La Presse Anarchiste

Haute école

Nous sommes assu­jet­tis, en matière d’enseignement et d’éducation, au sys­tème des réal­ités qui ne doivent pas être con­nues, des vérités qui ne doivent pas être enseignées. Sys­tème fort ancien : dès la plus loin­taine préhis­toire, sans aucun doute, ceux qui savaient ont mis la lumière sous le bois­seau. C’est très humain, – très « darwinien ».

Mais il va de soi que, l’esprit de l’homme ne pou­vant demeur­er bénév­ole­ment dans l’ignorance absolue de ce qui le con­cerne, de ce à quoi il est vitale­ment intéressé, il faut jeter quelque chose en pâture à sa curiosité : d’où l’organisation du men­songe sur tous les plans de l’existence.

Au savoir réel, on sub­stitue un savoir fictif.

Le résul­tat glob­al, on peut le voir. Inutile de le décrire : il est assez évident.

Seul par­mi ceux que l’on soumet à ce régime intel­lectuel, des indi­vid­u­al­istes, êtres que les pro­hi­bi­tions inci­tent pré­cisé­ment, et avec rai­son, à vouloir con­naître, on pu, pour leur pro­pre compte, arracher le vrai savoir à ceux qui s’en fai­saient un mono­pole jalouse­ment gardé.

Mais la masse con­tin­ue à favoris­er ce sys­tème, n’ayant pas l’intelligence de prof­iter de l’expérience que ces fils de Prométhée ont acquise en ce domaine et qu’ils n’entourent pas de défens­es, eux.

Tu ne sais pas même, ô masse, ramass­er les miettes qui, au fes­tin de la con­nais­sance, tombent de la table des individualistes.

— O —

L’humanité vit sur un échafaudage de planch­es pour­ries et elle s’étonne chaque fois qu’un effon­drement se produit.

Son échafaudage, ça s’appelle « Dieu », la Bonne Nature, la cause finale, le libre arbi­tre et autres calembredaine.

Com­ment être en sécu­rité sur de pareils men­songes ou sur de sem­blables illusions ?

— O —

Que tu aies « foi en quelque chose », cela m’indiffère – ou plutôt cela me per­met, sim­ple­ment, ce que tu vaux intel­lectuelle­ment : pas cher.

Le seul fait qui, en cet ordre d’idées, ait à mes yeux une réelle impor­tance, c’est qu’on ait sci­ence en quelque chose.

— O —

Le prob­lème de la défense de l’individu con­tre l’emprise du monde ambiant con­siste à n’être vic­time ni des fic­tions dont les dirigeants du milieu et leurs esclaves s’efforcent de lui impos­er le culte, ni des réal­ités atten­ta­toires à son indi­vid­u­al­ité que ces fic­tions ont pour objet de justifier.

L’attitude de l’individu en leur présence dérive de sa mentalité.

C’est là qu’est le principe de sa défense.

Car il est évi­dent que s’il sert un culte aux entités fic­tives, il sera logique­ment amené à se soumet­tre, de gré ou de force, aux réal­ités dont elles sont le masque et la justification.

Si l’individualisme a des fonde­ments physiques et économiques, il a aus­si des fonde­ments intel­lectuels qui, dans la fil­i­a­tion de la déter­mi­na­tion de l’individualité réelle, précè­dent les autres.

— O —

Il n’est pas vrai que l’esprit d’analyse, l’amour de la sci­ence, le goût de la logique et autres qual­ités ana­logues dont peut être doué un indi­vidu fasse s’évanouir le charme qu’on peut trou­ver dans la vie.

Elles ne font qu’ennoblir et raf­fin­er ce charme.

— O —

Une des pre­mières tâch­es de l’apprentissage du réfor­ma­teur révo­lu­tion­naire est d’apprendre à con­tem­pler sans émo­tion la réal­ité toute nue.

— O —

– Crétinot-Pom­pon, l’éminent pro­fesseur de philoso­phie vient de se proclamer par­ti­san du libre examen.
– Bravo !
– Toute­fois, il fait une légère réserve : ce doit être un libre exa­m­en dirigé…

— O —

Tu as beau­coup d’amis, dis-tu, sous-enten­dant par là que, puisque beau­coup de gens t’approuvent, tes idées ont de la valeur et de la force.

Mais je me méfie de la valeur et de la force des idées de celui qui a une foule d’amis.

Ce serait plutôt pour moi un indice du contraire.

— O —

Observe ce cochon de Torte­cuisse : comme il est heureux d’abattre les branch­es de ce beau mar­ronnier, sous pré­texte que sa frondai­son l’empêche, lui, de respir­er : Ce ne sera bien­tôt plus qu’un tronc.

On se donne tou­jours une « rai­son », un masque !

Il lutte, en réal­ité, con­tre cette vie, gra­tu­ite­ment, pour le plaisir.

C’est un sadique et il trou­ve là une schaden­feude. Plaisir de nuire ! Torte­cuisse est heureux des blessures qu’il inflige à cet être vivant, encore que celui-ci soit muet et ne puisse hurler de douleur – à cet être vivant qui sent ( […] Jagadis Bose l’a prou­vé, mais lui, Torte­cuisse, ne fait que l’imaginer, et c’est suff­isant), à cet être qui souf­fre sans mur­mur­er et qui ne s’insurgera pas puisqu’il est enrac­iné, immobile.

C’est le même Torte­cuisse qui, à la foire, se com­plait au jeu de mas­sacre et apporte tant d’acharnement à faire tomber les têtes.

Torte­cuisse est, paraît-il, notre « semblable »…

— O —

Dans l’Avertissement qui précède son Belphé­gor[[14e éd. (Paris, 1924, p. VII.]], M. Julien Ben­da rap­pelle cette pen­sée d’une femme du XVI­I­Ie siè­cle, Mme Lam­bert : « J’appelle peu­ple tout ce qui pense basse­ment ; la cour en est remplie ».

Autrement dit : aris­to­cratie – peu­ple. D’autre part, Flaubert dis­ait : « j’appelle bour­geois l’homme qui pense bassement ».

Que reste-t-il donc dans l’humanité pour fig­ur­er l’idéal bioesthétique ?

– L’endehors.

— O —

Lorsqu’on avance en âge et qu’on est devenu scep­tique, il peut encore arriv­er qu’on soit vic­time, mais on n’est jamais dupe.

— O —

Ce qui, dans la pour­suite du bon­heur, a peut-être le plus d’importance, c’est de savoir quelles sont les choses sans importance.

— O —

Cinquante ans : son don­qui­chot­tisme s’est évanoui…

Aé ! c’est qu’il en a vu, de l’humanité !

Manuel Devaldés.