 pour chaque société.

ART. 6. — Paiement des salaires.

La paie se fera tous les mois.

Les acomptes seront don­nés le mer­cre­di et le same­di à la condi­tion que la demande en soit faite la veille.

Si la paie se fait au bureau de l’en­tre­pre­neur, il sera tenu compte aux ouvriers d’une demi-heure pour se rendre à la paie.

ART. 7. — Conditions particulières du travail.

Tout ouvrier âgé de moins de 18 ans sera tenu d’en faire la décla­ra­tion au moment de son embau­chage et de reti­rer un récé­pis­sé de sa déclaration.

Faute par lui d’a­voir rem­pli cette double obli­ga­tion vis-à-vis de l’en­tre­pre­neur, il sera res­pon­sable des consé­quences que son emploi dans le chan­tier pour­rait avoir pour celui-ci.

Tout ouvrier est tenu de suivre les pres­crip­tions arrê­tées et affi­chées dans le chan­tier en vue de pré­ve­nir les acci­dents du travail.

D’autre part, les écha­fau­dages devront être éta­blis par les soins des patrons, dans des condi­tions de soli­di­té don­nant toutes garanties.

ART. 8. — Arbitrage en cas de désaccord.

Il est for­mé une Com­mis­sion, arbi­trale mixte per­ma­nente com­po­sée pour chaque spé­cia­li­té de quatre entre­pre­neurs, membres de la Chambre syn­di­cale des entre­pre­neurs de maçon­ne­rie et de quatre délé­gués ouvriers, membres du Syn­di­cat ouvrier à choi­sir par­mi les par­ties contractantes.

Toutes les dif­fi­cul­tés rela­tives à l’exé­cu­tion du contrat ain­si que les dif­fi­cul­tés sur­ve­nues entre employeurs et employés, seront sou­mises à la Com­mis­sion mixte qui aura pleins pou­voirs pour les trancher.

Si les membres de la Com­mis­sion mixte ne tom­baient pas d’ac­cord pour régler le dif­fé­rend, celui-ci sera sou­mis à un tiers arbitre qui déci­de­ra définitivement.

Le tiers arbitre sera nom­mé par les membres de la Commission.

En cas de désac­cord sur le choix du tiers arbitre, les par­ties contrac­tantes devront en réfé­rer à la déci­sion du pré­sident du Tri­bu­nal civil de la Seine.

Les par­ties contrac­tantes s’en­gagent à res­pec­ter la déci­sion arbi­trale ; aucune grève, arrêt de tra­vaux ou autres mesures sem­blables ne pour­ront avoir lieu jus­qu’à l’ex­pi­ra­tion du contrat.

ART. 9. — Généralités.

Un ce qui concerne le mode d’embauchage et de débau­chage, il n’est appor­té aucune modi­fi­ca­tion aux us et cou­tumes de la corporation.

L’embauchage et le congé dépendent de la libre déci­sion de l’employeur.

L’en­trée des chan­tiers est défen­due, sauf auto­ri­sa­tion du patron, à toute per­sonne non employée aux tra­vaux. Une heure de pré­avis est néces­saire pour la débauche des com­pa­gnons et au cas où l’ou­vrier, par suite de néces­si­té de tra­vail, serait en cor­vée et ne pour­rait avoir de ce fait et son outillage près de lui, il lui serait tenu compte du temps néces­saire pour ras­sem­bler son outillage.

Dans les bâti­ments, des abris clos et cou­verts, fer­més à clef seront amé­na­gés pour le dépôt des vête­ments et de l’outillage.

En ce qui concerne les inva­lides, ouvriers affai­blis par l’âge, jeunes ouvriers n’ayant pas leur capa­ci­té entière de tra­vail, appren­tis, etc., un salaire moindre pour­ra être payé et la déter­mi­na­tion de ce salaire lais­sée au libre accord entre l’ou­vrier et le patron qui l’emploiera.

Ces prix devront être homo­lo­gués par la Com­mis­sion mixte.

ART. 10. ― Durée du contrat.

Le pré­sent contrat est valable pour une période de un an qui com­men­ce­ra à cou­rir le … pour se ter­mi­ner le 31 décembre 1910.

Il se renou­vel­le­ra par tacite recon­duc­tion à par­tir du 31 décembre 1910 pour de nou­velles périodes de deux années.

Toutes pro­po­si­tions rela­tives à des modi­fi­ca­tions à intro­duire pour le renou­vel­le­ment ou pour la dénon­cia­tion des conven­tions ci-des­sus, devront être signi­fiées par simple lettre recom­man­dée trois mois avant le terme d’ex­pi­ra­tion du pré­sent contrat.

Ce contrat étant fait de bonne foi de la part des deux par­ties, il est stric­te­ment sti­pu­lé que les patrons et les ouvriers adhé­rents aux pré­sentes conven­tions ne pour­ront prendre aucun enga­ge­ment écrit ou ver­bal sus­cep­tible d’en modi­fier les clauses ou de les détruire.

Le pré­sent contrat sera dépo­sé au secré­ta­riat du Conseil les prud’­hommes du dépar­te­ment de la Seine.

La chambre syn­di­cale indé­pen­dante des entre­pre­neurs avait été pré­ve­nue par les ouvriers avant la signa­ture du contrat, qu’ils étaient dis­po­sés à prendre les mêmes enga­ge­ments avec elle. Les entre­pre­neurs de cette chambre syn­di­cale indé­pen­dante, vou­lant signi­fier hau­te­ment leur indé­pen­dance et bien mar­quer qu’ils ne vou­laient pas mar­cher à la remorque de l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle de la rue St-Mer­ri, sont tou­te­fois déci­dés à accep­ter les clauses du contrat, mais sans les signer ; ils acceptent en fait parce qu’ils sentent bien que la pous­sée ouvrière les y contraindra.

Les maçons, habi­tués main­te­nant à l’ac­tion directe, ne paraissent pas dis­po­sés à chan­ger de tac­tique. Ils ont d’ailleurs, momen­ta­né­ment, de quoi conten­ter leur tem­pé­ra­ment : le nombre des entre­pre­neurs récal­ci­trants est assez éle­vé pour don­ner un ali­ment à leur esprit de lutte. De plus, ils savent par­fai­te­ment que le tâche­ron­nat ne sera abat­tu com­plè­te­ment que lorsque eux-mêmes auront la conscience de l’a­battre, et toute faci­li­té leur est don­née puisque les entre­pre­neurs recon­naissent eux aus­si que le tâche­ron­nat est main­te­nant contraire à leurs intérêts.

Schmitz

  • 1
    A. Picart exa­mi­ne­ra, dans un pro­chain numé­ro, ce volume, résul­tat de l’en­quête pour­sui­vie en Alle­magne par les entre­pre­neurs. (Note de la Rédact.)

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