Entre le « Printemps de Pékin » de 1978 – 1979 1Sur ce point, voir : Huang S., A. Pino, L Epstein, Un bol de nids d’hirondelles ne fait pas le printemps de Pékin, Bibliothèque asiatique, Christian Bourgois éditeur, Paris, 1980 ; V. Sidane, Le Printemps de Pékin (oppositions démocratiques en Chine, novembre 1978-mars 1980), collection archives, Gallimard-Julliard, Paris, 1980. et les événements d’avril-juin 1989, à différentes reprises, la fièvre a monté dans les campus, donnant libre cours à des remous d’inégale ampleur 2Ce texte est tiré d’une étude beaucoup plus longue sur les « années Deng » qui doit servir de préface à une anthologie des œuvres politiques de Wei Jingsheng, ouvrage à paraître prochainement. Les éléments réunis pour sa rédaction proviennent, essentiellement, de la presse de Chine pop., le Quotidien du peuple ou le Quotidien de Pékin, mais aussi de la presse de Hong Kong, Zhenming (rivalisons), Baixin (1e peuple) ou bien encore Jiushi niandai (les années 90)..
Les acteurs du « Printemps de Pékin » de 1978 – 1979, celui du « Mur de Xidan », appartenaient, pour l’essentiel, à la génération des gardes rouges. Exilés à la campagne — où ils eurent, plusieurs années durant, tout le loisir de méditer sur la façon dont le pouvoir les avait manipulés et l’opportunité de partager la vie de paysans dont, le plus souvent, ils ne soupçonnaient pas le sort misérable —, ils sont ensuite revenus en ville, clandestinement en général, tirant profit des balbutiements de la jeune politique de libéralisation. Mais c’est en qualité d’ouvriers qu’ils réussiront, la plupart du temps, à se refaire une place dans la société. Certes, le Mouvement pour la démocratie a bien compté dans ses rangs quelques étudiants, en tant que tels, mais on observe que leur influence quantitative a été insignifiante et leur puissance qualitative proche de zéro. Quelques exceptions notables : Wang Jundao de la revue Printemps de Pékin, Hu Ping de Terre fertile, ou bien encore Yang Guang d’Exploration. Toutefois, à la faveur des événements, la plupart des établissements d’enseignement supérieur ne tarderont pas à s’enrichir de bulletins étudiants autonomes, bulletins qui bénéficieront même, en certains secteurs, de l’aval, voire de l’aide, de l’administration universitaire : tel fut le cas, par exemple, de Lac sans nom à l’Université de Pékin [Beida], de l’Étudiant à l’Université Fudan de Shanghai, des Collines Jialu à l’Université de Wuhan, ou bien encore des Abricots rouges de l’Université Zhongshan de Canton. Il n’empêche, au milieu de l’année 1980, lorsque les revues non officielles seront interdites, les feuilles étudiantes devront suspendre, elles aussi, leur publication. Trente-deux étudiants de l’Université de Pékin, parmi lesquels deux jeunes hommes du nom de Fen Jie et de Fang Zhiyan, forts des encouragements de trente-quatre revues indépendantes, confieront bien alors à l’examen de l’Assemblée populaire nationale un projet de loi sur les publications, projet qu’ils accompagneront d’une liste de soutien grosse de quelque 600 signatures. Mais leur proposition — s’en étonnera-t-on ? ne recevra aucun écho de la part des délégués de ladite Assemblée.
À l’époque du premier « Printemps de Pékin », les étudiants s’engageront surtout dans des opérations visant à l’amélioration de leur condition. Des problèmes d’espace, notamment, consécutifs à la pratique maoïste du détournement des lieux éducatifs, seront à l’origine de quelques convulsions. Après le déclenchement de la « Révolution culturelle », l’enseignement supérieur ayant pratiquement disparu, il avait fallu attendre 1978 pour que de nouveau les examens d’entrée — c’est-à-dire des épreuves fondées sur l’aptitude intellectuelle des candidats et sur leurs connaissances —, soient réintroduits dans les universités et qu’on recommence à inscrire des étudiants en troisième cycle. Mais, entre-temps, de nombreux établissements d’enseignement supérieur avaient été investis par des militaires ou des entreprises qui se les étaient appropriés. Lorsque les cours reprirent, ceux qui s’y étaient installés refusèrent de restituer les bâtiments aux étudiants. Partout, des salles de classe faisaient défaut, sans que les autorités, qui feignaient l’ignorance, s’en alarmassent outre mesure. Pour faire valoir leur droit à l’enseignement, les étudiants durent se résoudre à alerter la société, moyennant l’organisation de manifestations. Ainsi, le 10 octobre 1979, les étudiants de l’Université du peuple [Renda] de Pékin descendront dans la rue pour tenter de recouvrer leur bien. Ils traverseront la place Tian’anmen et s’accroupiront devant la porte Xinhua de Zhongnanhai, avant d’aller poser des dazibaos au Mur de la démocratie de Xidan. Le 12 octobre, 800 enseignants et étudiants de l’Institut central de l’économie et des finances de Pékin s’exprimeront à leur tour pour obtenir de la manufacture de tabac « Grande Muraille » qu’elle évacue l’Institut.
L’affaire qui intervint au début de l’année suivante aurait pu déborder l’enceinte des écoles et se traduire par un retentissement social plus grand. Le 12 février 1980, en effet, le Comité permanent de la 5e Assemblée populaire nationale, promulgue une « Décision de procéder à des élections au niveau du district au suffrage direct ». À peine cette décision est-elle connue que les étudiants de Shanghai entament leur campagne électorale. Et, en divers endroits, il battront même les candidats officiels. Fu Shenqi, un jeune ouvrier militant de la démocratie, de Shanghai, rédacteur en chef de la Voix de la démocratie, entre en lice. Bien qu’écarté des listes électorales par les autorités, il n’en recueille pas moins de nombreux suffrages et se voit désigné. Mais on le privera de son siège, en toute illégalité. Les étudiants de l’Université de Pékin prendront également une part active à ces élections. Parmi les candidats figurent deux responsables de revues non officielles, Wang Jundao et Hu Ping. Hu Ping sera élu député du peuple dans le district de Haiding (Pékin). Les étudiants de l’École normale du Hunan participent aussi à la consultation. Les autorités locales s’escrimant trop ostensiblement à contrôler le scrutin, les étudiants hunannais vont signifier ouvertement leur désapprobation, certains d’entre eux allant même jusqu’à entamer une grève de la faim. Le Comité provincial du Parti, optant sans réserve pour le camp de l’administration de l’École, les étudiants devront se résoudre à monter à Pékin pour déposer une plainte auprès des autorités centrales. Raison leur sera donnée mais les jeunes gens n’auront pas le temps de savourer leur victoire. Dao Sheng, leur leader, est expulsé de son établissement puis arrêté en secret. On l’envoie finalement dans un camp de rééducation par le travail. Et le rideau tombe sur cette fiction d’élections libres.
Par la suite, des vagues de contestation étudiante déferleront régulièrement. En mai 1980, par exemple, les étudiants de l’Université de Nankin dénoncent des erreurs commises par le Comité du Parti de l’Université. On relève d’autres gestes de ce genre ailleurs. Mais, chaque fois, ce seront des tentatives largement dictées par les circonstances et qui demeureront isolées et nettement localisées.
Au cours des années comprises entre 1980 et 1984, la réforme économique rurale rencontre un succès évident et l’économie chinoise se développe. Le statut social des intellectuels, lui aussi, s’améliore. Nombreux semblent alors ceux qui fondent leurs espoirs sur les réformateurs, et avant tout sur Deng Xiaoping. Sans doute faut-il imputer à cela le calme relatif qui régnera un temps dans les établissements d’enseignement supérieur. Mais, à la fin de l’année 1984 et au début de l’année suivante, l’échec de la réforme économique urbaine devenant patent, la corruption des bureaucrates éclate au grand jour et leur incapacité à régler les problèmes s’étale désormais sans fard. L’inflation devient extrêmement forte et la condition des détenteurs du savoir, comme celle de leurs héritiers, en subi le contrecoup : le pouvoir d’achat des salaires des professeurs et des bourses d’études ne va pas cesser de se détériorer. Si on ajoute à cela le mécontentement provoqué par la faiblesse de la part réservée à l’enseignement dans le budget national, on le voit, les motifs ne manquent pas, propres à raviver la colère étudiante. Dans un contexte général de faillite de l’idéologie communiste, le pouvoir s’esquivera en jouant la seule carte qu’il gardait dans sa manche, celle du patriotisme. Et les étudiants feront vibrer la corde de l’amour du pays, laquelle leur fournit, en quelques occasions, prétexte à remuer.
Le 15 août 1985, jour anniversaire de la capitulation du Japon, le Premier ministre japonais, Yasuhiro Nakasone, et dix-huit de ses ministres se rendent en visite officielle au temple Yasukani (qu’on appelle en Chine le « temple des criminels de guerre ».), à Tokyo, où sont conservées les tablettes funéraires de Hideki Tojo et d’autres « criminels de guerre de la classe A ». Les étudiants chinois reçoivent ce geste comme un affront. Le 12 septembre 1985, des affiches sont apposées à l’Université de Pékin qui suggèrent qu’on institue le 18 septembre un « jour de la honte nationale » (le 18 septembre 1931, les Japonais étant entrés en guerre contre la Chine). Leurs auteurs convient leurs camarades à un attroupement sur la place Tian’anmen. Dans tous les établissements d’enseignement supérieur, le scénario se répète à l’identique. Toutefois, si les dazibaos qui fleurissent, en l’occurrence, se fixent pour objet principal de dénigrer les « impérialistes japonais », certains contiennent des attaques contre Deng Xiaoping — sa position vis-à-vis du Japon étant jugée trop conciliante —, et, plus généralement, émettent des critiques à l’égard de la politique chinoise d’ouverture. D’aucuns se hasarderont même, dans leurs philippiques, à disserter sur la démocratie ou la liberté. Le Comité central du Parti usera de tous les stratagèmes possibles et imaginables pour faire échec au rassemblement du 18 septembre. Il opposera, c’est assez dire, sa force d’inertie aux étudiants, tentera de les diviser… Rien n’y fera. Les étudiants convergent vers la place Tian’anmen. À Chengdu (Sichuan) ou à Xi’an (Shaanxi), on s’active aussi contre l’invasion économique de l’empire du Soleil-Levant. Le 1er octobre, jour de la fête nationale, les étudiants de divers établissements scolaires de Xi’an manifestent, et cela jusqu’au matin du 3. Ceux de Chengdu prennent la relève, chez eux, durant la nuit du 15 au 16 octobre. En septembre ou en octobre, partout en Chine, on assistera à des scènes analogues. Le bruit court qu’une action générale a été envisagée pour le 9 décembre, sous couvert de célébrer le 50e anniversaire du 9 décembre 1935 (ce jour-là, les étudiants pékinois s’étaient émus de l’invasion japonaise du Nord de la Chine). Mais le Parti communiste, prenant les étudiants de vitesse, rameutera l’ensemble de ses forces et récupérera l’initiative en arrangeant lui-même une cérémonie officielle.
Signalons, au passage, quelques parades exécutées par des étudiants issus d’ethnies minoritaires. Le 22 décembre 1985, 200 jeunes ouïgours, élèves de l’Institut central des minorités, se réunissent sur la place Tian’anmen pour protester contre les essais nucléaires effectués au Xinjiang et pour revendiquer une autonomie plus grande de la région. Le 26 décembre, à Shanghai, les étudiants de diverses minorités feront de même.
En 1986, confronté une nouvelle fois à l’échec de la réforme économique dans les zones urbaines, le Parti communiste se trouve contraint de ranimer le fantôme de la réforme politique. Les intellectuels se dépensent fébrilement en discussions sur la question, certains, s’abandonnant jusqu’à parler de démocratie. À leur sens, en effet, la démocratie, seule, viendra à bout de l’inflation, de la dévaluation, de la baisse du pouvoir d’achat, des disparités sociales, de l’affairisme bureaucratique, de la corruption, en bref de tous les maux induits par une réforme économique mal initiée. Tout cela débouchera sur la mobilisation étudiante la plus importante que la Chine ait connue depuis la « Révolution culturelle » 3Sur le mouvement étudiant de l’hiver 1986, voir : Ba Qi [Huang San], « l’Avenir est à nous ! » Quelques remarques sur le mouvement étudiant chinois, Iztok, revue libertaire sur les pays de l’Est, Paris, n° 14, septembre 1987, pp. 15 – 22..
Le 5 décembre 1986, plus d’un millier d’étudiants de l’École polytechnique de Chine de Hefei (Anhui) se rassemblent : ils s’indignent de la décision arrêtée par leur administration d’invalider les candidatures avancées par eux aux élections de district. Le 9 décembre 1986 (51e anniversaire du mouvement du 9 décembre 1935), ils sont plus de 3.000, venant de l’École polytechnique de Chine mais aussi de l’Université de l’Anhui et de l’Université industrielle de l’Anhui, à déambuler dans les artères de la ville aux cris de : « Nous voulons la démocratie ! Sans démocratie, pas de modernisation ». Le même jour, à Wuhan, plus de 2.000 étudiants brocardent les « élections bidons ». Le 13 décembre, les délégués des étudiants de Fuzhou, un millier de personnes, invoquent la démocratie, le respect des droits de l’homme et l’accélération de la réforme politique. Le 14 et le 15, un millier d’étudiants de Shenzhen s’insurgent contre l’augmentation des frais de scolarité et le système des pénalités sanctionnant l’échec aux examens. Du 17 au 19 décembre, à Kunming, 2.000 étudiants promènent des calicots sur lesquels on lit : « Vive la démocratie ! Vive la liberté ! » et exigent le droit de choisir librement leurs candidats aux élections de district. Le 20, à Canton, 300 étudiants de l’Université Zhong Shan, mais qui pour la plupart sont originaires d’autres provinces que le Guangdong, assiègent les locaux du gouvernement municipal pour faire valoir ces deux requêtes : le contrôle des prix et la liberté de la presse.
Mais la plus grande des manifestations de la période se tient à Shanghai, à la suite de brutalités policières exercées sur des étudiants, et du refus des autorités de châtier les coupables. Le 19, dans l’après-midi, les étudiants des universités Fudan, Jiadong, Tongji, et d’autres établissements, avaient envahi la place du Peuple en hurlant : « Démocratie ! Liberté ! Égalité ! ». Toute la nuit, et dix-huit heures durant, malgré le froid et la faim qui les tenaille, un millier d’entre eux étaient restés assis devant le siège du gouvernement municipal. Le 20, à 5 h 50 du matin, plusieurs milliers de policiers avaient chargé, procédant à des interpellations. La riposte des étudiants ne tardera pas. Le jour même, de 60.000 à 70.000 d’entre eux dénoncent les « actes fascistes des policiers » et parcourent la ville en scandant ces deux mots d’ordre « Nous voulons la réforme démocratique ! Nous voulons la liberté ! ». Des heurts se produisent entre la foule et les forces de l’ordre. Le 21, plusieurs dizaines de milliers d’étudiants se massent aux cris de : « Non aux brutalités policières ! Nous voulons les droits de l’homme ! ». Ils notifient en même temps, au maire de la municipalité, Jiang Zemin, leurs quatre desiderata : la démocratie et la liberté ; la liberté de la presse ; la reconnaissance du caractère légal, patriotique et juste du mouvement étudiant ; la garantie de la sécurité des étudiants. Tout ce temps, la presse officielle, quand elle ne s’enfermera pas dans un mutisme opiniâtre relativement à la lutte étudiante, en rendra compte en la dénaturant : des dépêches de l’Agence Chine nouvelle, par exemple, indiquent que les colonnes des protestataires ont bloqué la circulation, qu’elles ont troublé l’ordre social et nui à la bonne marche de la production. Ce qui ajoute encore à l’ire des étudiants. Le 22, le bureau de la Sécurité publique de Shanghai diffuse une circulaire précisant que tous ceux qui désirent défiler doivent en formuler préalablement la permission et soumettre le nom d’un responsable. Cela ne retiendra pas une dizaine de milliers d’étudiants de confluer en cortège vers le centre de la ville le lendemain.
Le 22 décembre, les étudiants de l’Université de Nankin et ceux de l’Institut des technologies de Nankin se répandent dans la ville. Plusieurs dizaines de milliers de personnes encerclent le siège du Comité permanent de l’Assemblée populaire provinciale. Ils demandent la liberté, la démocratie et des réformes. Au cours de la nuit, d’autres manifestations suivent. Le 25 au soir, plusieurs milliers d’étudiants se pressent sur la place Gulou, paralysant la circulation de toute la ville. À Tianjin, le 24 décembre, plus de 3.000 étudiants de l’Université Nankai ou d’autres établissements d’enseignement supérieur se présentent devant le siège du gouvernement municipal aux cris de : « Liberté de la presse ! À bas les privilèges ! ». Le 25, à Hangzhou, les étudiants donnent libre cours à leur désapprobation face au black-out des informations et réclament la mise en œuvre des réformes politiques. À Suzhou, le 27, les étudiants défilent dans les campus.
Pékin sera la dernière ville à bouger. Déjà, aux alentours du 9 décembre, lors des incidents survenus dans l’Anhui, des dazibaos sont appliqués dans Beida et dans d’autres facultés. Le 26 décembre, la municipalité de Pékin promulgue un règlement en dix points sur les manifestations : les rassemblements et les processions sont désormais subordonnés à autorisation préalable et, en tout état de cause, strictement prohibés dans certains lieux comme Zhongnanhai ou la place Tian’anmen. Le 29, à l’aube, plusieurs centaines d’étudiants de l’École normale supérieure de Pékin, à l’intérieur de leur campus, fustigent le texte. Un cortège marche ensuite vers Beida et vers Qinghua, gros de 2.000 ou 3.000 personnes. Le Quotidien de Pékin parlera, à son propos, de « manifestation illégale » ne regroupant que 200 ou 300 personnes et rappellera que l’affichage des dazibaos était défendu 4Le 16 janvier 1980, dans un discours prononcé lors d’une réunion de cadres convoquée par le Comité central du Parti, Deng Xiaoping avait proposé la suppression des « Quatre grandes libertés ». [si da] (« libre expression d’opinions, large exposé d’idées, dazibao et grand débat.) inscrites dans la Constitution (cf. Deng Xiaoping, « la Situation actuelle et nos tâches », Texte choisis (1975 – 1982), éditions en langues étrangères, Pékin, 1985, p.249). Ce sera chose faite avec la nouvelle Constitution, la quatrième dont se soit dotée la Chine, adoptée le 4 décembre 1982.. La réaction des étudiants ne se fait pas attendre : un avis est placardé à Beida appelant les étudiants à se retrouver le jour de l’an, sur la place Tian’anmen. Le 30, les étudiants continueront de récuser le règlement en dix points. Le maire de Pékin, Chen Xitong, menace : ceux qui ont dans l’idée d’envahir la place Tian’anmen le jour de l’an en seront pour leurs frais. Le 31, les autorités de la capitale lancent un avertissement : quiconque tentera de manifester le lendemain sur la place Tian’anmen s’expose à de sérieuses représailles. Le 1er janvier, à midi, les étudiants, au mépris de l’interdiction, forcent les barrages de la police et s’éparpillent sur la place. Ils réclament la suppression du règlement en dix points et la liberté de manifestation. Les forces de l’ordre procéderont à une vingtaine d’interpellations. En fin d’après-midi, une nouvelle offensive étudiante se produira, pour obtenir la libération des camarades qui viennent d’être arrêtés, qui ne se dispersera qu’aux premières heures du jour suivant, après que le président de Beida, Ding Shisun, a annoncé que les personnes appréhendées ont été relâchées. Le 5 janvier, les étudiants de la capitale, en présence de journalistes étrangers, brûlent des exemplaires du Quotidien de Pékin.
Le mouvement étudiant de l’hiver 1986 aura pour conséquence directe de susciter une purge à l’intérieur du Parti : Hu Yaobang, le secrétaire général, à qui Deng Xiaoping reproche son laxisme vis-à-vis du « libéralisme bourgeois », est contraint de démissionner ; les intellectuels les plus libéraux du Parti, Fang Lizhi, Wang Ruowang et Liu Binyan sont exclus du Parti et quelques autres invités à le quitter d’eux-mêmes. Une campagne contre le « libéralisme bourgeois » est déclenchée et une restructuration s’opère dans les facultés et les organes de presse qu’on suspecte de sympathie pour les étudiants.
À l’issue des événements, le Parti communiste étendra son contrôle sur le monde étudiant. Les cours d’idéologie sont renforcés et les enquêtes sur le comportement politique des étudiants — au moment de leur accès à l’Université comme lors de leur affectation ultérieure à un poste de travail — se font plus strictes. En certains points, même, on aménage des postes de police sur les campus. De façon générale, on instaurera, dans chaque établissement d’enseignement supérieur, un comité spécial chargé de veiller au grain et d’étouffer dans l’œuf toute entreprise non officielle. À compter de cette date, toutes les manifestations étudiantes, aussi insignifiantes soient-elles, se confineront sur les campus et, avant l’explosion du printemps 1989, si les esprits sont loin d’être au calme, aucun mouvement général ne naîtra. Un échantillon : entre le 10 et le 19 juin 1987, les étudiants de l’Institut central des finances de Pékin désertent les salles de classe, une fois encore, pour récriminer contre les manufactures de tabac de Pékin qui occupent toujours une partie de leurs locaux ; le 7 décembre de la même année, les étudiants de l’Université des sciences économiques et du commerce de Pékin condamnent collectivement les pratiques par trop bureaucratiques de leur administration ; le 3 juin 1988, les étudiants de Beida défilent pour demander qu’un voyou qui a assassiné un de leurs camarades, Chai Qingfeng, soit puni. On constate, somme toute, qu’à l’occasion de tous ces incidents, les autorités feront preuve d’une souplesse qui contraste avec leur fermeté de l’hiver 1986 et qu’elles s’emploieront à apaiser les passions pour éviter tout débordement.
Le 15 avril 1989, à peine la nouvelle de la mort de Hu Yaobang est-elle tombée, que des étudiants, accompagnés de certains de leurs professeurs, se précipitent sur la place Tian’anmen. Au cours de la nuit, ils collent des dazibaos de condoléances ou des poèmes. Ils ne savent pas encore que dans quelques jours ils y prendront position, et pour longtemps. Mais cela est une autre histoire.
Huang San — Angel Pino
- 1Sur ce point, voir : Huang S., A. Pino, L Epstein, Un bol de nids d’hirondelles ne fait pas le printemps de Pékin, Bibliothèque asiatique, Christian Bourgois éditeur, Paris, 1980 ; V. Sidane, Le Printemps de Pékin (oppositions démocratiques en Chine, novembre 1978-mars 1980), collection archives, Gallimard-Julliard, Paris, 1980.
- 2Ce texte est tiré d’une étude beaucoup plus longue sur les « années Deng » qui doit servir de préface à une anthologie des œuvres politiques de Wei Jingsheng, ouvrage à paraître prochainement. Les éléments réunis pour sa rédaction proviennent, essentiellement, de la presse de Chine pop., le Quotidien du peuple ou le Quotidien de Pékin, mais aussi de la presse de Hong Kong, Zhenming (rivalisons), Baixin (1e peuple) ou bien encore Jiushi niandai (les années 90).
- 3Sur le mouvement étudiant de l’hiver 1986, voir : Ba Qi [Huang San], « l’Avenir est à nous ! » Quelques remarques sur le mouvement étudiant chinois, Iztok, revue libertaire sur les pays de l’Est, Paris, n° 14, septembre 1987, pp. 15 – 22.
- 4Le 16 janvier 1980, dans un discours prononcé lors d’une réunion de cadres convoquée par le Comité central du Parti, Deng Xiaoping avait proposé la suppression des « Quatre grandes libertés ». [si da] (« libre expression d’opinions, large exposé d’idées, dazibao et grand débat.) inscrites dans la Constitution (cf. Deng Xiaoping, « la Situation actuelle et nos tâches », Texte choisis (1975 – 1982), éditions en langues étrangères, Pékin, 1985, p.249). Ce sera chose faite avec la nouvelle Constitution, la quatrième dont se soit dotée la Chine, adoptée le 4 décembre 1982.