Il a eu son apothéose, je lui dois mon vivat.
Le 9 juillet, à Paris, la gare de Lyon, littéralement envahie, a été le théâtre des émotions les plus rudes et, n’en doutons pas, des plus vraies : Partira ! Partira pas ! C’est Boulange, Boulange.…. Les plus dévoués se sont couchés sur les rails, que nul n’a pensé à déboulonner, les audacieux sont montés sur la machine et ont détaché du train le wagon qui devait emporter son auguste personne. On raconte même que les femmes présentes voulaient l’embrasser, et que devant la gare des hommes plus heureux se sont rués sur sa voiture et mis en pièces et en poches, précieuse relique chaude encore, le coussin sur lequel s’était un instant reposé son noble postérieur. Monsieur Déroulède a fait son discours, Sansbœuf suffoquait, le général était pale. Vive Boulanger.
Melun, Fontainebleau, Nemours, Nevers, l’ont acclamé : Vivats à Melun, vivats à Fontainebleau. À minuit, bouquets et lanternes à Nemours, discours et déroulèdisme à Nevers ; à Clermont-Ferrand, trois cents auvergnats bonne marque, envoyés de Paris, lui ont fait une chaleureuse ovation. Continuant son voyage triomphal, s’il eût été à Concarneau, presque sa patrie, dans la lande, au milieu des pousses sauvages et des porcs mal domestiqués, nul doute qu’un biniou eut jeté aux échos : Vive Boulanger !
Compatriote du très vénérable et vénéré Trochu, hier il écrivait : Monseigneur, et crie : Vive la République ! aujourd’hui ; il est de son époque comme il est de son monde. Vive Boulanger.
Soldat, il a fait le port de la barbe d’ordonnance à l’armée et pour lui, monsieur Paulus nous rase dans les carrefours. Vive Boulanger.
Ministre, il a supprimé la masse du troupier : total, 45 francs, mais en échange lui a donné une assiette à deux pour quinze et un couvert en fer-blanc. En caserne on ne mange plus à la gamelle. Vive Boulanger.
Vaillant homme de guerre, le général a touché le cœur des habitués de la Scala et conquis l’aristocrate bookmaker, l’illustre comte de Luçay, vadrouilleur et croupier, monsieur Rochefort : cabotin de plume et paillasse de caserne, hurrah Henri ! Vive Boulanger !
C’est le cri de tous. Rochefort, Paris, la France entière le pousse. Il reviendra. Bravo !
Bravo ! monsieur Rochefort, depuis vingt ans vous tentiez de créer un parti et vous avez fait le Boulangisme ; politique malheureux, vous n’avez jamais pu devenir grand maître, vous vous êtes fait larbin. Boulanger paie. Tant qu’il paiera, vive Boulanger !
Bravo aussi, bravo Paris, Paris du travail. Tu étais à l’Hôtel-de-Ville en 71 et il était à Versailles : Lieutenant-colonel en Mai, quand nos forts vendus, nos murs éventrés et nos faubourgs canonnés ; quand trahis à nos avant-postes et trompés à la Commune par des avocats de brasserie et des journalistes de boudoirs, viveurs décavés et incapables, membres et généraux de cette Commune, pour un grand nombre à la solde de Foutriquet ou aux crochets des femmes galantes ; quand enfin, Paris râlant et vaincu, la réaction versaillaise l’écrasait sous le talon de ses soldats assoiffés de sang humain et saouls d’eau-de-vie, Boulanger, à la tête du 114e régiment de ligne, dans les rues commandait le feu… Quelques semaines plus tard, à Cherche-Midi, présidant un conseil de guerre, Boulanger faisant son devoir envoyait eu poteau de Satory les survivants de la barricade. Il y colla même ceux que, dans sa clémence de monstre assouvi, l’ignoble Gallifet avait épargnés. Fils de Bourgeois, il hait les ouvriers. Vive Boulanger.
Patriote « quand même », il a le culte du premier des Bonaparte et celui du dernier des jeans-foutre, Gambetta, Comme eux, il a des désirs de conquêtes et des appétits dynastiques ; pour imiter le premier, sa politique est celle du second : la Revanche ! La revanche bête de deux peuples qui n’ont entre eux d’autre motif de haine que celui de s’être déjà égorgés plusieurs fois au profit des gens de Bourse, des trafiquants du haut commerce et des politiciens qui, sur le heurt des armées et la probabilité des victoires, font la hausse et la baisse, spéculent et accaparent la richesse publique et exploitent les sentiments patriotiques et la crainte du peuple, lui qui n’a rien par des discours et des déclamations burlesques.
Dans la guerre aussi les entraîneurs de soldats ont tout à gagner : Les campagnes d’Italie et d’Égypte, faisant la gloire militaire du général Bonaparte, ont préparé le 18 Brumaire et nous ont donné le plus sanguinaire des Napoléon ; la revanche, elle, Gambetta l’avait rêvée, Boulanger la projette ; il ferait mieux encore : Par un 2 Décembre quelconque, après 47 ans de République bâtarde, il nous donnerait un César souillé du sang de cinq cent mille citoyens. Vive Boulanger.
Fusillade dans les rues de Paris, canonnade des hameaux et des villages, mitraillade partout!… travailleurs de tous les rangs et de toutes les conditions et vous Parisiens, vous surtout les fils, les frères et les épouses des égorgés du Champ de Mars, du Père-Lachaise et de la caserne Lobau, vous encore qui avez eu, pendant la Semaine sanglante, un père, un frère ou un mari enterré vivant dans le square Saint-Jacques, vous enfin qu’il fit veuves ou orphelins et qu’il s’apprête à frapper, acclamez ! acclamez-le, mais acclamez-le donc !…
Vive Boulanger!!
Jean-Baptiste Louiche