Tant que la C.G.T., dénommée provisoire, n’avait pour but que de servir de lien entre les organisations désireuses de refaire l’unité, brisée par les monomanes scissionnistes, nous ne pouvions, certes pas, attendre d’elle autre chose qu’une besogne administrative.
Malgré les innombrables difficultés que soulève la réorganisation des forces syndicales, désemparées par le fait d’une division savamment entretenue, nous pouvons dire que le résultat obtenu est satisfaisant, si l’on songe que 320.000 camarades sont aujourd’hui réunis dans la C.G.T. rénovée, formant ainsi un bloc déjà compact et résistant.
Ceux qui attendaient, pour prendre position, de voir à l’œuvre le nouvel organisme ouvrier, vont pouvoir se déterminer, s’ils veulent bien suivre avec nous, pas à pas, ce qu’il a déjà réalisé depuis que la scission lui a donné un caractère définitif.
Maintenant que le syndicalisme, ainsi regroupé, peut faire œuvre sociale sans abandonner pour cela sa besogne du début — ce qui serait une faute — il suffira d’examiner attentivement ses faits et gestes pour se rendre compte de l’utilité qu’il y a pour les anarchistes de participer à toute son action.
Pour être exact, il comporte de reconnaître que les compagnons donnent au syndicalisme une place importante, en y apportant une activité de plus en plus considérable.
Et c’est tant mieux !
Cette constatation faite, il ne faudrait pas que certains de nos amis pensent que nous croyons que l’Anarchie est contenue toute en lui.
Ce serait commettre une erreur, dont notre philosophie aurait à souffrir et cela nous ne le voulons pas, au contraire.
Ceci dit, commençons à enregistrer, à étudier et à commenter l’activité de la C.G.T. unitaire en même temps que nous jetterons un regard vers ce qui se passe chez les « Saint-Mandéens », pour nous confirmer dans notre opinion et justifier — (le besoin s’en fera-t-il sentir un jour?) — la position que nous avons prise.
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Alors que le C.C.N. des « collaborationnistes » n’avait laissé percer que le mensonge, la duperie pour les travailleurs et la haine pour ceux qui voulaient rester ou revenir au principe de « luttes des classes », celui qui fut tenu par les organisations « unitaires », nous laisse espérer un avenir meilleur pour le développement du mouvement ouvrier.
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil d’ensemble sur les motions et résolutions adoptées, il est vrai, après des discussions parfois très animées.
Aussi, constatons que l’accord s’est réalisé, malgré tout, quand il s’est agi de manifester « son entière solidarité avec ceux qui, dans tous les pays, sont persécutés et emprisonnés, par les gouvernements quels qu’ils soient, pour leurs idées, leurs principes en faveur de la défense ou de la réalisation de la Révolution nettement prolétarienne. »
Dans le rapport moral du bureau et de la C.A. provisoire, qui fut adopté sans réserves, une tendance nettement fédéraliste est marquée en ce qui concerne la forme et l’organisation de la propagande et de l’administration. Cela n’est pas fait pour déplaire à nos amis, j’en suis persuadé.
La décision concernant la non-rééligibilité des fonctionnaires doit recouvrir une importance que l’on ne saurait nier, car c’est reconnaître et combattre d’ores et déjà la nocivité du fonctionnarisme, dont la disparition s’annoncera d’autant plus rapidement que nous saurons faire la propagande éducative indispensable.
Ce qui doit retenir plus particulièrement notre attention, est la question de la dualité entre les fédération d’industries et les unions départementales, qui pesait si lourdement sur les décisions qu’auraient voulu prendre les syndiqués. Cette forme de représentation double, après s’être manifestée dans un vote, a été condamnée et nous ne pouvons qu’applaudir à ce geste dont la signification et la portée n’échapperont à aucun de nous.
À la suite de ces constatations, il est utile d’insister auprès des compagnons sur l’attitude de la jeunesse néo-communiste à l’égard de la C.G.T. unitaire. En effet, elle a une tendance nettement définie à nous faire subir un boycottage, qui, à lui seul devrait démontrer vers quelle voie cette organisation se dirige. Soyons donc prêts à toutes éventualités et décidés à nous manifester en toutes occasions.
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Revenons un peu sur la question du front unique, qui reste d’actualité grâce au concours inattendu de certain manieur de pistolet en carton.
Ce n’est plus une comédie, c’est un vrai vaudeville !
Les scènes se succèdent dans un imbroglio presque inconcevable. Les sujets les plus divers s’y rencontrent dans un enchevêtrement du plus haut comique. Les effets y sont savamment étudiés. De là à dire que l’interprétation s’y montre brillante, il n’y a qu’un pas à franchir.
C’est à se tordre de rire ! Pourvu que cela n’aille pas jusqu’aux larmes !
Le décor représente une salle de Bruxelles où se tient un grand meeting. Jouhaux-le-stentor y rencontre Fimmen-la-crécelle et tous deux entonnent l’hymne au front unique, repris en chœur par des ministres de roi et autres cabotins. Le bruit qu’ils font se répercute ; tel l’écho de la montagne, il roule presque indéfiniment.
Et nous sommes transportés à Moscou le 17 février, où nous rencontrons Zinoviev et sa compagnie ainsi que l’ineffable Rosmer costumé en gosse à la Poulbot et déclarant : « Je veux rester à l’Exécutif, na ! » puis ils renvoient aux scélérats d’hier le refrain que l’écho leur a apporté.
Le dernier acte sera certainement une reproduction, en plus grande pompe, du mariage de Tommasi avec le gros Léon.
L’Hyménée de Moscou et d’Amsterdam !
Je vous assure que ce sera drôle. Aussi je retiens dès maintenant un fauteuil d’orchestre pour mieux assister à cette représentation, qui sera la dernière, car j’espère bien que les spectateurs, les travailleurs en l’occurrence, sauront applaudir comme il convient à ce spectacle.
Et si les auteurs le veulent bien, je leur conseille d’appeler cela le Front unique.
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Tel un navire que l’on renfloue, certains camarades syndicalistes essaient de faire remonter à la surface l’adhésion du syndicalisme français à l’Internationale syndicale dite rouge dont le siège est à Moscou.
« Moscou quand même ! » écrit Monmousseau, et le voilà parti sur son cheval de bataille.
Je ne voudrais lui faire aucune peine, même légère, pourtant je dois à la vérité de lui dire combien je regrette son ignorance de la vérité avec un grand V, car s’il voulait vraiment savoir, je suis persuadé qu’il serait plus circonspect quand il nous représente ce centre comme étant la révolution, toute la Révolution.
Je l’engage donc, cordialement, à s’informer à d’autres sources qu’à celle, toujours la même, où il puise, et il se rendra compte rapidement, je l’espère, qu’il fait fausse route.
Ne sait-il pas que Lénine a déclaré qu’il se servait du syndicalisme aujourd’hui simplement parce que celui-ci pouvait servir aux intérêts primordiaux du Parti politique et que demain il le ferait disparaître s’il le gênait dans sa gestion du Pouvoir ? Ignore-t-il toutes les déclarations, décisions et ordres, toute l’activité souterraine des leaders de l’I.S. dite rouge et du P.C. qui tendent à diminuer la valeur morale et matérielle de l’organisation économique ?
Il ne faudrait tout de même pas nous faire croire qu’il suffit d’être aveuglé pour prouver que l’on y voit très clair, ni non plus parler des réalisations communistes de ceux qui sont les premiers à reconnaîtra qu’ils ont à défendre un démocratisme naissant.
Aussi bien nous représente-t-on la révolution russe comme étant à peine au même point que la révolution française après la prise du pouvoir par les bourgeois de l’époque.
Cela ne diminue aucunement les révolutionnaires de 1793 ni non plus ceux de 1917, mais n’augmente pas dans nos cœurs l’estime que nous devons avoir pour ceux qui, oubliant la valeur créatrice du Prolétariat sur le terrain économique, font passer avant tout l’intérêt politique de leur parti.
Ainsi ceux qui ont pris en mains les rênes de la révolution conduisent-ils vers le Néant un peuple qu’ils croyaient diriger vers la vie.
Qu’il me soit permis de terminer en nous situant bien.
Nous sommes avec tous ceux qui tendent une main fraternelle aux travailleurs russes. Avec les syndicalistes révolutionnaires de ce pauvre pays, nous voulons nous entendre pour assurer le triomphe de l’économique. Contre tous ceux qui, arbitrairement, usent de procédés ignobles pour restreindre la pensée humaine dans ses efforts pour réaliser une société harmonique.
Nous ne demandons donc pas mieux que de nous entendre pour faire reconnaître l’indépendance du syndicalisme révolutionnaire en Russie et lui permettre de se développer librement. En nous attelant à cette besogne, nous aurons dégagé le syndicalisme — tout court si vous le voulez — de la tutelle politique qui l’enserre jusqu’à l’étouffer.
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L’anniversaire de la mort du regretté F. Pelloutier nous rappelle utilement qu’un anarchiste sincère peut à la fois se donner au Prolétariat en bataillant dans le syndicalisme et rester l’amoureux fervent de l’intégrale liberté en combattant pour l’Anarchie.
VEBER.