La Presse Anarchiste

Les Belges et la Révolution

Les pau­vres hères que le hasard et la sot­tise humaine ont fait Belges, que le besoin de se nour­rir et de se vêtir oblig­ent à se faire mineurs, vien­nent de mon­tr­er par leur dernière qua­si-révolte qu’ils sont encore décidés a descen­dre pen­dant longtemps dans leur enfer géologique pour souf­frir la faim. Ils ont affir­mé de nou­veau aux bour­geois, ces maheus, par leur atti­tude expec­tante, qu’ils se noir­ciront encore leur peau au con­tact de la houille pour main­tenir blanche celle des cap­i­tal­istes. Voilà la con­clu­sion la plus juste que l’on peut tir­er des derniers événe­ments qui ont illus­tré le pays du café noir et des tartines de beurre, — for­mant la nour­ri­t­ure la plus nutri­tive des ouvri­ers. —Une con­clu­sion pareille pour nous est navrante. Mais enfin puisqu’elle est juste, pourquoi la cacheri­ons-nous. Tâchons tou­jours de voir les choses comme elles sont, sans nous illu­sion­ner. Les illu­sions sont fatales dans leurs con­séquences sur ces questions-là.

De toutes les his­toires d’esclaves, celle de ceux qui traî­nent la chaîne sous la bour­geoisie, sera la plus curieuse à lire. Elle sur­pren­dra ceux qui la com­pulseront dans une ère de lib­erté, encore loin­taine peut-être. Et ils pour­ront con­jec­tur­er ces heureux-là sur la pos­si­bil­ité pour un être humain d’avoir été aus­si naïf que l’ou­vri­er d’au­jour­d’hui, quelle que soit sa nation­al­ité. En effet, ce n’est pas de notre faute si nous sommes oblig­és de dire avec le vieux La Boëtie, que l’esclavage est volon­taire. Que les ouvri­ers, nos com­pagnons de chaîne nous par­don­nent donc cette qual­i­fi­ca­tion de naïfs, que nous leur octroyons avec juste rai­son. Que de fois l’apho­risme préc­ité, émis au moyen-âge en pleine bru­tal­ité féo­dale n’a t‑il pas été jus­ti­fié, et tenez sans aller plus loin, prenons donc comme exem­ple le dernier mou­ve­ment belge.

Les mineurs belges, astreints à un tra­vail délétère sans aucun prof­it pour eux, refusent tout à coup de descen­dre dans leur bagne noir. Pourquoi ? et quelles sont les raisons jus­ti­fi­ant ce refus général ? Un homme de bon sens don­nera les suiv­antes : Parce qu’ils ne veu­lent plus tra­vailler pour les autres, qu’ils veu­lent un peu de ce soleil qu’ils ne peu­vent voir que dans leur imag­i­na­tion. En un mot, qu’ils se sen­tent opprimés et qu’ils exi­gent enfin cette lib­erté néces­saire à chaque individu.

Ces raisons seraient justes et toutes naturelles. Mais vous vous tromperez sin­gulière­ment si vous croyez que ce sont celles don­nées par les parias belges. Ils en ont don­né une seule, une for­mi­da­ble. C’est parce qu’ils sont privés du suf­frage uni­versel. — Les scri­bo­manes de la presse bour­geoise ont eu du mal à garder leur sérieux en face d’une récla­ma­tion aus­si sérieuse.

Ain­si, voila des hommes, lassés d’un labeur abrutis­sant les lais­sant mourir presque la faim, eux et leurs familles, qui com­pren­nent qu’il leur faut du pain et de la lib­erté et qui s’a­musent à faire pire que les grenouilles de la fable, en deman­dant le suf­frage uni­versel. Seul et unique moyen employé infail­li­ble­ment par le peu­ple pour se don­ner beau­coup de rois à la fois.

Bien au con­traire, ces braves et hon­nêtes pro­lé­taires protes­tent haute­ment que la grève générale n’a pas pour but l hausse des salaires. Mais le retrait ou la mod­i­fi­ca­tion d’une loi trit­urée par la quin­tes­sence de la pop­u­la­tion belge, la Cham­bre des députés. Ils rejet­tent loin d’eux ces bons mineurs l’idée de vouloir engraiss­er de quelques sous leur porte-mon­naie famélique. Ce qu’ils veu­lent avant tout, c’est le bul­letin de vote. Comme si le bul­letin de vote pou­vait servir à faire la cui­sine ou à tiss­er des vêtements.

Ah ! citoyens belges vous réclamez le suf­frage uni­versel, pour vous émanciper, dites-vous. C’est très bien ; mais avez-vous regardé un des pays qui ont la chance de pos­séder cet instru­ment per­fec­tion­né d’avachisse­ment, la France par exem­ple ? Sans doute. Vous avez alors pu con­stater que dans ce pays le peu­ple est heureux et libre, qu’il ne lui manque rien tant au point de vue moral que matériel. Vous avez prob­a­ble­ment ouvert son his­toire, et vous y avez lu dans cette his­toire : Qu’en Févri­er 48, le peu­ple vain­queur s’est forgé des bour­reaux — qui l’on mas­sacré en juin de la même année — au moyen de ce suf­frage tant réclamé par vous. Puis vous avez passé l’Em­pire et vous vous êtes arrêtés aux pages rouges de 71 ; et vous êtes restés ter­ri­fiés devant le nom­bre de morts de la Com­mune que, tou­jours la manie de vot­er, de par­lementer, à con­tribué à grossir. Après tout cela, comme des hommes qui n’ont pas com­pris ce qu’ils vien­nent de lire, vous vous êtes écriés : C’est égal, il nous les faut ces belles choses ; vive donc le suf­frage uni­versel qui nous les procurera !

Vous êtes comme cet homme qui veut recevoir des coups de bâtons pour savoir s’ils font mal.

Nous ne sommes pas de votre avis, nous voyons les choses autrement. Nous croyons qu’il est inutile de faire le jeu des pos­si­bilistes et des bour­geois qui s’en­ten­dent — tout en se dis­putant — comme de vul­gaires lar­rons de la poli­tique quand il s’ag­it d’é­touf­fer une éclo­sions révolutionnaire.

Nous croyons être dans le vrai quand nous dis­ons : Lais­sez de côté toutes les baliv­ernes poli­tiques et attaquez votre enne­mi dans ce qu’il a de plus cher, la caisse ; sous peine de descen­dre encore longtemps dans les mines — où le grisou vous réserve la mort — pour enrichir les quelques bour­geois et politi­ciens qui se sont moqués, et se moquent encore de vous.

Charles Schæf­fer


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