Nous heurtons souvent des idées faites ou couramment admises dans les milieux révolutionnaires qui nous sont les plus proches, et aux yeux de nombre de ceux qui se contentent des explications et des raisonnements généralement répandus, nous sommes parfois suspects de déviationnisme. Mais cela ne nous empêche pas de continuer à juger les choses en toute indépendance de pensée, en nous efforçant de toujours mieux les connaître.
Car les choses, quelles qu’elles soient, ne sont simples que quand on ne les approfondit pas ; et, fatalement, nous sommes en désaccord avec les explications superficielles, même si celles-ci paraissent profondes pour ceux qui n’y connaissent rien.
Par exemple, les problèmes d’Amérique centrale et du Sud, dont nous nous sommes occupés, et continuerons de nous occuper, ne peuvent s’expliquer, pour qui a vécu dans ces régions et suivi pas à pas leur évolution, par l’influence de l’impérialisme nord-américain, tarte à la crème de ceux qui ignorent tout de l’histoire humaine, économique et politique, des traditions, des mœurs, des conflits raciaux, des structures traditionnelles, des castes et des couches sociales enracinées dans les différentes nations de cette partie du monde. La grande propriété agraire, la pratique généralisée de l’usure, la bureaucratie pullulante, le militarisme, les luttes des partis, l’absence de civilité, l’amoralité et l’immoralité qui sévissent depuis des siècles sont les causes premières et dominantes de la situation des populations pauvres, et avec ou sans impérialisme nord-américain le sort de celles-ci serait ce qu’il est. À tel point qu’un journaliste anarchiste, de toute sa vie, écrivait dernièrement dans le Monde, devant les luttes acharnées et stérilisantes des partis et des syndicats, que la seule perspective d’organisation et de structuration de la Bolivie ne semblait être possible que par l’armée. Cela nous semble monstrueux, et pourtant…
Autre problème : celui de l’Algérie. On sait que nous n’avons jamais été emballés par le nationalisme algérien. Une des raisons était l’impossibilité, dans les conditions hier prévisibles, pour l’Algérie de se suffire à elle-même. Si le régime tient jusqu’à maintenant, c’est grâce à l’aide nord-américaine qui maintient physiquement 2.500.000 personnes, à celle de sociétés protestantes qui en maintiennent environ six cent mille et aux copieux subsides accordés par le général de Gaulle. Sinon, tout se serait déjà écroulé.
Autre problème encore. Luce Ottié montre dans l’article que nous publions que l’État n’est pas, fatalement, l’instrument des trusts ; qu’au contraire, il les combat souvent, principalement aux U.S.A. Cela aussi tranche avec les affirmations catégoriques, les articles de foi obligatoires auxquels nous sommes habitués.
On pourrait ajouter d’autres exemples. La place nous manque. L’essentiel est que, toujours animés par une inflexible volonté de vérité, nous n’acceptons pas les explications simplistes, paresseuses et fausses, périmées, les mensonges partisans et les tabous théoriques. Si tous les révolutionnaires agissaient ainsi, ils éviteraient bien des déductions et des positions fausses qui ne mènent qu’à des défaites.