Je sais que vous tournez en dérision ceux à qui leurs cheveux blancs n’interdisent pas d’aimer,
car je vous connais bien, vous qui prétendez que l’amour n’a qu’un temps,
et qui, persiflant, accommoderiez ainsi l’alexandrin du fabuliste :
« Passe encor de bâtir, mais aimer à cet âge » s’il était toutefois présent à votre mémoire.
Je vous connais bien, mais je ne crains pas de relever le défi ;
sournois ou exprimés, vos sarcasmes me laissent indifférent et je ne les redoute pas,
car je me sens de la race de ceux qui ont chéri la vie jusqu’à leur soupir ultime
et, sages parmi les sages, ont compris que si l’amour ne l’ennoblit pas jusqu’à la fin,
elle ne vaut pas la peine d’être vécue.Je me sens de la race de ceux qui, jusqu’au bord du noir abîme dont nul n’est jamais remonté,
sont capables de tendresse et d’amour et de fidélité à leur tendresse et à leur amour.
Je veux qu’il en soit ainsi, archer qui tend à l’extrême l’arc de sa volonté,
je le veux parce que j’obéis ainsi à l’impulsion de mon énergie naturelle,
je le veux ainsi, parce qu’en cette obéissance, j’affirme ma personnalité.
Sans doute ai-je de l’amour une autre conception que la vôtre,
car j’ai surpris plusieurs d’entre vous s’entretenant de ces choses si bassement ,
qu’il m’est arrivé d’avoir honte d’appartenir à l’espèce humaine, de me dégoûter d’être un homme !Ah ! ne me parlez plus de la Grèce et du miracle grec !
Ces sources sacrées et ces collines inspirées et toutes ces forces de la nature que les grecs avaient déifiées,
elles existaient depuis que le monde était monde et n’avaient rien perdu de leur fraîcheur.
L’émersion de l’Ida, celle de l’Olympe, remontait à quelque lointain plissement géologique,
Apollon, Dionysos, Eros, Pan, les nymphes, les satyres, les faunes, les sylvains
n’avaient point permis au temps de mordre sur leur éternité,
et ce miracle grec qui n’a jamais effleuré votre front de son aile,
consista à douer de tant d’immortelle jeunesse les dieux les plus anciens,
que lorsqu’ils aimaient ils avaient toujours vingt ans ! !
(20 novembre 1941 E. ARMAND).