La Presse Anarchiste

Sottise humaine (2)

Écou­tez le com­mis de maga­sin, se dra­pant dans sa fatui­té de tra­vailleur mieux vêtu et plus engueu­sé ; il croit sin­cè­re­ment être supé­rieur au manieur de mar­teau lequel, par rico­chet consi­dère comme son infé­rieur le gâcheur de plâtre, qui à son tour, ne trou­vant dans son sexe aucun autre paria lui sem­blant infé­rieur, accuse son épouse d’in­ca­pa­ci­té, et la tient pour une igno­rante. Écou­tez sur­tout l’ou­vrier des villes, il ne manque jamais l’oc­ca­sion de se flat­ter, de se dire plus intel­li­gent que celui du vil­lage ; et celui-ci n’a que la plus maigre opi­nion du tra­vailleur de la terre. Tous enfin, tous, comme pour mon­trer leur supé­rio­ri­té se rusent et se jouent dans le domaine des rela­tions pri­vées et publiques. Le cali­cot est la cible vivante que visent sans cesse les sar­casmes de l’homme au dur métier, qui est lui-même pour le manou­vrier un objet de constante jalou­sie. Qui ne sait aus­si l’an­ti­pa­thie, la ran­cune que garde le pay­san contre le cita­din ; il les mani­feste en tout et par­tout ; dans ses rap­ports avec lui, elles sont constam­ment pré­sentes à son idée elles l’a­niment sur les mar­chés, ou, avec le plus vif plai­sir il trompe le vilain qui achète ses pro­duits. En poli­tique, depuis qua­rante ans elles le poussent aux urnes où le can­di­dat de la ville devient alors l’en­ne­mi, le seul qu’il faut com­battre. Et, cho­quante absur­di­té, agis­sant ain­si réci­pro­que­ment, sou­ve­rains pen­dant quelques minutes, tous les deux, pay­san et cita­din, luttent pour leur asser­vis­se­ment qu’ils consacrent par leurs votes. Leur ini­mi­tié a pour résul­tat immé­diat de les cour­ber plus pro­fon­dé­ment sous le joug des hommes, qu’ils changent tour à tour sans même s’a­per­ce­voir, aveu­glés par elle, qu’ils se trompent l’un et l’autre, et qu’ils ne seront réel­le­ment sou­ve­rains que quand tous refu­sant de sous­crire aux pro­messes de quelques-uns, cha­cun exer­ce­ra sa sou­ve­rai­ne­té, non par l’ex­pres­sion col­lec­tive du suf­frage des majo­ri­tés sor­ti du plus violent et natu­rel désac­cord de tous, quant au carac­tère par­ti­cu­lier des dési­rs de cha­cun, mais par la mani­fes­ta­tion indi­vi­duelle et conti­nue de ses actes. Nul mieux que soi ne voit midi à sa porte, dit un vieux dic­ton popu­laire, nul mieux que soi connaît ses besoins et les moyens mis à sa dis­po­si­tion, Nul ne sau­rait mieux les satisfaire.

Ces mani­fes­ta­tions de l’ab­sur­di­té que nous consta­tons chez l’homme du peuple et qui paraissent être l’ob­jet de tous ses efforts ne sont pas comme on pour­rait le croire à pre­mière vue le résul­tat de l’in­fé­rio­ri­té de condi­tions dans laquelle il crou­pi. Il semble au contraire que plus la situa­tion des hommes est éle­vée dans la hié­rar­chie sociale et plus ils doivent être cupides et stu­pides. Peux-t-on par exemple voir chose plus insen­sée que les cou­tumes et les mœurs des dif­fé­rents ordres de la classe pos­sé­dante et diri­geante. Cha­cun d’eux s’exerce à s’ob­ser­ver ou à se com­po­ser des habi­tudes par­ti­cu­lières, un lan­gage unique, des goûts spé­ciaux, un ton conve­nu, tout ce qu’il faut en un mot pour faire de l’in­di­vi­du, et par ordre un type dif­fé­rent, est l’ob­jet de toute l’at­ten­tion de cha­cun et de tous. Le légis­la­teur raille ses col­lègues, les inju­rie même avons-nous dit, mais il ne manque pas de dire mon — hono­rable. — Ses man­dants jouissent de toute sa sym­pa­thie, et chose qui pour­rait paraître étrange, ses adver­saires seuls en pro­fitent ; quelle que soit la nuance de son opi­nion poli­tique, il porte une cra­vate blanche et se fait à la tri­bune le cham­pion viru­lent des cou­leurs de la monar­chie, les pri­vi­lèges lui répugnent et il déteste l’é­ga­li­té, il pro­nonce de magni­fiques dis­cours sur les droits indi­vi­duels, sur la liber­té, et ne fait que des lois tou­jours plus coer­ci­tives. Il pense que tout est au plus mal dans l’or­ga­ni­sa­tion sociale et il veut réfor­mer. Lui seul a été choi­si, lui seul en est donc capable, aus­si n’é­coute-t-il, élu, aucune obser­va­tion de ceux qui lui ont confié le soin de leurs intérêts.

Comme le légis­la­teur, le mili­taire à gros galons croit à sa supé­rio­ri­té, aus­si s’at­tache-t-il à se dif­fé­ren­cier des avo­cats qu’il déteste cor­dia­le­ment. La caserne est sa chose, le sol­dat est son objet. Il le forme à son image. Gros­sier dans ses expres­sions, bru­tal dans ses actes, il l’as­sou­plit à sa volon­té, lui donne des dési­rs de car­nage, de des­truc­tion, et affirme que le sol­dat, arra­ché de son foyer, fait homme entre­te­nu et sou­te­neur de pri­vi­lèges, a droit à l’ad­mi­ra­tion de tous, même quand il est souillé de sang.

Par­mi les fonc­tion­naires, pre­nons les plus graves, les gens de jus­tice. Ce type est assu­ré­ment le plus inté­res­sant à étu­dier. Tout en lui décèle l’im­bé­cile ou le gre­din, ayant géné­ra­le­ment abu­sé dans sa jeu­nesse ; dans son inté­rieur il est cor­rom­pu, taré. Astu­cieux par rou­tine pro­fes­sion­nelle, il est hypo­crite dans ses rela­tions. Au pré­toire, il a la face glabre, le main­tien pré­ten­tieux, le vocable facile mais jamais spi­ri­tuel. Au demeu­rant c’est un niais niai­sant gra­ve­ment, connais­sant par­fai­te­ment son code et l’â­non­nant tou­jours, cela tient peut-être à la pelure qu’il revêt. Deman­dez lui son opi­nion poli­tique ou sociale, il en à tou­jours une ; il sert tous les régimes, condam­nant pour condam­ner, par esprit de pro­fes­sion. Mora­liste aux clients de son comp­toir, il montre une image, tou­jours la même. Elle repré­sente un homme tout nu dont le visage et le port plus qu’é­qui­voque de la tête est le tableau exact de la brute som­meillant dans l’al­côve d’une catin à la mode. Levez la main, jurez sur votre… cela lui suffit.

Sot­tise ! sot­tise ! sot­tise ! Quoique notre adjec­tif soit peut-être modeste pour qua­li­fier les mul­tiples mani­fes­ta­tions de la vie des hommes, devons-nous conclure qu’ils sont tous mau­vais ? Qu’il n’y à rien à faire contre cet impi­toyable anta­go­nisme de cha­cun à tous et de tous à cha­cun. Non ! évi­dem­ment, non ! Le mal c’est l’or­ga­ni­sa­tion hié­rar­chique, l’au­to­ri­té. Le remède, les lec­teurs de l’Auto­no­mie le connaissent. C’est la Révo­lu­tion, la Révo­lu­tion Sociale.

Pour se pro­duire les par­tis ter­ro­risent, pour s’im­po­ser, les gou­ver­ne­ments mobi­lisent et opposent des armées. En tout comme par­tout l’au­to­ri­té naît et vit par la vio­lence, sans elle la liber­té ne sera. Le vieux monde n’a vécu que par elle, il en mourra.

Jean-Bap­tiste Louiche


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