La Presse Anarchiste

Compte-rendu du massacre de Tian’anmen par un témoin oculaire

Le texte qu’on va lire a paru pour la pre­mière fois dans le Wen­hui bao de Hong Kong du 5 juin 1989. C’est le tout pre­mier témoi­gnage sur les mas­sacres de Pékin que nous pos­sé­dions. Il a été repris, notam­ment, dans un cahier spé­cial publié par Ming­bao chu­banshe, inti­tu­lé « Beiz­huang de minyun » [le pathé­tique mou­ve­ment pour la démo­cra­tie] (Hong Kong, juin 1989). Nous l’a­vons tra­duit d’a­près cette der­nière version.

A. Pin­to

Je suis un étu­diant de l’U­ni­ver­si­té Qing­hua. J’ai vingt ans. La nuit der­nière, je suis res­té assis tout le temps sur les marches de l’es­ca­lier du monu­ment aux héros du peuple [de la place Tian’an­men] et j’ai assis­té à tout le dérou­le­ment de l’é­cra­se­ment du sit-in des étu­diants et des citoyens par les sol­dats qui tiraient sur eux.

Un bon nombre de mes cama­rades étu­diants ont été tués à coups de feu. Des taches de leur sang sub­sistent sur mes vête­ments. Sur­vi­vant chan­ceux et témoin ocu­laire, je veux racon­ter tout ce que je sais des fusillades et des meurtres aux bonnes gens du monde entier qui aiment la paix.

Pour être franc, nous avions eu hier après-midi une infor­ma­tion selon laquelle l’ar­mée allait vrai­ment pas­ser à la répres­sion. En effet, aux alen­tours de 4 heures de l’a­près-midi, une per­sonne qui n’a pas sou­hai­té révé­ler son iden­ti­té, a don­né un coup de télé­phone (le coup de télé­phone a été envoyé depuis le poste télé­pho­nique d’une ruelle située à proxi­mi­té de la place. Les gens du poste ont appe­lé un des res­pon­sables étu­diants pour qu’il prenne la com­mu­ni­ca­tion). Cette per­sonne, au télé­phone, nous a indi­qué clai­re­ment que la troupe s’ap­prê­tait à net­toyer la place par la force. Cette infor­ma­tion nous a pla­cés sur le qui-vive. Après en avoir déli­bé­ré d’ur­gence, nous avons arrê­té un cer­tain nombre de mesures, en vue de détendre le conflit et d’é­vi­ter une effu­sion de sang.

À ce moment-là, nous, les étu­diants, nous dis­po­sions de 23 fusils d’as­saut et de quelques obus incen­diaires dont nous nous étions empa­rés, deux jours plus tôt lorsque s’é­taient pro­duits les affron­te­ments avec l’ar­mée. L’U­nion auto­nome des étu­diants., après s’être réunie, a déci­dé, pour réaf­fir­mer notre inten­tion pre­mière de « pro­mo­tion de la démo­cra­tie par la non-vio­lence » de res­ti­tuer immé­dia­te­ment les fusils et les obus à l’ar­mée char­gée d’im­po­ser la loi mar­tiale. Mais, hier au soir, quand, sous le por­trait du pré­sident Mao, qui orne la tour du rem­part de Tian’an­men, nous avons contac­té l’ar­mée à ce pro­pos, un offi­cier nous a indi­qué qu’il avait reçu de ses supé­rieurs la consigne de ne rien accepter.

Durant la nuit, vers 1 heure, comme les négo­cia­tions ne ser­vaient à rien, et qu’à ce moment-là la situa­tion était extrê­me­ment cri­tique, mes cama­rades étu­diants ont détruit sur les marches de l’es­ca­lier du monu­ment [aux héros du peuple] les fusils en les cas­sant, ils ont désa­mor­cé les obus et ont ren­ver­sé l’es­sence, afin que des gens mal inten­tion­nés ne puissent s’en ser­vir ou que les auto­ri­tés ne puissent les uti­li­ser comme « pièces à convic­tion » en cas de meurtres de soldats.

Ensuite, l’UAE a dif­fu­sé une annonce, pour dire que les évé­ne­ments pre­naient une tour­nure extrê­me­ment dure. Comme il sem­blait dif­fi­cile d’é­vi­ter une effu­sion de sang, elle sou­hai­tait que les étu­diants et les cita­dins qui se trou­vaient à proxi­mi­té de la place s’en aillent. Mais il y avait encore là 4.000 ou 5.000 étu­diants et 100.000 cita­dins, envi­ron, qui ont insis­té pour res­ter sur la place. Moi non plus, je ne suis pas par­ti à ce moment-là.

Main­te­nant, je m’en sou­viens, l’at­mo­sphère était vrai­ment extrê­me­ment ten­due à ce moment-là. C’é­tait la pre­mière fois de leur vie que mes cama­rades étaient confron­tés à une situa­tion aus­si grave. Dire qu’ils n’a­vaient pas peur serait faux. Mais tous s’é­taient déjà suf­fi­sam­ment pré­pa­ré psy­cho­lo­gi­que­ment et leur volon­té était inébran­lable (bien sûr, il y avait aus­si des cama­rades étu­diants qui s’i­ma­gi­naient que les sol­dats ne pour­raient pas pour de vrai ouvrir le feu sur eux pour les tuer). En bref, la convic­tion d’ac­com­plir une sorte de noble mis­sion nous ani­mait, celle que les étu­diants fai­saient le sacri­fice d’eux-mêmes au pro­fit de la démo­cra­tie et du déve­lop­pe­ment de la Chine, et que cela en valait la peine.

Juste après minuit, après que deux véhi­cules blin­dés, par­tis de Qian­men, curent tra­ver­sé la place à toute vitesse, cha­cun d’un côté, la situa­tion n’a ces­sé de s’ag­gra­ver. Des « annonces » ont été répé­tées par des haut-par­leurs offi­ciels. Des sol­dats cas­qués, en rangs ser­rés, ont com­men­cé à entou­rer la place de tous les côtés. Dans l’obs­cu­ri­té, on pou­vait dis­tin­guer très clai­re­ment les mitrailleuses posées sur le toit du Musée d’his­toire, bien en évi­dence. À ce moment-là, mes cama­rades étu­diants et moi, nous étions repliés tout autour du monu­ment aux héros du peuple. J’ai effec­tué un rapide cal­cul. Par­mi mes cama­rades étu­diants, les deux tiers étaient des gar­çons et un tiers des filles. Trente pour cent, envi­ron, étaient des étu­diants de Pékin. La plu­part venaient de l’extérieur.

À 4 heures pile, toutes les lumières de la place se sont sou­dai­ne­ment éteintes. L’ordre de « net­toyer la place » a sou­dain été trans­mis par les haut-par­leurs. Un sen­ti­ment d’ex­trême ner­vo­si­té s’est tout à coup empa­ré de moi. Une pen­sée ne ces­sait de me tra­ver­ser l’es­prit : « L’heure est venue, l’heure est venue ».

Pen­dant tout ce temps, Hou Dejian [célèbre chan­teur] et quelques autres, qui avaient fait la grève de la faim, négo­ciaient avec les sol­dats. Il a été conve­nu que les étu­diants se replie­raient paci­fi­que­ment. Mais juste comme les étu­diants com­men­çaient de se replier — il était 4 h 40 —, une série de fusées éclai­rantes rouges ont été tirées dans le ciel, les unes après les autres. Immé­dia­te­ment après, toutes les lumières de la place se sont ral­lu­mées. J’ai consta­té que toute la par­tie anté­rieure de la place avait été enva­hie par les troupes. Juste à ce moment-là, venant du côté de la porte est de l’As­sem­blée popu­laire, une uni­té de l’ar­mée est arri­vée promp­te­ment au pas de course. Tous étaient vêtus de tenues de camou­flage et tenaient des fusils d’as­saut. Ils étaient coif­fés de casques en acier et por­taient des masques à gaz. Ici, j’ai­me­rais pré­ci­ser quelque chose. Le 3 juin, vers 6 heures du soir, nous avions dis­cu­té avec un régi­ment pos­té à l’en­trée ouest de l’As­sem­blée popu­laire. Le chef de ce régi­ment avait décla­ré devant nous qu’ils n’é­taient qu’une troupe de ren­fort. La troupe qui pou­vait être ame­née à affron­ter les étu­diants, le moment venu, aurait été une troupe du Sichuan. Il nous a assu­ré que ses hommes ne tire­raient pas sur les étu­diants. Sans doute, la troupe qui a sur­gi alors était-elle la troupe du Sichuan.

Dès que cette troupe a fait irrup­tion sur la place, la pre­mière chose qu’elle ait faite a été de d’é­ta­blir une ligne d’une dizaine de mitrailleuses juste devant le monu­ment. Les mitrailleurs se sont cou­chés par terre et, tour­nant le dos à la tour du rem­part de Tian’an­men, ils ont poin­té leurs mitrailleuses en direc­tion du monu­ment. Dès que les mitrailleuses ont été mises en place, un groupe entier de sol­dats et de membres de la police mili­taire se sont avan­cés (on peut dis­tin­guer la police mili­taire des sol­dats ordi­naires grâce à leurs uni­formes et aus­si grâce à leurs casques. Les casques de la police mili­taire sont plus grands et sont pour­vus de pro­tège-oreilles). Ils tenaient des bâtons élec­triques, des matraques en caou­tchouc et une autre sorte spé­ciale d’arme que je n’a­vais jamais vue aupa­ra­vant. De l’a­vant du monu­ment, ils ont char­gé nos rangs alors que nous fai­sions un sit-in. Ils ont déco­ché des coups de toutes leurs forces et ont obli­gé nos troupes à s’é­car­ter, ouvrant ain­si un pas­sage. Ils se sont frayés un che­min jus­qu’au troi­sième palier du monu­ment. Pen­dant ce temps, j’ai per­son­nel­le­ment vu qua­rante ou cin­quante étu­diants qui avaient été si sau­va­ge­ment frap­pés que le sang cou­lait sur leurs visages. Alors, les véhi­cules blin­dés et d’autres troupes qui atten­daient sur la place nous ont encer­clés. Puis, ils ont res­ser­ré le cercle, ne lais­sant qu’une ouver­ture, dans la direc­tion du musée.

Pen­dant ce temps, les sol­dats et la police mili­taire, qui s’é­taient frayé un che­min jus­qu’au troi­sième palier du monu­ment, ont com­men­cé par mettre en pièces notre maté­riel de trans­mis­sion, notre maté­riel d’im­pri­me­rie et nos bou­teilles de soda, qui étaient ran­gés sur ce palier. Ensuite, ils se sont mis à frap­per les étu­diants qui se trou­vaient sur le monu­ment et les ont traî­nés au bas des marches. Nous ne nous sommes tou­jours pas levés. Nous sommes res­tés assis, nous tenant par les mains, chan­tant l’In­ter­na­tio­nale et criant contre les sol­dats : « L’ar­mée du peuple n’at­taque pas le peuple ». Tou­te­fois, sous les coups de matraque et les coups de pied assé­nés par cette masse de sol­dats, les étu­diants assis sur le troi­sième palier du monu­ment ont été for­cés d’en descendre.

Quand les étu­diants qui se trou­vaient sur le troi­sième palier en ont été des­cen­dus sous les coups et ont tou­ché le sol, le cré­pi­te­ment des mitrailleuses s’est fait entendre. Cer­tains sol­dats s’é­taient age­nouillés pour mitrailler et leurs balles sif­flaient sur nos têtes. D’autres étaient cou­chés par terre et leur balles ont frap­pé des étu­diants en pleine tête ou dans la poi­trine. Quand nous avons vu cela, la seule chose qu’il nous res­tait à faire a été de nous replier vers le monu­ment. Dès que nous sommes remon­tés, les mitrailleuses se sont tues. Mais les sol­dats qui se trou­vaient là nous ont fait des­cendre une nou­velle fois en nous frappant.

Dès que nous avons eu le pied à terre, les mitrailleuses ont recom­men­cé à nous tirer dessus.

C’est alors qu’un groupe d’ou­vriers et de citoyens des « brave-la-mort » se sont pré­ci­pi­tés. Ramas­sant par terre des bou­teilles et des bâtons, dont ils ont usé comme d’armes, ils ont char­gé l’ar­mée et lui ont oppo­sé une résis­tance achar­née. À ce moment-là, l’U­nion auto­nome [des étu­diants] a don­né l’ordre de battre en retraite hors de la place. Alors, il n’é­tait pas encore 5 heures.

À ce moment-là, tous les étu­diants se sont pré­ci­pi­tés vers l’ou­ver­ture qui avait été lais­sée dans le cercle des véhi­cules blin­dés. Mais ces sol­dats sans conscience avaient déjà refer­mé l’ou­ver­ture lais­sée au départ. En outre, plus de trente véhi­cules blin­dés ont rou­lé en direc­tion de la foule. Cer­tains étu­diants ont été écra­sés. Même le mât du dra­peau qui se trouve devant le monu­ment a été arra­ché. En un ins­tant, le chaos et la confu­sion ont gagné la place. Jamais je n’au­rais cru que mes cama­rades étu­diants auraient autant de cou­rage. Tout un groupe d’entre eux est accou­ru et à ten­té de repous­ser les véhi­cules blin­dés. Ce groupe, dans son entier, est tom­bé sous une pluie de balles. Un autre groupe s’est pré­ci­pi­té en avant, cou­rant droit devant lui sur les cadavres. Ils ont fina­le­ment réus­si à pous­ser un véhi­cule blin­dé sur le côté, suf­fi­sam­ment pour opé­rer une per­cée. Avec trois mille de mes cama­rades étu­diants, sous les balles, je me suis engouf­fré dans cette ouver­ture. Nous nous sommes tous rués vers l’en­trée du Musée d’his­toire. Quand nous avons gagné celle-ci, nous n’é­tions plus qu’un peu plus d’un millier.

À ce moment-là, devant l’en­trée du Musée d’his­toire, il y avait beau­coup de cita­dins. Quand nous les avons rejoints et que nous avons pris conscience du mau­vais coup qui s’ac­com­plis­sait, nous nous sommes sou­dain mis à cou­rir vers le Nord, c’est-à-dire vers la porte de Tian’an­men. Mais à peine avions-nous fait quelques pas, que nous avons enten­du des coups de feu qui venaient d’un bos­quet situé au Nord. On ne voyait per­sonne. On voyait seule­ment les flammes des fusils. Face à une telle situa­tion, nous avons viré vers le Sud et cou­ru en direc­tion de la porte Qianmen.

Pen­dant ce temps-là, je pleu­rais tout en cou­rant. J’ai vu une deuxième vague d’é­tu­diants sor­tant eux aus­si en trombe de la place sous le feu des mitrailleuses. J’ai éga­le­ment vu beau­coup de gens cou­chés dans la rue où nous cou­rions. Nous pleu­rions tous. Nous pleu­rions et nous cou­rions en même temps. Le groupe dans lequel je me trou­vais a cou­ru jus­qu’à la porte Qian­men. Nous sommes tom­bés nez à nez avec un groupe impor­tant de sol­dats qui cou­raient vers nous et qui venaient de la direc­tion de la porte Qian­men. Ils venaient de la direc­tion de Zhu­bao­shi. Ils n’ont pas ouvert le feu en appro­chant de nous. Ils por­taient tous des gour­dins. Ils se sont jetés sur nous de toutes leurs forces. À ce moment-là, un groupe impor­tant de cita­dins a sur­gi de Qian­men. Ils se sont lan­cés dans une échauf­fou­rée achar­née avec ce groupe de sol­dats. Ils nous ont cou­verts le temps que nous ouvrions une brèche en direc­tion de la gare de Pékin. Le groupe des sol­dats nous a pour­chas­sés. C’é­tait le point du jour, il était 5 heures du matin et le cré­pi­te­ment des mitrailleuses s’é­tait cal­mé. Plus tard, à la Croix-Rouge inter­na­tio­nale, j’ai ren­con­tré un de mes cama­rades étu­diants qui m’a rap­por­té que vers 5 heures tous les étu­diants qui avaient vou­lu sor­tir de la place avaient pu le faire. Le mitraillage avait duré envi­ron vingt minutes.

Ce qu’il me sera le plus dif­fi­cile d’ou­blier, c’est un de nos cama­rades étu­diant de Qing­hua (ori­gi­naire du Jiang­su). Les mitrailleuses l’a­vaient bles­sé et il sai­gnait. Pour­tant, il cou­rait à nos côtés. À mi-che­min, n’y pou­vant plus, de der­rière il s’est jeté sur mes épaules en me disant : « Sou­tiens-moi un peu ! » À ce moment-là, je sou­te­nais par les mains deux cama­rades étu­diantes qui n’a­vaient pas assez de force et je n’ai pas pu le secou­rir à temps. Il est tom­bé par terre. Les gens, les uns après les autres, l’ont pié­ti­né… Il doit cer­tai­ne­ment être mort. Regarde, sur mon dos il y a encore de son sang. À ce moment-là, la moi­tié de son corps était sanguinolente.

Je n’ou­blie­rai jamais la vue de mes cama­rades étu­diants abat­tus, celle des gens bra­vant sans hési­ter la mort pour ramas­ser les cadavres et por­ter secours aux bles­sés, celle des étu­diantes enle­vant les vête­ments qu’elles por­taient pour ban­der les bles­sures de leurs cama­rades, et ce jus­qu’à ne plus avoir guère d’ha­bits sur elles…

Après que le groupe dans lequel je me trou­vais soit arri­vé à la gare de Pékin, je suis reve­nu vers la place avec deux de mes amis. Il était alors 6 h 30. Une foule énorme se mas­sait autour de la porte Qian­men. J’ai sui­vi les cita­dins qui mar­chaient dans la direc­tion de la place. Mais, arri­vés à la hau­teur du mau­so­lée [de Mao], nous n’a­vons pas pu aller plus avant. Plu­sieurs lignes de véhi­cules blin­dés avaient été tra­cées et les sol­dats for­maient éga­le­ment un mur humain. J’ai grim­pé sur un arbre plan­té sur le côté de la rue. De là, j’ai réus­si à voir les sol­dats sur la place qui avaient de grand sacs en plas­tique. Ils four­raient les cadavres des étu­diants et des cita­dins dans les sacs en plas­tique, un corps dans chaque sac. D’im­menses piles de ces corps enve­lop­pés dans du plas­tique étaient pla­cées sous d’é­normes bâches de toile.

J’ai ren­con­tré là un étu­diant de mon dépar­te­ment. Il fai­sait par­tie de la deuxième vague de res­ca­pés. Il m’a dit que le nombre des morts était énorme. Les sol­dats n’a­vaient pas auto­ri­sé les ambu­lances de la Croix-Rouge inter­na­tio­nale à péné­trer sur la place pour y sau­ver les cita­dins et les étu­diants bles­sés. En com­pa­gnie de ce cama­rade étu­diant, je me suis ren­du sur le champ au Centre d’ur­gence de la Croix-Rouge inter­na­tio­nale situé à la porte Heping. J’y ai vu un grand nombre de bles­sés qu’on ame­nait sur des tri­cycles. Là, un méde­cin m’a dit qu’une ambu­lance était entrée sur la place mais que les troupes avaient tiré sur elle et qu’elle avait brû­lé. J’ai ren­con­tré là des étu­diants qui s’é­taient échap­pés de la place au cours de la deuxième, de la troi­sième ou de la qua­trième vague. Ils m’ont rap­por­té que beau­coup d’é­tu­diants bles­sés étaient cou­chés sur la place.

Vers 7 h 20, je suis encore retour­né à la place. Je me suis infor­mé de la situa­tion. J’ai inter­ro­gé, notam­ment, une dizaine de per­sonnes âgées. Toutes m’ont dit que les trot­toirs de la place Tian’an­men et des alen­tours étaient jon­chés de cadavres. Les véhi­cules mili­taires avaient été bâchés pour empê­cher que les cita­dins ne regardent à l’in­té­rieur. Elles m’ont éga­le­ment dit que beau­coup de véhi­cules mili­taires étaient entrés sur la place, qu’ils avaient ramas­sé les bles­sés et les avaient emme­nés, nul ne savait où.

Il était à peu près 7 h 30 quand les sol­dats qui se trou­vaient sur la place ont envoyé brus­que­ment des gaz lacry­mo­gènes sur les gens qui se trou­vaient là et ont fon­cé sur eux. Alors, j’ai cou­ru une nou­velle fois à la gare de Pékin. En route, j’ai ren­con­tré des étu­diants qui étaient sor­tis dans la pre­mière et dans la deuxième vagues. Tous pleuraient.

La tâche que l’UAE nous avait confiée, à nous les étu­diants de Pékin, était de prendre en charge les étu­diants venus de l’ex­té­rieur et de les accom­pa­gner à la gare. J’ai ame­né ceux-ci à la salle d’at­tente pen­sant qu’ils pour­raient retour­ner chez eux. Mais les res­pon­sables de la gare nous ont dit qu’au­cun train ne cir­cu­lait. Il ne nous res­tait plus qu’à quit­ter, une fois de plus, la gare de Pékin. À ce moment-là, des cita­dins des alen­tours, en grand nombre, sont arri­vés et nous ont entou­rés. Ils ont dit qu’ils étaient prêts à abri­ter chez eux des cama­rades étu­diants. De nom­breux cita­dins étaient très tristes et pleu­raient. Les Péki­nois sont vrai­ment très bons, ils sont vrai­ment très bons.

Com­bien y‑a-t-il eu de morts en tout ? Je n’en ai pas idée. Mais je suis cer­tain d’une chose : un jour le peuple récla­me­ra des comptes précis !

Suis-je pes­si­miste ? Non, je ne suis pas pes­si­miste. Parce que j’ai vu le cœur du peuple. J’ai pris la mesure de sa droi­ture. J’ai vu l’es­poir de la Chine ! Cer­tains de mes cama­rades étu­diants sont morts et beau­coup de gens ont du sang qui coule de leurs bles­sures. Je suis un sur­vi­vant chan­ceux. Je sais de quelle façon je dois vivre. Je n’ou­blie­rai jamais mes cama­rades qui sont morts. Je sais aus­si par­fai­te­ment que tout ce que le monde compte de gens hon­nêtes nous com­prennent et nous soutiennent.

Texte pré­pa­ré par Zhao Hanging.
[Tra­duit du chi­nois par Angel Pino.]


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