La Presse Anarchiste

Les sports du militant

1. — Nécessité et définition de ces sports

Le « Mili­tant » est un spor­tif : il a le devoir de s’entraîner métho­di­que­ment aux exer­cices dont la pra­tique quo­ti­dienne est l’incessante affir­ma­tion de son activité.

Mili­ter, c’est lut­ter, batailler, com­battre ; c’est s’exposer à tous les risques qu’implique la mêlée ; c’est por­ter des coups et en rece­voir ; c’est, dan l’âpre et violent corps à corps des idées, des tac­tiques, des méthodes, oppo­ser sans défaillance prin­cipe à prin­cipe, doc­trine a doc­trine, action à action.

Le mili­tant anar­chiste, c’est celui qui, après avoir loya­le­ment et conscien­cieu­se­ment cher­ché la voie dans laquelle il se décide — enfin — à enga­ger ses efforts, pour­suit le but qu’il s’est assi­gné, quelles que soient les résis­tances et les dif­fi­cul­tés ; c’est le pro­pa­gan­diste qui ne se laisse pas plus abattre par l’insuccès ou décou­ra­ger par les obs­tacles, que gri­ser par les avan­tages par­tiels ou illu­sion­ner par les vic­toires incom­plètes ; c’est l’apôtre qui recherche, dans l’incessante bataille, le point où se pro­duisent les heurts les plus vio­lents, afin de s’y jeter avec intré­pi­di­té ; c’est l’apôtre qui, dédai­gnant les suc­cès faciles, se plaît aux chocs les plus rudes et aux ren­contres les plus périlleuses ; c’est celui que ne rebutent point les besognes les plus obs­cures et que n’éloignent point les tâches les plus ingrates ; c’est celui qu’attirent, séduisent et entraînent les tra­vaux les plus durs, les labeurs les plus exigeants.

On conçoit que, s’il en est ain­si — et on ne sau­rait, je pense, se faire une autre idée du Mili­tant anar­chiste — un tel homme doit être vigou­reu­se­ment trem­pé, armé soli­de­ment et de toutes façons.

Il est évident qu’il doit : d’abord se pro­cu­rer un arse­nal aus­si com­plet que pos­sible d’armes for­te­ment éprou­vées ; ensuite, pos­sé­der si bien le fais­ceau de ces armes qu’il soit à même de mettre sans hési­ta­tion la main sur celles dont il a besoin sur l’heure ; enfin s’entraîner au manie­ment adroit et per­sis­tant de cha­cune de ses armes.

Les armes du mili­tant liber­taire ce sont les connais­sances, docu­ments, pré­ci­sions, thèses, idées, sur les­quels repose sa doc­trine, syn­thèse de ses convic­tions ; le pro­pa­gan­diste, en pos­ses­sion de cet arse­nal élé­men­taire et indis­pen­sable, doit y intro­duire soi­gneu­se­ment et y conser­ver jalou­se­ment le grou­pe­ment nor­mal, la série ration­nelle, l’assemblage logique, en un mot l’ordre métho­dique sans lequel, confuses et chao­tiques, les idées et connais­sances perdent une par­tie de leur force et res­tent d’une uti­li­sa­tion incer­taine, lente et médiocre.

Par­ve­nu à la richesse de docu­men­ta­tion qui lui est néces­saire et à la clas­si­fi­ca­tion qui s’impose pour que l’ordre règne dans l’abondance de ses idées, le mili­tant anar­chiste doit se fami­lia­ri­ser avec l’usage des connais­sances qu’il a acquises et mises en ordre, afin d’en tirer le meilleur par­ti, au cours des cir­cons­tances de milieu, de temps, de faits et de per­sonnes qui consti­tuent l’actualité.

Cette acqui­si­tion des connais­sances fon­da­men­tales, ce clas­se­ment ration­nel des idées acquises, cette uti­li­sa­tion rapide et ordon­née des prin­cipes et de la doc­trine anar­chistes, cet entraî­ne­ment métho­dique à la pra­tique ferme et per­sé­vé­rante d’une action constam­ment liber­taire, voi­là ce que j’appelle les Sports du mili­tant.

II. — Énumération de ces sports

Cet entraî­ne­ment spor­tif embrasse suc­ces­si­ve­ment et dans l’ordre que voici :

  1. La Pen­sée ;
  2. L’Écrit ;
  3. La Parole ;
  4. L’Action.
III. — Enchaînement rigoureux de ces sports.

Cet enchaî­ne­ment pro­cède d’un ordre de choses si indis­cu­table, qu’il est d’une rigueur qui ne souffre aucune contes­ta­tion sérieuse.

Pour en acqué­rir la cer­ti­tude, il est suf­fi­sant d’énoncer ce qui suit :

Le Mili­tant anar­chiste doit asseoir toute sa pro­pa­gande sur le bien fon­dé de sa doc­trine et la soli­di­té de ses convictions.

Cette pro­pa­gande revêt trois formes : l’écrit, la parole et l’action. Ces trois formes ne sont que la mani­fes­ta­tion, par la plume, le dis­cours et l’acte, des idées qu’il pos­sède et des sen­ti­ments qui l’animent.

La plus com­plète uni­té doit pré­si­der à l’ensemble et carac­té­ri­ser la tota­li­té de son effort : écrit, parole, action ne doivent être que l’extériorisation de sa pen­sée consciente, réflé­chie, inébranlable.

Il serait inad­mis­sible qu’il y eût désac­cord et même diver­gence entre sa façon de pen­ser, d’écrire, de par­ler ou d’agir.

De même que, dans l’Anarchisme tout se tient et concorde, il est néces­saire que, chez le mili­tant, tout : pen­sée, écrit, parole, action, abso­lu­ment tout s’enchaîne et concoure au même but.

La pen­sée est le point de départ ; l’écrit et la parole sont les moyens de trans­port qui véhi­culent la pen­sée et la conduisent direc­te­ment au point d’arrivée : l’action.

Pen­ser est à la base ; agir est au som­met ; écrire et par­ler relient celui-ci à celle-là.

L’écrit et la parole sont l’expression de la pen­sée ; la pen­sée, l’écrit et la parole ont pour abou­tis­sant l’action.

On ne peut tra­duire sous la forme écrite ou par­lée que ce qui a été au préa­lable pensé.

Agir, c’est don­ner à la pen­sée sa forme vécue, posi­tive et concrète.

La parole, l’écrit et l’action sont le vête­ment qui épouse les lignes de la pen­sée et, dans le mou­ve­ment, en révèle la sou­plesse et la soli­di­té, la force et la beauté.

Je m’excuse de répé­ter ain­si, à satié­té, la même idée. Je ne mets pas en doute les facul­tés com­pré­hen­sives de ceux qui me lisent ; mais j’ai à cœur de pro­je­ter sur cette intro­duc­tion aux exer­cices spor­tifs du mili­tant anar­chiste une lumière si écla­tante, que tous les points de cette entrée en matière en seront abon­dam­ment pourvus.

Il est déci­dé que les Anar­chistes fon­de­ront, par­tout où ce sera pos­sible, des Écoles de Mili­tants, dans les­quelles les cama­rades se for­me­ront et s’entraîneront à la pro­pa­gande par l’écrit, la parole et l’action. La « Revue Anar­chiste » attache une haute impor­tance à la for­ma­tion de ces écoles dont elle appré­cie la réelle utilité.

Il est dési­rable, je dis mieux : néces­saire que notre Doc­trine, de toutes la plus juste, notre Action, de toutes la plus effi­cace et notre Idéal, de tous le plus humain et le plus éle­vé, aient à leur ser­vice des pen­seurs, des écri­vains, des ora­teurs et des hommes d’action.

Ce résul­tat ne peut être obte­nu que par une édu­ca­tion métho­dique et un entraî­ne­ment rationnel.

J’affirme que dans tout anar­chiste, existent, à l’état poten­tiel, un pen­seur, un écri­vain, un ora­teur, un homme d’action ; j’entends par là un indi­vi­du capable de pen­ser for­te­ment, d’écrire cor­rec­te­ment, de par­ler clai­re­ment et d’agir énergiquement.

Nos écoles de mili­tants auront pour objet de culti­ver ces apti­tudes en puis­sance et d’en cou­vrir le sol anarchiste.

C’est cette culture que j’appelle, .dans son ensemble : les sports du Militant.

Je m’occuperai, dans le numé­ro pro­chain, du sport fon­da­men­tal : la Pensée.

Sébas­tien Faure.


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